Par professeur Amath Ndiaye, FASEG -UCAD.
Alors que les États-Unis envisagent d’augmenter les droits de douane à l’encontre de plusieurs partenaires commerciaux, l’Afrique semble, à première vue, peu concernée. En 2023, le continent n’a en effet représenté qu’environ 0,76 % des importations américaines, soit 29,3 milliards de dollars sur un total de 3 831 milliards. Un chiffre modeste qui masque pourtant des risques bien réels, notamment pour certains pays africains ayant jusqu’ici bénéficié des avantages offerts par l’AGOA.
Des pays exposés : Éthiopie, Lesotho, Madagascar, Afrique du Sud
Certains pays africains ont su tirer profit de l’AGOA (African Growth and Opportunity Act), une loi américaine qui permet à de nombreux produits en provenance d’Afrique d’entrer sur le marché américain sans droits de douane :
- Le Lesotho, petit royaume d’Afrique australe, a développé une part importante de son secteur textile autour des exportations vers les États-Unis. Aujourd’hui, plus de 80 % de ses exportations textiles sont destinées au marché américain.
- Madagascar a également construit un secteur textile dynamique grâce à l’AGOA, notamment dans la confection de vêtements et d’articles en coton.
- L’Éthiopie, avant d’être suspendue du programme pour des raisons politiques, avait connu une explosion de ses exportations textiles vers les États-Unis, générant des milliers d’emplois dans des zones industrielles comme celle de Hawassa.
- Quant à l’Afrique du Sud, elle demeure le premier exportateur africain vers les États-Unis, avec 13 milliards de dollars d’exportations en 2023 (soit plus de 8 % de ses exportations totales), principalement dans les secteurs de l’automobile, des métaux précieux et de l’agroalimentaire.
Si les États-Unis augmentaient les tarifs douaniers ou réduisaient l’accès préférentiel à leur marché, ces pays risqueraient de perdre leur compétitivité, menaçant l’effondrement de secteurs entiers.
Des effets indirects : un risque pour tous
Même les pays africains moins directement exposés pourraient subir les conséquences :
- Un ralentissement du commerce mondial pèserait sur la demande de matières premières africaines, entraînant une baisse des recettes d’exportation.
- Un dollar plus fort alourdirait le fardeau de la dette extérieure, souvent libellée en dollars.
- L’incertitude généralisée pourrait provoquer une fuite des capitaux, déstabilisant ainsi les monnaies africaines.
La réponse : miser sur le commerce intra-africain
Aujourd’hui, les échanges commerciaux entre pays africains restent faibles : seulement 15 % du commerce total est intra-africain, contre plus de 60 % en Europe. Pourtant, un outil stratégique a été mis en place : la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf).
Cette initiative vise à créer un marché commun africain en supprimant progressivement les barrières douanières entre pays du continent. Bien mise en œuvre, la ZLECAf pourrait :
- stimuler la production locale,
- diversifier les économies,
- et réduire la dépendance aux marchés extérieurs comme celui des États-Unis.
L’Afrique ne peut plus se permettre de rester vulnérable aux décisions prises à Washington, Pékin ou Bruxelles. Les chocs extérieurs rappellent l’urgence de renforcer l’intégration économique du continent. La ZLECAf n’est pas seulement un projet politique : c’est une nécessité stratégique. Plus que jamais, il est temps de croire au potentiel du marché africain.
Pr. Amath NDiaye, FASEG – UCAD.