Pour le fondateur d’Afric Search et des rencontres annuelles des SME Champion Forum, dont la dernière édition a eu lieu à Lomé (Togo), les Etats africains ont fini par comprendre que le chômage massif des jeunes était une véritable bombe à retardement. A l’instar de ce qui est en train de se passer au Sénégal, où le taux de chômage des 18-35 ans est parmi les plus élevés en Afrique, le développement de filières véritablement créatrices d’emploi dans des secteurs porteurs comme l’agriculture, devient une priorité. Mais que ce soit pour la formation des jeunes, l’encadrement ou la règlementation d’un marché du travail de plus en plus compétitif, les Etats ont un rôle à jouer sans, toutefois, se substituer au secteur privé. Car ce n’est qu’en favorisant l’avènement de « champions nationaux » que l’Afrique parviendra à absorber la masse de jeunes diplômés qui arrive, chaque année, sur le marché.
Par Christine Holzbauer, Paris.
Parmi les cinq priorités énoncées par le Premier ministre sénégalais, Ousmane Sonko, le 5 avril, lors de la présentation de son « gouvernement de rupture », la jeunesse, l’éducation, la formation, l’entrepreneuriat et l’emploi des jeunes sont apparus tout en haut de la liste. Dans un pays où 76 % de la population a moins de 35 ans et où 29% des 18-35 ans (soit trois jeunes sur dix) déclarent être sans emploi ou à la recherche d’un travail, il n’est guère étonnant que l’accent soit mis -d’emblée- sur la lutte contre le chômage des jeunes. Et c’est tant mieux, car ce fléau gangrène la quasi-totalité des pays africains. Selon la Banque mondiale, 60 % de l’ensemble du nombre des chômeurs du continent ont moins de 35 ans. L’Afrique du Sud et Djibouti arrivent en tête des pays avec les taux de chômage les plus élevés au monde. A contrario, le Niger et le Burundi sont dans le groupe des pays avec les taux de chômage les plus bas.
En Afrique du Nord, où avait débuté en 2011 les Printemps arabe, le chômage touche encore aujourd’hui un quart (25%) des moins de 35 ans. Alors que des pays comme le Botswana, la République du Congo, le Sénégal ou l’Afrique du Sud ont des pics bien au-delà de ce taux. La situation s’est même dégradée, ces dernières années : au sous-emploi chronique et à la pauvreté s’ajoute « un accès insuffisant aux services sociaux de base (eau, éducation et la santé) ainsi qu’une extrême vulnérabilité aux conflits, à la violence et au dérèglement climatique », indique la Banque mondiale. C’est sans doute la plus grande force du programme de campagne de la Coalition Diomaye ayant permis au nouveau président sénégalais d’être élu au 1er tour, le 24 mars, avec 54% des voix, grâce au vote massif des jeunes qui ne s’y sont pas trompés, que d’avoir su intégrer ces constantes. Dans son « Projet » qui se décline en cinq axes, le Pastef compte juguler le chômage massif des jeunes au Sénégal en améliorant leurs qualifications par le biais de l’éducation et de l’insertion professionnelle, de façon aussi à accroitre leur employabilité. Un effort qui concerne toutes les catégories y compris les handicapés et des secteurs plus particulièrement touchés, comme la pêche. Ce qui devrait permettre d’arrêter l’hémorragie des départs de centaines de jeunes vers l’Europe sur des bateaux de fortune au risque de périr en mer.
Créer des champions nationaux
C’est pour répondre à cette question -lancinante- de l’emploi des jeunes que Didier Acouetey a accepté l’invitation de Mon Heure d’Afrique. L’émission diffusée le 29 janvier par Financial Afrik TV a permis de poser un diagnostic -sans complaisance- au vu du parcours du combattant que représente l’obtention d’un premier emploi pour un jeune diplômé. Surtout si l’on ne connait pas quelqu’un de haut placé dans une administration ou une entreprise, comme l’a montré un reportage réalisé en Côte d’Ivoire. Et, question subsidiaire, d’établir si cette responsabilité incombe, en priorité, aux Etats ou bien concerne, avant tout, le secteur privé. Pour l’entrepreneur togolais et homme de réseaux qu’est le fondateur d’Afric Search et des rencontres annuelles des SME Champion Forum visant à mettre en relation des jeunes diplômés avec des entreprises en quête de talents, la question de l’employabilité des jeunes n’a de sens que si suffisamment d’emplois sont créés, chaque année. Or, c’est bien là que le bât blesse puisque pas plus les Etats que le secteur privé africain, « trop petit ou pas suffisamment soutenu », n’y parviennent compte tenu du déficit structurel d’emplois en Afrique.
Pour le fondateur d’Afric Search, si le rôle des Etats est de « réguler, encadrer voire stimuler » le marché du travail, ils ne doivent pas pour autant se substituer au secteur privé. Sa solution ? Réorienter les investissements productifs et, donc, la commande publique afin d’encourager l’avènement de « champions nationaux » partout en Afrique. Eux seuls seront en mesure d’absorber la masse de jeunes diplômés qui arrive, chaque année, sur le marché. A condition qu’en amont « les filières professionnelles soient réorganisées, les écoles règlementées et les compétences professionnelles de ces jeunes revalorisées, afin de pouvoir répondre aux besoins spécifiques du pays en main d’œuvre qualifiée », a-t-il expliqué, prônant un souverainisme économique parfaitement assumé. « Il est illusoire de penser que l’on peut développer une économie avec les seuls investissements étrangers et encore plus illusoire de penser que les multinationales vont créer les emplois dont un pays a besoin », a-t-il martelé.
Former de véritables entrepreneurs
Car si la taille critique des entreprises reste la principale pierre d’achoppement pour parvenir à réduire le chômage des jeunes en Afrique de façon conséquente, la survivance d’un secteur informel représentant plus de 60% du tissu économique reste un palliatif. Résultat : une myriade de jeunes (auto) entrepreneurs, souvent mal formés ou pas formés du tout, de TPME en nom propre qui peinent à trouver des financements pour grandir et se développer et des diplômés voire surdiplômés qui, faute de débouchés, sont obligés d’accepter n’importe quel petit boulot chez eux pour survivre ou bien de s’expatrier. « L’entreprenariat est devenu une catégorie un peu fourre-tout en Afrique, mais on ne s’improvise pas entrepreneur. Il faut beaucoup d’abnégation et des qualités managériales avérées », a averti Didier Acouety en réaction à un reportage réalisé en République démocratique du Congo (RDC). Pour la deuxième année consécutive, le président Tshisekedi a organisé, en octobre 2023, des assises au sommet de l’état pour encourager l’entreprenariat des jeunes. Une initiative que salue le fondateur d’Afric Search, tout en incitant les autorités congolaises à davantage investir dans le secteur privé afin que ce soit lui qui crée une dynamique entrepreneuriale en RDC.
Le développement de filières véritablement créatrices d’emploi est l’autre clé pour sortir de l’impasse du sous-emploi des jeunes. Contrairement aux pays d’Asie du Sud-est, où la croissance économique est allée de pair avec une planification rigoureuse dans des secteurs porteurs comme l’agriculture, (avant de passer à une économie de service), le volume d’investissements de base requis n’a pas encore été atteint en Afrique pour faire décoller ce secteur. Le continent reste, donc, à la traine malgré l’existence de niches avec de fabuleux gisements d’emplois encore inexploités, déplore Didier Acouetey. « En aucune façon, il s’agit d’inciter les jeunes à retourner dans les campagnes pour travailler avec la houe, mais bien de les amener à s’investir dans de nouveaux métiers, comme ceux de l’agro-industrie, où les gains peuvent être considérables », a-t-il ajouté.
Arrêter l’exode des cerveaux
Co-fondateur de la première Chambre de Commerce Afrique-Asie du Sud-Est, qui est basée à Singapour, le président d’Afric Search est l’un des chasseurs de tête les plus connus en Afrique. En 1996, avec un groupe d’amis, il a lancé le premier cabinet de chasse dont la vocation est de ramener les talents africains employés en Occident sur le continent. Une activité lucrative, qui a fait beaucoup d’émules depuis, et lui a permis d’ouvrir des bureaux un peu partout en Afrique, ainsi qu’à Paris et à Washington. « Mes clients sont des grandes banques africaines ou bien des multinationales installées sur le continent qui me confient un mandat pour que nous leur trouvions le meilleur profil possible quand ils ont un poste à pourvoir », explique-t-il. Sa particularité, c’est de débaucher des hauts cadres africains ou de la diaspora à l’étranger et de les convaincre de faire leur retour sur le continent. « Quand on nous demande de faire le contraire, comme cela s’est produit au moment du bug de l’an 2000, ma réponse est évidemment un non catégorique ! », précise-t-il.
Quant aux partenariats publics privés, il les appelle de ses vœux pour booster un marché de l’emploi déjà en tension dans certains secteurs comme, par exemple, la production audiovisuelle en Côte d’Ivoire, révèle-t-il. Interrogé sur les fonds des entreprises pour financer la formation continue, assez peu utilisés, et leur réinvestissement possible, il s’y montre favorable, mais à condition que ces fonds puissent, aussi, favoriser une plus grande fluidité des cadres sur l’ensemble du continent. « Quand un pays manque de docteurs, d’infirmières ou d’ingénieurs, il devrait pouvoir aller puiser en priorité chez son voisin qui, peut-être, n’arrive pas à tous les employer ou bien dans son espace sous régional, voire dans le reste de l’Afrique » En parallèle de la mise en place de la zone de libre-échange (Zlecaf), un gros travail reste à faire, selon lui, pour assurer une meilleure circulation des talents sur le continent grâce, notamment, à la reconnaissance des diplômes. « Je ne vois pas de meilleurs moyens pour lutter contre la fuite des cerveaux africains ! », lance-t-il.