Pour faire fortune, ne vendez jamais votre temps !
Parmi les poncifs régulièrement cités pour prétendre accéder à la Fortune, être propriétaire de son affaire demeure sans conteste le cliché des clichés. Felix Dennis, magnat britannique de l’édition (500 millions de £ d’avoirs personnels selon le Sunday Times) et auteur du livre à succès How to Get Rich (Comment devenir riche) est sur ce point catégorique : “si vous voulez devenir riche, la propriété n’est pas la chose la plus importante, elle est la SEULE chose qui importe”.
Par Jacques Leroueil, Kigali
Un rapide coup d’oeil sur le classement des plus gros patrimoines du continent confirme, si besoin en était, la pertinence de cette assertion : Dangote (20,8 milliards de $), Sawiris (5,9 milliards de $), Adenuga (4,6 milliards de $), Motsepe (2,7 milliards de $)… Qu’ils extraient leur or de mines ou se bâtissent un empire grâce à l’industrie de la construction ou aux télécoms, ces grands capitalistes sont effectivement tous propriétaires de leur(s) entreprise(s). Pourtant, résumer la possibilité de faire fortune à la détention de son business reste, au mieux, insuffisant. Après tout, l’artisan-pâtissier qui régale ses clients dans son salon de thé, tout comme le dentiste qui soignera plus tard leurs caries dans son cabinet, ont beau gagner (très) bien leur vie et être possesseurs de leur fonds de commerce, ils n’en sont pas pour autant millionaires.
Quant à la probabilité pour eux d’intégrer un jour le club très exclusif des milliardaires du continent (27 relevés au compteur du dernier palmarès Forbes…ou 55 d’après les estimations établies par son confrère, le magazine économique nigérian Ventures), elle est proche de zéro. Une telle disparité de fortune ne saurait donc s’expliquer par le critère exclusif de la propriété. Le vrai marqueur, la différence véritable, tient en un mot : extensibilité. Une extensibilité qui s’entend ici comme la capacité à accroître significativement ses revenus sans avoir à y consacrer un ajout proportionnel de temps. Ne plus être payé à l’heure ou à la tâche, mais au volume et au rendement. Avocat, médecin, consultant ? Des métiers socialement prestigieux et (souvent) bien rémunérés, mais dans l’univers des gains hors-normes et des fortunes extraordinaires, ce sont des options de carrière perdantes. Car ces professionnels facturent des honoraires ; ils vendent donc leur travail et leur temps. Deux ressources par définition limitées à l’échelle d’un individu, qui sera tôt ou tard confronté à un plafond. Le vrai tour de force consiste dès lors à dissocier son temps de travail du revenu potentiellement générable en jouant sur les rendements d’échelle.
Dans le cas de l’entrepreneur, cela consiste à ne plus vendre son temps, mais à acheter celui des autres : c’est toute la différence entre votre sympathique employé d’épicerie de quartier et Christoffel Wiese (3,8 milliards de $ de fortune personnelle), le fondateur de Shoprite, géant sud-africain de la distribution. Dans la situation du financier, cela revient à utiliser l’effet de levier et faire travailler le capital à son profit par la magie des rendements composés. C’est ce qui sépare le professeur d’économie (salarié de sa faculté) qui parle de théorie financière, de l’investisseur kényan Chris Kirubi (300 millions de $ de patrimoine), qui empoche régulièrement le pactole avec ses coups boursiers. Une logique d’extensibilité qui s’applique du reste même à des activités qui ne seraient a priori pas associées à la classe des propriétaires ; si ce n’est la détention d’un talent très particulier : écrivain, chanteur, footballeur…
Ainsi, un superbe but en pleine lucarne réalisé entre deux barres d’immeubles à beau provoquer autant d’émoi chez les copains de quartier que chez les millions de téléspectateurs qui assistent ébahis à la même performance en direct sur la pelouse du stade Camp Nou, la récompense financière associée ne saurait être comparée. C’est en cela qu’il y a un point commun entre des individus aussi dissemblables que Didier Drogba (21 millions de $ en 2013), Akon (15 à 20 millions de $ en moyenne annuelle) et J.K Rowling (13 millions de $ de revenus en 2013 : à l’heure de la globalisation triomphante, leurs revenus tirés des droits d’auteur, des recettes de concert, des contrats de clubs et du merchandising dépendront, non pas tant des efforts et des sacrifices quantitativement consentis (journées de besogne improductive sans inspiration, séances d’entraînement dans le froid, monotones répétitions en studio), que de leur capacité à divertir et faire rêver la planète entière.
Un marché potentiel de 7,2 milliards de consommateurs, qui achéteront ensuite en masse les produits associés à leurs “héros” : tee-shirts, livres, disques, posters… Le tout sans que ces superstars n’aient eu à se tuer à la tâche pour fabriquer individuellement tous ces articles ; d’autres l’auront fait pour eux pour une infinitésimale fraction des revenus qu’ils percevront en dernier ressort. On l’aura bien compris, dans la course à la Fortune, il y a ceux qui en parlent (journalistes, experts financiers, joueurs de loto) et ceux qui la font (entrepreneurs, investisseurs, ou artistes du ballon rond et de la plume). Pour ceux d’entre nous qui veulent se lancer dans l’aventure, nous voilà donc prévenus !