Par Abdoul Salam Bello, Administrateur, Groupe de la Banque Mondiale.
Le sport est un langage universel capable d’unir les peuples, quels que soient leur origine, leur vécu, leurs convictions religieuses ou leurs conditions économiques.
Kofi Annan
À l’heure où la flamme Olympique d’Athènes s’apprête à illuminer le monde du sport, l’Afrique reste dans l’ombre. Il semble toutefois paradoxal, que le continent le plus jeune du monde, où le sport est une valeur cardinale, ne parvienne pas à émerger sur la scène internationale. En effet, l’Afrique détient un potentiel inégalé pour devenir un haut lieu du sport au niveau mondial. Certains indices laissent même penser que la région serait apte, à terme, à accueillir la plus prestigieuse des compétitions sportives : les Jeux Olympiques.
Cependant, cette ambition dépend de conditions complexes, qui laissent transparaître le besoin d’une stratégie mêlant sport et développement aux quatre coins du continent. Malgré une absence à ce jour de données empiriques, il est clair que le sport détient un potentiel énorme sous-exploité en Afrique. Cette émergence, aussi indispensable qu’inévitable, ne pourra se faire sans un effort collectif soutenu et de long terme.
L’économie du sport, un cercle vertueux ?
Avec une croissance moyenne de 5% au cours des vingt dernières années, l’économie du sport se porte bien. A l’échelle globale, le sport pèse environ 1200 milliards d’euros, soit 2% du PIB mais seulement 0.5% du PIB africain, même si les prévisions de croissance tablent sur 8%.
En dépit des contraintes inhérentes au déficit de développement, le sport constitue un avantage comparatif pour l’Afrique. En effet, 70% de sa population a moins de 30 ans, ce qui permet de susciter des vocations alliant sport, éducation et formation, notamment la mise en place d’académies et de centres dédiés. Ainsi, l’institut Diambars au Sénégal, affiche des taux de réussite aux examens nationaux de 80%. Désormais, au-delà de ces structures prestigieuses dont l’accès est limité, il convient d’élaborer une politique sportive volontariste sur tout le cycle d’éducation et de formation.
Allier sport et développement requiert de coupler ressources conséquentes et financements innovants. Au Royaume uni, par exemple, la décision prise en 1997 de consacrer une partie des recettes de la Loterie nationale à l’olympisme, a permis de faire de ce pays l’un des plus performants dans ce domaine.
Le football domine, dans une quête de diversité sportive
La Côte d’Ivoire, qui vient de nous gratifier d’une édition mémorable de la CAN, avec à la clé la coupe, a investi un milliard de dollars pour organiser cette compétition à l’échelle plus que régionale. En plus des importants bienfaits économiques, sociaux et culturels, l’hôte du tournoi en a profité pour réaliser un important rattrapage infrastructurel.
Une autre clé au développement sportif réside dans le renforcement des Fédérations africaines de football, notamment en tirant meilleur profit des opportunités de la FIFA. Dans sa dernière édition sur l’économie africaine, publiée en janvier dernier, l’AFD rappelle que dans le cadre de sa stratégie « plus d’investissements, plus d’impact », la FIFA a investi 2,8 milliards de dollars dont 717 millions en Afrique, lors de la période 2016-2022. La fédération a également renouvelé l’initiative Forward 3.0 avec une hausse de 30 pour cent des ressources. Pour mémoire, avec 54 membres sur 211, l’Afrique est la plus grande confédération footballistique du monde.
Force est de constater que la tendance des états africains à articuler des stratégies sportives de développement est à la hausse. Le Maroc en est un exemple encourageant, puisqu’il consacre environ 1,1% de son PIB au sport. Plus au Sud, Au Rwanda, en plus d’avoir joué un rôle catalyseur dans la réconciliation nationale, le sport sert de levier de développement et de rayonnement international grâce à des partenariats lucratifs avec de grands clubs comme le Paris Saint-Germain, le Bayern Munich et Arsenal.
En outre, l’Afrique est une source importante de talents pour le monde, principalement l’Europe, avec des centaines de pensionnaires dans les championnats de football. Il est maintenant nécessaire d’œuvrer pour une politique sportive endogène, prévoyant des ligues bien structurées, pour tirer profit des gains économiques. Le sport de masse doit servir de source au sport d’élite, y compris en incluant les femmes et les filles en mettant en place la stratégie de développement du football féminin.
La télédiffusion doit aussi être restructurée pour générer plus de revenus, en tenant compte du streaming, permettant d’atteindre une audience partout dans le monde. En effet, sur les 2,958 milliards de dollars de revenus de télédiffusion de la FIFA en 2022, la contribution de l’Afrique subsaharienne est de 3%.
Il est essentiel de soutenir la diversification
Championne du monde de rugby pour la deuxième fois consécutive, l’Afrique du Sud a montré l’étendue du potentiel qu’il détient. Le regard dorénavant tourné vers l’Ouest, le Sénégal abritera, en 2026, pour la première fois en terre africaine, les Jeux olympiques de la Jeunesse. Cette diversification doit se réaliser en épousant le patrimoine traditionnel, immatériel et culturel de cette région. Encore au Sénégal, la lutte s’est imposée comme une réalité nationale générant des gains économiques substantiels. En somme, les défis que la démocratisation du sport présente sont intrinsèquement liés au déficit de développement des états africains.
Le rôle prépondérant des banques multilatérales de développement (BMD)
Afin que des Jeux Olympiques en Afrique passent du rêve à la réalité, il est recommandé aux BMD de focaliser leurs investissements dans des politiques de développement humain et de soutien à la jeunesse. À l’aide de juteux partenariats avec le secteur privé, les BMD pourraient soutenir des stratégies s’appuyant sur la connaissance, la mobilisation de ressources financières et surtout des données.
Ainsi, à l’instar du climat et de l’environnement, les puissances africaines pourraient faire du sport une question transversale des politiques publiques, en mettant en place un cadre juridique et institutionnel adéquat, des incitations fiscales et des infrastructures sportives qui tiennent compte de l’équité territoriale. Ces dernières se doivent d’être vectrices de développement, dotées d’une durabilité et d’une modularité éprouvées, dans l’optique d’offrir aux populations locales des opportunités à la hauteur de l’organisation d’une telle compétition. Enfin, une restructuration de l’écosystème du sport et du football permettrait au secteur privé d’investir sur toute la chaine de valeur. La société civile devrait également apporter tout son concours.
A ce sujet, la stratégie « Sport pour le développement » de la Banque interaméricaine de Développement, lancée en 2004, offre une source d’inspiration. De la même manière que le sport fédère les peuples, une meilleure intégration des jeunes, des femmes et des filles au sein des politiques sportives africaines est nécessaire à l’organisation d’un grand évènement sportif de l’envergure des JO.
Si accompagnée d’une politique sportive plus inclusive et d’un soutien financier sans précédent, l’Afrique a la capacité de briller à l’international par l’organisation d’un évènement planétaire.