Par Abdelhak ZEGRARI, Economiste Chercheur en Migration & Développement Durable.
L’Organisation météorologique mondiale (OMM) a confirmé que 2024 était l’année la plus chaude jamais enregistrée d’après six jeux de données internationaux. Les dix dernières années sont aussi les dix années les plus chaudes jamais constatées. Nous dépasserons 1,5 °C , a averti Chris Stokes, glaciologue à l’université de Durham au Royaume-Uni, « mais il est désormais essentiel de limiter ce dépassement ». La protection du climat est depuis longtemps une évidence, économiquement viable, juridiquement fondée, moralement ancrée ; notre Terre brûle et nous regardons les cours de la Bourse !
Organisée à la porte d’entrée de l’Amazonie, la COP30 nous a été présentée comme un moment de « vérité » et de « mise en œuvre », contrant ainsi les campagnes de désinformation menées par les obstructionnistes et les climatosceptiques, Afin de mobiliser la communauté internationale, la présidence de la COP a introduit Le concept de « Mutirão mondial » devenu le slogan central de Belém. Issu des langues indigènes tupi-guarani, ce terme désigne des actions collectives, souvent communautaires, visant un objectif commun ; un leitmotiv intégré au programme de travail sur l’ambition et la mise en œuvre en matière d’atténuation . En l’absences des Etats-Unis de Trump qui ont tourné le dos à l’Accord de Paris de 2015, il reste peu de place entre « optimisme de rigueur et cynisme apitoyé ».
Les attentes étaient naturellement très élevées. L’Afrique, qui contribue peu aux émissions globales, subit pourtant de plein fouet les conséquences du réchauffement climatique ; elle reste à la merci de l’aide extérieure pour l’adaptation et craint une aggravation des sécheresses, des inondations, des famines et des déplacements de populations. Le groupe des négociateurs africains présidé par la Tanzanie, est parvenu à inscrire les besoins et les circonstances particuliers du continent à l’ordre du jour, laissant entrevoir la possibilité d’attirer davantage de financements et de soutien technologique en faveur du climat à l’avenir. « La reconnaissance du fait que la lutte contre la pauvreté énergétique, qui touche 680 millions d’Africains, est une condition préalable au développement.».
Le Maroc est venu avec une importante délégation officielle et présenté sa nouvelle contribution climatique (CDN 3.0) avec comme une ambition climatique renforcée de réduire de 53 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2035. Incarnant une vision du Sud Global, le Royaume a mis en avant une approche innovante liant financement, projets concrets d’adaptation et stratégie territoriale décentralisée, insistant sur d’autres secteurs stratégiques comme les énergies renouvelables, le tourisme durable, la gestion des océans ou les infrastructures sportives. Plus d’un tiers des parties à l’accord de Paris, dont l’Inde et l’Arabie Saoudite, n’avaient pas soumis leurs CDN au moment de l’ouverture de la conférence, et les rapports qui ont été soumis ne permettraient de réduire les émissions mondiales que de 12 % par rapport aux niveaux de 2019 jusqu’en 2035, alors que selon le GIEC, une réduction de 60 % est nécessaire. (CCNUCC 2025)
Financement. A Belém, trop peu d’attention a été accordée aux caractéristiques structurelles de l’architecture financière internationale qui maintiennent les coûts d’emprunt à un niveau élevé, restreignent la marge de manœuvre politique et limitent la capacité des pays à investir à hauteur des ambitions climatiques. Beaucoup de pays Africains restent exposés à des chocs de liquidité, à la volatilité des flux financiers et une dépendance à la dette. Les réformes nécessaires dans l’ensemble de l’architecture financière ont été identifiées, allant de la résolution des surendettements à la réduction du coût du capital et à la protection de l’Etat pour une vision à long terme. Cette année, les pays africains verseront près de 89 milliards $ au titre du service de la dette, ce qui signifie que plus de la moitié des pays du continent dépensent davantage en intérêts qu’en éducation ou en santé.
La COP29 à Bakou n’avait pas adopté d’objectif secondaire en matière de financement de l’adaptation dans le cadre du nouvel objectif collectif quantifié ( NCQG). Les pays ont convenu de « s’efforcer de tripler au moins » le financement de l’adaptation d’ici 2035, reconnaissant ainsi que le financement actuel est loin d’être suffisant. Toutefois, les détails restent incertains. L’accord ne définit pas d’année de référence, ne crée pas d’exigences contraignantes et ne précise pas comment cette augmentation sera mise en œuvre. Selon certains rapports, les besoins financiers de l’Afrique en matière de climat s’élèvent désormais à plusieurs milliers de milliards. Le continent est confronté à des vagues de chaleur, des inondations et des sécheresses de plus en plus graves qui peuvent entraîner l’effondrement des systèmes alimentaires et des déplacements de population, a averti le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) dans son sixième rapport d’évaluation publié en 2023. Les accords de la COP30 ont également fourni des orientations aux principaux fonds climatiques, notamment le Fonds vert pour le climat, le Fonds pour l’environnement mondial et le Fonds d’adaptation, afin qu’ils renforcent leur soutien aux plans nationaux d’adaptation. Au cours des négociations, 135 millions de dollars supplémentaires ont été promis au Fonds d’adaptation. Le Fonds pour la réponse aux pertes et dommages est pleinement opérationnel et a débloqué 250 millions $ dans le cadre du premier appel à demandes de financement. L’examen du Mécanisme International de Varsovie (WIM) a été adopté, mais sans tenir compte de l’avis consultatif de la Cour internationale de justice sur le changement climatique demandé par certaines Parties.
Adaptation & Atténuation. L’adaptation au changement climatique, c’est-à-dire les moyens pratiques mis en œuvre par les pays pour se préparer et faire face aux effets du réchauffement climatique, couvre tous les domaines, du renforcement des côtes à la recherche de cultures résistantes à la sécheresse. L’objectif de l’Accord de Paris de limiter à +1,5 °C le réchauffement mondial par rapport à l’ère préindustrielle est inscrit dans l’accord final de la COP30, mais aucune obligation d’aligner les politiques nationales sur cet objectif n’a été instaurée ! Nous savons depuis 50ans que le charbon, le pétrole et le gaz sont responsables de la majeure partie des émissions. Et pourtant, sous la pression des lobbies pétroliers, la COP a une nouvelle fois adopté un texte final qui ne mentionne même pas les énergies fossiles. À la place, une « feuille de route » soutenue par 80 pays doit permettre de faire avancer la transition énergétique. La COP n’a pas réussi à envoyer un signal clair indiquant que l’ère des énergies fossiles touche à sa fin. Mais elle a montré à quel point la course est désormais serrée : le passé contre l’avenir, le charbon contre le solaire, le multilatéralisme écologique contre le nationalisme fossile. Le simple fait que ce débat acharné ait lieu est en soi un signe paradoxal de progrès. Il y a quelques années, le camp des énergies fossiles semblait intouchable. Les négociateurs de la COP30 ont travaillé sur des lignes directrices menant à la création d’un mécanisme de transition juste, qui consiste essentiellement en une stratégie visant à garantir que le passage à une économie verte soit équitable pour tous. L’objectif de ce mécanisme est de promouvoir la coopération internationale, l’assistance technique, le renforcement des capacités et le transfert de connaissances afin de « permettre des transitions justes, équitables et inclusives ». Plusieurs principes d’une transition juste ont déjà été reconnus à l’issue des dialogues menés ces dernières années. Cependant, d’autres questions urgentes relatives à la transition juste concernant les minéraux critiques ou le commerce, ainsi que des formulations plus fermes sur la transition vers l’abandon des combustibles fossiles ou sur des réductions profondes et rapides des émissions n’ont pas été incluses.
En marge des négociations officielles, le Brésil a lancé le Tropical Forest Forever Facility (TFFF), un nouveau fonds mondial d’un montant prévu de 125 milliards $ destiné à récompenser la protection des forêts sur pied. Hébergé par la Banque Mondiale, il privilégie les investissements plutôt que les aides traditionnelles. Le Forest and Climate Leader’s Pledge a été renouvelé, promettant 1,8 milliard $ pour la protection des territoires de la forêt tropicale pour les peuples autochtones, les communautés locales et les personnes d’ascendance africaine. Cette COP a marqué un tournant important pour la protection des forêts tropicales. Pendant des décennies, on a tenté, par la raison et les appels, d’empêcher le monde de détruire ses poumons verts. Aujourd’hui, on essaie plutôt les incitations financières. L’objectif était de collecter 25 milliards de dollars américains, et 6,8 milliards ont été promis. S’il serait naïf de se fier uniquement à ces promesses pour protéger les écosystèmes centraux, les grands débats autour de ce fonds pour la forêt tropicale ont eu un effet secondaire remarquable : jamais auparavant le rôle des communautés autochtones dans la protection de la biodiversité n’avait été aussi clairement mis en avant. Grâce à leur pression, 15 nouvelles zones protégées ont été créées en Amazonie, une avancée modeste mais historique. Les systèmes alimentaires représentent environ 30 % des émissions mondiales, et l’agriculture industrielle reste la principale cause de la destruction des forêts. L’alimentation a été un thème récurrent parce que le Brésil a mis la faim au centre des débats et a insisté pour l’intégrer dans les discussions sur le climat. Cela s’explique également par le statut du Brésil en tant que grenier mondial et grand exportateur, un rôle qu’il a acquis après avoir rapidement changé de cap, passant du statut d’importateur net de denrées alimentaires au cours des dernières décennies. Mais cela s’est accompagné de coûts environnementaux importants, allant de la déforestation aux émissions élevées de méthane provenant du bétail.
Conclusion. Les tensions internationales s’intensifient rapidement et chacune des récentes COP s’est déroulée dans le contexte d’une crise supplémentaire. La COP26 à Glasgow a été reportée en raison de la pandémie de Covid et des bouleversements socio-économiques qui l’ont accompagnée. L’année de la COP27, la Russie a attaqué l’Ukraine. Peu avant la COP28, la guerre à Gaza a éclaté et peu avant la COP29, Donald Trump a été réélu président des États-Unis. La COP30 s’est désormais déroulée dans le contexte du deuxième retrait de Trump de l’accord de Paris et d’une politique commerciale américaine résolument conflictuelle, tandis que l’Union européenne et la Chine imposent également de plus en plus de restrictions au commerce international. Tout cela alors que la crise climatique s’accélère, causant déjà de graves dommages aux écosystèmes et aux moyens de subsistance des populations. A cela s’ajoutent les tendances à la polarisation sociale dans de nombreux pays à travers le monde et la diffusion délibérée de fausses informations, qui rendent aujourd’hui beaucoup plus difficile la mise en œuvre d’une politique climatique ambitieuse.
Au vu de la faiblesse de la déclaration finale et du nombre important de lobbyistes issus du secteur des énergies fossiles et du secteur agroalimentaire, la question se pose à nouveau de savoir dans quelle mesure le format COP est encore adapté ! Actuellement, c’est le seul espace du multilatéralisme où tous les États sont représentés. Ne serait-ce que pour cette raison, il faut se battre pour plus d’intégrité et de solidarité. Dans le même temps, il vaut la peine de s’intéresser à de nouveaux formats : en 2026, le premier sommet pour un accord mondial sur la sortie des énergies fossiles aura lieu en Colombie. Et les communautés autochtones autour de Belém ont montré à quoi peut ressembler le leadership aujourd’hui et que l’approche consistant à penser la protection du climat de manière radicalement locale connaît un succès croissant. Nothing about us without us. Nous vivons dans un Monde en pleine crise, avec ses contradictions : des moyens financiers énormes provenant des rendements fossiles, des Etats qui planifient de nouveaux gisements, 5 millions d’employés dans les mines de charbon Indiennes, des Etats insulaires pour lesquels la protection du climat est synonyme de survie et d’exil ! . Pour beaucoup en Afrique, ce qui devait être un tournant décisif s’est révélé une nouvelle occasion manquée, l’espoir d’une action climatique ambitieuse se heurtant à la logique économique et aux intérêts égoïstes des grandes puissances.

