Par Monceyf Fadili et Prudence Adjanohoun
Le présent article se veut une contribution au débat, dans le cadre du premier Forum Africain de l’Urbanisation « Urbanisation durable pour la transformation de l’Afrique – Agenda 2063 » (Addis Abeba, 4-6 septembre 2024) organisé par l’Union Africaine avec le soutien de UN-Habitat et de laCommission économique des Nations Unies pour l’Afrique(CEA). Une réflexion sous l’approche du droit à un logement abordable et décent pour tous en Afrique, réalisée par Monceyf Fadili, Expert international en planification urbaine et développement territorial et ancien Conseiller UN-Habitat et Prudence Adjanohoun, Secrétaire général du Réseau Habitat et Francophonie et chargé de mission à l’Union sociale pour l’habitat.
L’Afrique évolue vers une urbanisation irréversible. Avec 1,4 milliard d’habitants en 2023, dont 600 millions dans les villes, le continent comptera 50% d’urbains en 2030 et 70% en 2050, dans un contexte de mutation urbaine et de défis croissants. Avec 12 villes de plus de 4 millions d’habitants et 3 villes de plus de 10 millions, l’Afrique connaît une urbanisation de la pauvreté : plus de 60% des citadins vivent dans l’habitat informel, composante majeure de l’habitat dans les villes etmégalopoles – Abidjan, Addis Abeba, Kinshasa, Lagos, Le Caire, Nairobi.
Synonymes d’exclusion, de fracture urbaine et d’échec des politiques publiques, les quartiers informels et les bidonvilles sont aussi une menace pour la stabilité politique et sociale des villes. Celles-ci constituent pourtant une opportunité pour l’Afrique (70 à 80% du PIB), pour peu que les gouvernements se donnent les moyens d’exploiter cette croissance urbaine pour une urbanisation durable.
L’accès au logement pour tous : un défi prioritaire
Le droit au développement comme « droit universel et inaliénable, partie intégrante des droits humains fondamentaux » (Nations Unies) s’applique au logement, face aux violations, aux évictions forcées et aux expropriations abusives. Ce droit est adopté par la Conférence des Nations Unies sur les établissements humains – Habitat II (1996), engageant la responsabilité des États à «garantir à tous un logement décent et à rendre les établissements humains plus sûrs, salubres, vivables, équitables, durables et productifs ».
Repris dans les agendas internationaux, notamment l’Agenda 2063 de l’Union africaine (2015), ce « plein exercice du droit à un logement décent » évolue en force de persuasion avec le programme Cities Without Slums lancé par UN-Habitat (2000), intégrant cet objectif dans les stratégies nationales et la réalisation des OMD.
En 2010, une première évaluation retenait que sur les 17 États ayant réalisé un taux de réduction des bidonvilles significatif, 6 étaient Africains : Rwanda (20,4%) ; Ouganda (22,1%) ; Sénégal (22,2%) ; Ghana (25,6%) ; Égypte (39,2%) ; Maroc (45,8%), soit 11% des États du continent ayant engagé des politiques en faveur de l’accès à un logement décent pour tous. Très peu, au vu des retards accumulés et des projections qui verraient passer le nombre d’habitants dans les bidonvilles de 400 millions en 2016 à 1,2 milliard en 2050.
Le programme Villes sans bidonvilles au Maroc : une bonne pratique
Le programme « Villes sans bidonvilles » est lancé en 2004 sur initiative royale. D’envergure nationale, il ambitionne de résorber les bidonvilles par l’accès des ménages à un logement décent à travers (i) le recasement ; (ii) le relogement à moindre coût ; (iii) la restructuration in situ, sur la base d’un contrat de ville associant les départements ministériels, les opérateurs publics, les municipalités, la société civile et lespopulations des bidonvilles. Un programme concernant 85 villes pour 464.000 ménages (2.300.000 hab.), procédant de la volonté politique de promouvoir une approche basée sur les droits humains, l’inclusion urbaine et la réduction de la pauvreté.
Entre 2004 et 2015, 55 villes étaient déclarées sans bidonvilles, soit 1.300.000 hab. pour un coût global de 3,5 milliards US$ dont 1 milliard de subvention de l’Etat (30%), le reste étant réparti entre la péréquation des opérations (54%) et la contribution des ménages (16%).
A juillet 2024, le programme atteignait un taux de réalisation de 75% pour un coût global de 4,7 milliards US$, soit 347.000 ménages. Une bonne pratique qui donne la mesure d’une démarche politique volontariste, inscrite dans le cadre de stratégies nationales de développement, et aspirant à garantir un logement décent pour tous et un meilleur avenir urbain.
Relever le défi de l’abordabilité du logement en Afrique d’ici 2063
Le développement des villes, le changement climatique, la croissance démographique, les problématiques foncières, l’accessibilité, l’abordabilité et la disponibilité des logements, ainsi que les dynamiques de rajeunissement ou de vieillissement des populations et les impacts des crises successives, soulignent la nécessité de repenser et de redynamiser les politiques de logement en Afrique. Ces enjeux requièrent des approches innovantes et collaboratives.
Parmi les principaux enseignements sur le logement social en Afrique, nous retenons l’importance du rôle actif des États dans la régulation du marché de l’immobilier. Cela inclut la lutte contre la spéculation foncière, l’augmentation de l’offre de logements et l’encadrement rigoureux de l’attribution de logement pour garantir un accès équitable et adapté aux besoins de la population.
Et bien que la mise en œuvre de ces politiques relève exclusivement de la compétence des États, l’Union africaine a un rôle fondamental à jouer pour encourager et soutenir activement le secteur du logement social en réponse à la demande sans cesse croissante.
Six recommandations majeures pourraient permettre de relever le défi de l’abordabilité du logement en Afrique d’ici 2063 :
1. Lancer un Plan du logement en Afrique et accompagner sa mise en œuvre
Le logement est un investissement social, stratégique et essentiel pour le bien-être des citoyens et la cohésion sociale. Cette stratégie vise donc à soutenir le développement du logement abordable, à améliorer son encadrement juridique, à fixer des objectifs de production, à accélérer la maîtrise foncière et à intégrer des solutions durables pour réduire l’empreinte carbone.
2. Élaborer une stratégie de financement à long terme, à taux fixe et à grande échelle
Il est impératif de mobiliser des ressources concessionnelles de longue durée et à taux fixe pour financer les logements sociaux. L’épargne populaire, y compris celle de la diaspora, doit être davantage exploitée et les banques de l’habitat doivent être renforcées. La mise en place de Fonds structurels et la contribution des entreprises demeurent également des leviers intéressants à explorer ; de même que la participation des partenaires au développement qui pour certains d’entre eux, interviennent déjà dans le secteur.
3. Structurer l’écosystème du logement et promouvoir les matériaux locaux
Le logement social doit être considéré comme un écosystème où chaque acteur, qu’il soit public, privé ou de la société civile, joue un rôle crucial. Cet écosystème gagnerait à être mieux structuré. Il convient également de favoriser la promotion des matériaux locaux. Ils permettent en effet de réduire les coûts de construction, de stimuler l’économie locale et de contribuer à la création de logements plus écologiques et accessibles pour tous.
4. Renforcer les capacités des acteurs du logement et promouvoir la recherche
Le développement des compétences dans les domaines tels que l’aménagement du territoire, la maîtrise d’ouvrage et la gestion locative est essentiel pour permettre aux acteurs de mieux planifier, de mieux financer et mieux exécuter les programmes de logement social, tout en améliorant la qualité de vie des résidents. Sur ce volet, le besoin est exponentiel et ne pourra être satisfait qu’à travers une structuration denouvelles offres de formations en lien avec les organismes dédiés et les milieux universitaires.
5. Organiser une réunion annuelle des ministres du logement des États membres de l’Union africaine
Cette réunion permettrait de coordonner les politiques nationales, de partager les meilleures pratiques, et de renforcer la coopération pour harmoniser les approches et suivre les stratégies communes.
6. Encourager l’innovation à travers la tenue d’un Sommet annuel sur le logement social
Cette rencontre permettrait aux acteurs africains du logement d’échanger de façon plus régulière sur les pratiques professionnelles identifiées comme étant des modèles de réussite. A titre d’exemple, en matière d’accompagnement des coopératives d’habitat, la Banque de l’habitat du Sénégal dispose d’une expertise unique en Afrique. Au Kenya, le Fonds national pour le développement du logement, est un modèle régulièrement cité.