Par DOURANDJI Jean Martin Leoba, économiste tchadien
À l’issue d’une élection sans surprise qu’il a rempoirté avec 61% des suffrages exprimés, Mahamat Idriss Deby Itno (MIDI) a été investi président du Tchad le 23 mai en présence de nombreux invités dont des chefs d’État africains.
Dans un discours d’investiture plutôt intéressant MIDI a fait pêle-mêle de promesses au point de faire douter ses compatriotes de leur réalisation. Se sachant très attendu, le chef de l’État n’a pas tardé à nommer son chef de gouvernement dans la foulée. Réputé très loyal aux Deby, la désignation de Allah-Maye Halina au poste de Premier ministre en remplacement de l’ambitieux et « encombrant » Succès Masra témoigne de la volonté du chef de l’État d’être le seul pilote à bord. Pour autant, Mahamat Idriss Deby qui est à la tête du cinquième pays le plus vaste d’Afrique et le vingtième au monde avec ses 18 millions d’habitants et un PIB de 18,69 milliards de dollars US parviendra-t-il a réussir là où ses prédécesseurs ont échoué ?
Le nouveau Premier ministre, un homme du sérail sans ambition
Le nouveau chef du gouvernement est un fidèle parmi les fidèles des Deby. Ce natif de Gounou-Gaya, une zone agricole du sud-ouest tchadien, a longtemps servi Deby père en tant que Directeur général du protocole d’État à la présidence de la République principalement. Puis en tant qu’Ambassadeur du Tchad en Chine sous MIDI qui ne tarit pas d’éloge dans son récent ouvrage « De Bédouin à Président » paru aux VA Editions.
Cette proximité est à la fois une force et une faiblesse pour Allah-Maye Halina : une force parce la confiance du chef de l’État lui est acquise ; une faiblesse parce qu’il n’aura vraisemblablement pas les coudées franches. Le chef de l’État a appelé à la désignation d’un homme du sérail pour avant tout exécuter son programme de campagne.
Aux antipodes de son illustre prédécesseur, Halina a déjà annoncé que le programme du chef de l’État était <<sacré>> et qu’il n’avait aucun répit ou période de grâce. Dans ce contexte, il ne fait aucun doute que le Premier ministre sera davantage une force d’execution que de proposition.
Un quinquennat social
Les discours politiques à l’occasion des grands événements sont généralement séduisants. Et c’est ce qui fût lorsque devant le parterre d’invités, Mahamat Idriss Deby a fait des annonces fortes pour un président tchadien. 70% des dépenses publiques seront consacrées au social avec l’objectif d’elever le niveau d’accès à l’eau, l’electricité, les soins de santé et l’éducation entre autres. Dans le même sillage, MIDI a promis porter à 7 000 le kilométrage des routes bitumées soit le double du chiffre actuel.
Le chef de l’État est issu d’un système dont on sait peu enclin au développement des secteurs sociaux. Il est, à cet égard important d’attendre l’effectivité de ces promesses pour applaudir.
La gouvernance, principal écueil à la reussite du programme de Mahamat Idriss Deby
À la suite de son discours d’investiture, l’on peut s’en apercevoir que le chef de l’État nourrit des ambitions pour le Tchad. Il demeure toutefois important de le souligner, la réalisation de son programme pour le Tchad dépend de la qualité des hommes et des institutions du pays. Que ça soit l’Indice Ibrahim de la Gouvernance en Afrique, du Country Policy and Institutionnal Assessment (CPIA) ou l’indice de perception de la corruption de Transparency International, le Tchad est toujours au bas du classement.
L’administration publique sera-t-elle à la hauteur ? Pas sûr. Car depuis de nombreuses années, des agents fictifs ou non qualifiés forment ses rangs en plus du laxisme, du clientélisme dont elle fait montre. Ce cancer en tout cas ne sera pas éradiqué en si peu de temps.
La lutte contre la corruption a toujours fait l’objet d’un traitement peu rigoureux permettant ainsi l’enrichissement illicite sur les revenus de l’Etat déjà dépendant de l’aide financière des bailleurs de fonds.
La gouvernance doit aussi prendre en compte l’amélioration de l’attractivité territoriale. Car point n’est besoin de rappeler le déficit accusé par le pays dans ce sens.
Quand au train de vie de l’État, l’on est tous d’accord qu’il est trop élevé. A cet effet, les gouvernants tchadiens qui ont toujours exercé des dépenses ostentatoires depuis l’avenement du pétrole, doivent pratiquer la rationalité. Il faut également éviter la création des institutions coquilles vides, l’achat des moyens roulants trop luxueux, etc. Ceci est a priori gage de crédibilité comme l’affirme si bien Mahatma Gandhi, <<montrer l’exemple n’est pas le meilleur moyen de convaincre, c’est le seul>>.
Au final les facteurs de réussite sont endogènes
Aussi bien ses soutiens que MIDI lui-même ont réaffirmé leur volonté de renoncer au gouvernement d’union nationale arguant la fin de la transition. Il en découle de là que le président de République va s’entourer désormais des hommes fidèles. Il apparaît dès lors que les facteurs de réussite de son programme décliné en 12 chantiers de 100 actions dépendent de sa gouvernance à lui-même. Aux grands maux les grands remèdes, il doit s’attaquer aux pratiques néfastes très courantes et enracinés depuis des décennies dans le pays. La lutte contre les injustices sociales, les crimes économiques, la priorisation des secteurs sociaux, la diversification économique, l’inclusivité, etc. tous ces éléments-là sont à son contrôle et de son gouvernement. En attendant les législatives dont sa Coalition arrivera grand favori, la Constitution aidant, car lui conférant de larges pouvoirs sans véritable contre-pouvoir dans la pratique, il lui revient donc de faire des arbitrages justes et de prendre les décisions idoines pour réussir à réaliser l’entiereté de ses promesses faites aux Tchadiens.