Erwan Davoux, chiraquien, est candidat aux législatives dans la 9ème circonscription des Français établis à l’étranger (Maghreb et Afrique de l’Ouest). Pour cet ancien Fonctionnaire au ministère de l’Intérieur et de la Défense, ancien Chargé de mission à la Présidence de la République et conseiller pour l’international de Jean-Pierre Raffarin et d’Alain Juppé, l’heure n’est plus à parler de déclin mais plutôt de déclassement.
Le diagnostic est cruel. L’heure n’est plus à parler de déclin mais plutôt de déclassement, voire de disparition de la France dans les grandes affaires du monde. Ce recul français est particulièrement marqué en Afrique de l’Ouest et au Maghreb.
Hollande, Macron : même échec
Depuis quelques années, la France assiste, impuissante, aux grands désordres du monde. Sa voix n’est plus entendue et, pire encore, attendue. François Hollande et Emmanuel Macron ont tué la politique étrangère (gaullienne) de la France. Le constat est là.
Les deux portent une lourde responsabilité dans cette situation. Les associer peut paraître étrange tant les hommes sont différents et aujourd’hui adversaires, Néanmoins, en matière diplomatique, Emmanuel Macron n’aura été qu’un continuateur dans l’échec cuisant de François Hollande. Quels facteurs propres aux deux hommes sont entrés en jeu ?
Citons, tout d’abord, l’inexpérience totale qui est la leur dans le domaine international lorsqu’ils arrivent au pouvoir. Or la politique étrangère ne s’invente pas. Il ne suffit pas d’avaler des notes, de publier des communiqués convenus et d’assister à des sommets internationaux protocolaires pour peser sur les affaires du monde. Elle nécessite un apprentissage long qui s’acquiert au fil des déplacements à l’étranger (François Hollande n’était, par exemple, jamais allé en Chine avant son arrivée au pouvoir) qui permet de développer des réseaux, de connaître intimement ses homologues, de s’imprégner d’une sensibilité, d’apprivoiser les cultures étrangères et ainsi d’être en mesure par une politique étrangère audacieuse, particulière, avant-gardiste, suscitant de la sympathie, de permettre à la France de résoudre la quadrature du cercle : comment un pays de taille moyenne, dont la population est faible à l’échelle du globe, peut-il peser sur les affaires du monde ?
D’autres facteurs ont joué également dans la continuité entre les deux hommes : ce sont les mêmes diplomates qui sont globalement à la manœuvre, marqués par leur attachement partisan au PS, plus particulièrement à son aile droite atlantiste, alignée sur les Etats-Unis. De Bernard Kouchner à Stéphane Séjourné en passant par Laurent Fabius et Jean-Yves Le Drian, la ligne na varie pas. Chacun se souvient aussi de Franck Paris, patron de la « cellule Afrique » de l’Élysée, qui, pendant six ans, aura largement contribué à accélérer le rejet de la politique africaine de la France
LE TOUT MILITAIRE AU DETRIMENT DU POLITIQUE
Les politiques de François Hollande et d’Emmanuel Macron s’inscrivent dans une continuité d’échecs : le tout-sécuritaire au détriment du politique. Il existe un biais, un tropisme, purement militaire. En effet, la politique de François Hollande vis-à-vis de l’Afrique dont Jean-Yves Le Drian fut le grand metteur en scène, se sera étroitement cantonnée à la seule sphère sécuritaire, sans vision politique concomitante. Certes, François Hollande a eu à gérer les conséquences terribles de l’affaire libyenne et du déferlement d’armes dans la région. Était-ce une raison pour oublier qu’une crise militaire ne peut avoir qu’une résolution politique ? C’est le malheur de nos amis africains qui lui a permis d’exister, au Mali comme en République centrafricaine. La stabilisation, la construction d’un processus politique réaliste et inclusif sont relégués au second plan. Au Mali, la France est intervenue tardivement, de manière totalement isolée et sans rien à proposer pour l’après ni parvenir à mettre autour de la table les principaux États concernés.
La politique d’Emmanuel Macron, toujours très tributaire de Jean-Yves Le Drian, se situera dans la continuité. De la fin de Barkhane à l’expulsion humiliante du Niger, le politique aura été totalement défaillant. Au Niger, toutes les erreurs ont été commises et d’autant plus marquées qu’à chaque discours martial aura suivi une reculade de la France.
On croit alors rêver lorsque l’on entend Emmanuel Macron, le 24 septembre 2023, estimer nécessaire, grand seigneur, d’absoudre nos militaires pour Serval, Barkhane puis le piteux retrait du Niger. La seule responsabilité de cet échec est politique, un échec coconstruit par François Hollande et lui-même ! L’armée française, elle, a été à la hauteur.
CES ATTITUDES INCONVENANTES
Il y a aussi des mots, des attitudes, des comportements qui ont blessé et ruiné la confiance de nos partenaires. À ce triste jeu des mauvaises blagues, François Hollande et Emmanuel Macron n’ont, hélas, pas de rivaux… Des boutades de François Hollande aux propos invraisemblables d’Emmanuel Macron à l’université de Ouagadougou le 28 novembre 2017.
Venu mettre officiellement un énième terme à la Françafrique, le président français aura, par son attitude désinvolte, contredit tout l’esprit (excellent) de son discours. S’adressant au Président burkinabé : « Du coup, il s’en va… Reste là ! plaisante le président français. Du coup, il est parti réparer la climatisation ». Quelques instants d’autosatisfaction et de rires, la ruine de notre crédibilité politique à long terme. Emmanuel Macron se fera aussi reprendre de volée en République démocratique du Congo par le président Félix Tshisekedi, le 4 mars 2023, sur le « compromis électoral à l’africaine » dont il tentera, sans succès, d’exonérer Jean-Yves Le Drian (encore lui !)
Non conscients que les peuples africains souhaitaient ardemment passer d’une indépendance formelle à une indépendance réelle, ils se sont comportés en petits marquis venant rendre visite à leur pré carré. Ils sont directement responsables de notre expulsion et miser aujourd’hui sur l’échec des coups d’États semble déjà une stratégie défaillante. Les nouveaux pouvoirs tiennent en place. La France semble complètement démunie.
AU MAGHREB L’EXPLOIT DE SE FACHER AVEC TOUT LE MONDE EN MEME TEMPS
Sous Jacques Chirac, la France entretenait des relations d’excellence et de confiance avec chacun des trois Etats du Maghreb. Nicolas Sarkozy a joué le Maroc contre l’Algérie et François Hollande l’Algérie contre le Maroc. Emmanuel Macron aura fait un mauvais usage du « en même temps » …. Pour aboutir à des fâcheries simultanées. L’alignement de la diplomatie française sur le gouvernement Netanyahou, la perte d’influence de la France au Proche-Orient auront fortement contribué à dégrader l’image de la France au Maghreb. La décision unilatérale et brusque de diminuer les visas de 50% dans une vision court-termiste et électoraliste a semé le doute sur la volonté de la France d’entretenir une relation apaisée et sereine avec le Maghreb. Le sentiment que la laïcité est dévoyée et qu’une religion particulière est dans le collimateur est présente dans beaucoup d’esprits. Beaucoup de Français considèrent ainsi que la France n’est plus elle-même.
QUE FAIRE POUR REMETTRE DU LIEN ?
Tout cela a naturellement une incidence directe pour les Français établis dans cette zone. Etre le ressortissant d’un pays aimé et admiré facilite la vie. Tel n’est plus le cas aujourd’hui.
Notre politique étrangère doit retrouver sa tradition gaullienne d’indépendance, de respect et d’imposition du droit international, de médiation entre les cultures, entre le Nord et le Sud pour en freiner ce déclin qui nous conduit peu à peu à devenir une puissance moyenne européenne alignée au sein d’un bloc.
En Afrique de l’Ouest, aucune politique d’envergure n’est venue remplacer la vieille FrançAfrique. Nous n’avons pas été capable de bâtir une politique renouvelée de partenariat d’égal à égal en conservant le caractère intense de notre relation.
Au Maghreb, il est temps de cesser de jouer les uns contre les autres et de construire une relation intense et adaptée, tenant compte des spécificités de chacun des trois Etats.
La confiance est aisée à briser mais difficile à restaurer. La France devra à nouveau susciter de la sympathie, remettre du lien avant d’espérer retrouver sa grandeur perdue.
Pour cela, il faut espérer un grand Ministre des Affaires étrangères dont nous sommes privés depuis longtemps.
Il est nécessaire que la cellule diplomatique de l’Elysée cesse de se substituer sans cesse au Quai d’Orsay. Il est grand temps de faire confiance à l’expertise de nos diplomates plutôt que de les rabaisser. Je salue à ce titre l’initiative courageuse prise par la plupart des Ambassadeurs en poste dans le monde arabe, en novembre 2023, pour rappeler au Président de la République que notre diplomatie suiviste et incohérente au Proche-Orient conduisait à une perte d’influence dans tout le monde arabe.
La France doit mener une politique étrangère en cohérence avec son histoire et sa position géostratégique. C’est en Méditerranée et en Afrique que se joue notre avenir. Nos destins sont liés. La France ne doit pas se laisser dicter ses priorités par les Etats-Unis, l’OTAN ou l’Union Européenne. S’engager pour faire respecter le droit international en Ukraine oui (mais pourquoi pas à Gaza ?). Faire de ce conflit l’alpha et l’oméga de notre politique étrangère est une erreur.
« C’est parce que nous ne sommes plus une grande puissance qu’il nous faut une grande politique, parce que, si nous n’avons pas une grande politique, comme nous ne sommes plus une grande puissance, nous ne serons plus rien. » disait le Général de Gaulle. Toute notre ambition doit se porter vers cela, retrouver une grande politique. Et pour cela, retrouver de Grands Hommes d’Etat en mesure de la porter.