Par Monsieur Mossadeck Bally, Mentor et Président du Groupe Azalai
Et Stéphanie Manguele, Avocat chez Thiam & Associés.
L’Afrique domine le secteur de l’entrepreneuriat féminin : près de 25% de femmes se lancent dans l’entrepreneuriat contre 6% en Europe. L’entrepreneuriat féminin connaît ainsi une dynamique sans précédent en Afrique, avec un nombre croissant de femmes entrepreneures qui lancent et dirigent des entreprises. Souvent motivées par la nécessité de subvenir aux besoins de leur famille et de leur communauté, ces femmes aspirent à l’autonomie financière et à l’émancipation. Elles investissent de nombreux secteurs notamment l’agriculture, l’artisanat, le commerce, les services, contribuant ainsi à la création d’emplois, la stimulation de la croissance économique et la réduction de la pauvreté. Les économistes estiment d’ailleurs la valeur totale créée par l’entrepreneuriat féminin en Afrique entre 250 et 300 milliards de dollars d’ici 2030, soit environ 12-14% du PIB du continent. Ce potentiel ne parvient toutefois pas à s’exprimer du fait des nombreuses difficultés auxquelles sont confrontées les femmes entrepreneures en Afrique, au premier chef desquelles, l’accès limité au financement.
I. L’accès limité aux ressources financières
Malgré la contribution significative des femmes entrepreneures à l’économie africaine, leur accès aux financements reste un parcours semé d’embûches. En effet, si environ 58% des projets sont initiés par des femmes, seulement 30% d’entre elles ont accès aux financements formels. Inversement, les entreprises appartenant à des hommes bénéficient de 6 fois plus de capital que celles aux mains des femmes. Or, le fait que les femmes aient moins accès aux actifs affecte leur capacité à obtenir des prêts et donc la croissance de leur entreprise. Plusieurs raisons peuvent expliquer cette exclusion. D’une part, le manque de garanties traditionnelles exigées par les institutions financières. Ces dernières demandent habituellement des actifs immobilisés comme garanties que les femmes possèdent rarement en raison des inégalités dans l’accès à la propriété foncière. Le défaut de garanties a logiquement pour corollaire l’application de coûts de crédit élevés, entre 20 et 40%, qui sont naturellement prohibitifs pour des entrepreneurs débutants. Cela s’explique notamment par les stéréotypes sociaux et culturels qui desservent les femmes entrepreneures en les excluant des réseaux d’affaires dominés par les hommes. Le manque de ressources financières nuit d’une manière générale considérablement à la pérennité des jeunes pousses africaines dirigées par des femmes entrepreneures qui n’ont plus d’autre choix que de se tourner vers leurs proches (love money). Toutefois, cette alternative reposant sur des microcrédits à répétition, à faibles montants, ne peut pas être une solution viable sur le long terme.
II. Le secteur privé en soutien à l’entrepreneuriat féminin
Les solutions concrètes visant à lever les fonds pour l’entrepreneuriat féminin manquent à l’appel. Au regard des défaillances gouvernementales, le secteur privé s’est emparé de la question et a pris les devants. La Banque africaine de développement a ainsi pris l’initiative AFAWA pour favoriser l’accès des femmes au financement en Afrique. AFAWA s’appuie sur les divers instruments financiers de la Banque africaine de développement et propose des solutions novatrices afin d’inciter les institutions financières à octroyer des prêts aux femmes, notamment un instrument de partage des risques doté de 300 millions de dollars, à même de débloquer 3 milliards de dollars de crédit en faveur d’entreprises détenues et/ou dirigées par des femmes en Afrique. Ce mécanisme s’appuie sur le réseau existant de banques commerciales et d’organismes de microfinance, afin de créer un changement structurel et un impact durable pour les femmes. AFAWA dispense par ailleurs des services de conseil aux femmes entrepreneures avec des formations visant à améliorer la productivité et la croissance de leurs entreprises.
Au niveau régional, la Fondation AZALAÏ a mis en place l’initiative AZALAÏ Pitch, un programme d’accompagnement qui vise à soutenir et à promouvoir des initiatives portées par des femmes dans tous les secteurs d’activité. Concrètement, ce programme est une opportunité pour les femmes entrepreneures de se connecter aux investisseurs, facilitant ainsi leur accès aux ressources financières et aux opportunités. Soutien de taille à l’entreprenariat féminin en Afrique, AZALAÏ Pitch couvre 7 pays dont le Sénégal, le Mali, la Côte d’Ivoire, le Bénin, le Burkina Faso, la Guinée Bissau et la Mauritanie. Dans le même ordre d’esprit, Women Investment Club (WIC), le premier fonds d’investissement d’Afrique de l’Ouest dédié aux entreprises dirigées par des femmes, apporte un financement et un soutien technique aux projets portés par des femmes à fort potentiel de croissance.
III. Défi socio-culturel et solutions éducatives
Concernant les problématiques sociales et culturelles, l’éducation joue ici un rôle clé. L’entrepreneuriat féminin ne peut s’inscrire dans la durée que s’il est accompagné d’une formation appropriée des jeunes filles par la scolarisation des filles et à la promotion de l’égalité des sexes. Aujourd’hui, les inégalités hommes-femmes coûtent environ 95 milliards de dollars à l’Afrique, soit 6% du PIB du continent. Il est dès lors impératif de proposer des cursus de formation adaptés à ces femmes pour donner aux femmes entrepreneures les moyens de s’émanciper au maximum. Trop peu d’actions concrêtes ont été réalisées dans ce sens, en particulier dans les zones enclavées.
La promotion de l’égalité homme-femme doit être au cœur des politiques gouvernementales. Ces dernières doivent promouvoir l’entrepreneuriat féminin. Cela peut se faire notamment par la création de conditions optimales pour faire prospérer l’entrepreneuriat féminin. Il s’agit ici de garantir à tous, sans distinction de genre, un meilleur respect des droits individuels et des libertés publiques et l’amélioration de l’environnement des affaires. La promotion de l’entrepreneuriat ne pouvant se dissocier de la nécessaire protection des droits des femmes, une attention particulière doit être mise sur l’amélioration du statut juridique de la femme, la lutte contre les violences faites aux femmes, la valorisation des ressources humaines féminines dans tous les secteurs de développement, la participation effective des femmes dans la prise de décisions et la promotion d’un système éducatif inclusif.
Investir dans l’entrepreneuriat féminin est donc l’un des moyens les plus efficaces d’accroître l’égalité et de promouvoir une croissance économique inclusive. Si les pays africains ont déjà accompli d’importants progrès en faveur de l’éducation et de l’autonomisation des femmes, le fossé reste considérable. Les femmes entrepreneures demeurent confrontées à un plafond de verre qui entrave la mise en place et le développement de leurs projets. Les décideurs publics et privés doivent agir de concert afin de créer un cadre réglementaire propice à l’essor de l’entrepreneuriat féminin et offrir davantage d’opportunités de financement aux femmes entrepreneures afin de leur permettre de devenir pleinement des actrices de la croissance africaine. Des réussites telles que celle d’Ayite Maureen avec Nanawax ou d’Isseu Diop avec Mburu démontrent à suffisance que les femmes entrepreneures constituent une force vive sur laquelle il faudra compter dans les prochaines décennies si l’on veut atteindre les objectifs de développement durable.