Par Meissa Lo, Expert financier , Consultant international en finance de marché , Fondateur du think tank Millenium African Institute Nations et démocratie , Membre de la société française des analystes financiers (SFAF).
Une concentration inédite des fêtes religieuses entre décembre de N-1 et juillet de N, quels risques économiques pour les ménages ?
En observant les cycles économiques et données futures, nous pouvons constater une succession de fêtes en quelques mois : un phénomène rare, arrivant quasiment tous les 33 ans.
Entre décembre de l’année N-1 et juillet de l’année N, le Sénégal connaîtra, de manière répétée entre 2026 et 2029 ou au-delà, une concentration inédite des grandes fêtes religieuses. Sur une période de sept mois seulement, plusieurs célébrations majeures se succéderont : Maouloud (Gamou) : naissance du Prophète Muhammad (souvent entre novembre et janvier selon le calendrier lunaire), le Magal de Touba : grand pèlerinage mouride, le Ramadan : mois sacré de jeûne, et la fête de Korité (Aïd el-Fitr) : fête de fin de Ramadan, sans compter les appels religieux et ziarras dans diverses cités religieuses, ainsi que la fête de Tabaski (Aïd el-Kébir).
Cette densité exceptionnelle de célébrations, toutes marquées par des dépenses importantes, est appelée à créer des tensions économiques et sociales sans précédent, dans un contexte de forte inflation nationale et mondiale. Des dépenses massives seront concentrées sur le premier semestre des années à venir. Le mois de janvier a toujours été considéré comme un mois de tension de trésorerie du fait des fêtes de fin d’année assez budgétivores, entraînant par ricochet un essoufflement des ménages en janvier et février. Mais à partir de 2026, voire 2027, les fêtes religieuses suivront immédiatement les fêtes de fin d’année, entraînant davantage cette tension de trésorerie dans les foyers et pouvant provoquer des causes de tensions socio-politiques dans les États sous-développés comme le Sénégal.
Les fêtes religieuses sont des moments de forte consommation au Sénégal : vêtements neufs, denrées alimentaires, achat de moutons, transport vers les villes saintes, dons religieux, etc. Elles mobilisent des ressources financières significatives, souvent bien au-delà des moyens réels des ménages. D’ailleurs, un phénomène visible dans presque tous les pays ouest-africains, notamment ceux où la religion musulmane est la plus prédominante.
En temps normal, ces fêtes sont réparties sur l’ensemble de l’année, permettant aux ménages de reconstituer progressivement leur épargne. Entre 2026 et 2032, la coïncidence de ces événements sur un semestre obligera les familles à dépenser en rafale, avec peu ou pas de temps pour se redresser financièrement.
On s’achemine vers une pression inflationniste accrue. La demande explosive sur des produits spécifiques (moutons, sucre, huile, habits traditionnels) fera flamber les prix.
Les commerçants, anticipant cette demande, pratiqueront une inflation opportuniste. Le peu d’épargne que possèdent certains Sénégalais s’épuisera.
La quasi-totalité des revenus et des petites épargnes sera mobilisée sur le premier semestre. Beaucoup de familles perdront leur capacité de résilience face à des imprévus (maladie, scolarité, etc.), phénomène qu’on avait observé en 2020 ou 2021 pendant la COVID-19 ou après COVID avec les confinements et arrêts économiques.
Les ménages n’auront d’autre choix que de recourir massivement au crédit informel. Ils risquent de se tourner vers des tontines ou des prêts à taux usuraires pour faire face aux dépenses festives. Cela accroît les risques de surendettement informel, difficilement traçable et régulable. Les transferts de la diaspora seront sous pression ; la demande s’accentuera de ce côté.
Les ressources envoyées par la diaspora devront être concentrées sur quelques mois, mettant sous tension la capacité des expatriés à soutenir durablement leurs familles.
Il est alors important que nos dirigeants actuels fassent attention et soient suffisamment alertes concernant ce stress financier généralisé à venir.
Une frustration sociale est inévitable : impossibilité pour certains ménages de suivre le rythme imposé par les exigences sociales des fêtes.
Ainsi, il urge de s’atteler à une veille inflationniste renforcée, de surveiller les prix et de lutter contre la spéculation abusive, ainsi que d’accompagner les ménages vers une diversification des revenus.
La période 2026-2029 et au-delà risque de poser un véritable défi budgétaire aux ménages sénégalais en raison de la concentration des fêtes religieuses sur le premier semestre. Si rien n’est fait pour anticiper et accompagner ces dynamiques, les risques d’inflation, d’endettement et de fracture sociale pourraient s’amplifier, avec des répercussions durables sur l’économie et la cohésion sociale du pays. Et donc, toute tension politique devrait être évitée afin de ne pas donner de prétextes à des perturbations de la stabilité du pays, qui est en construction.