Par Mokoto Jean Daniel, Bangui.
Le 31 décembre prochain, une nouvelle réglementation imposée par le FMI portant sur la politique de change en zone CEMAC, déjà en place pour un certain nombre de secteurs, va entrer en vigueur pour toutes les entreprises pétrolières et minières de la région. Enjeux.
Dans la crise que nous traversons, les discours de souveraineté économique et d’autonomie stratégique des élites d’Afrique Centrale sonnent de plus en plus creux. Tout particulièrement, et c’est inquiétant, quand il s’agit d’appliquer sans discuter les directives des institutions de Bretton Woods. Ainsi, le 31 décembre prochain, une nouvelle réglementation imposée par le FMI portant sur la politique de change en zone CEMAC, déjà en place pour un certain nombre de secteurs, va entrer en vigueur pour toutes les entreprises pétrolières et minières de la région.
Les conséquences sur l’économie réelle des pays de la CEMAC promettent d’être désastreuses. C’est un sujet qui n’a pas alerté l’opinion publique en raison de son caractère très technique, et ce malgré le fait qu’un grand nombre de petites et moyennes entreprises soient déjà touchées. Les populations, tous niveaux de vie confondus, depuis les entreprises jusqu’aux classes moyennes, vont être les vraies victimes de cette décision en raison des pertes d’emplois, de la baisse des recettes fiscales et de la dégradation du climat des affaires. C’est aussi et surtout un nouvel exemple de notre dépendance idéologique plus large aux institutions de Bretton Woods qui, in fine, appliquent à leurs relations avec les pays en développement une logique de créancier.
Qui va se lever pour rappeler à nos élites que nos pays ont toutes les cartes en main pour s’émanciper de cette tutelle, et que cette réglementation des changes, si elle se prétend protectionniste, va avoir exactement l’effet inverse et maintenir la dépendance de nos pays vis-à-vis de leurs créanciers? Le problème c’est que nos dirigeants sont devenus dépendants de ce système qu’ils ont contribué à instaurer. De fait, ces mêmes élites qui enjoignent les sociétés exportatrices à convertir en CFA leurs profits libellés en devises ont elles-mêmes un goût prononcé pour le dollar américain, l’euro, les paradis fiscaux et l’immobilier de luxe dans les grandes capitales internationales, forts des passes-droit qu’ils s’octroient à titre personnel. Il est bien connu que ce sont les mêmes qui font tout pour empêcher la réforme du CFA qui, à terme, risquerait d’éroder leur pouvoir d’achat à l’international. C’est un cercle vicieux qu’il faut à tout prix briser.
Si les capitaux africains ne fuyaient pas systématiquement le continent, bien souvent de manière illicite, le ratio investissement intérieur sur PIB passerait de 18 à 30% selon le Political Economy Research Institute (PERI). Toujours selon le PERI, en 2014, la part d’évasion des capitaux rapportée au PIB oscillait entre 80% (Cameroun) et près de 200% (Gabon) dans la région. Face à la raréfaction des investissements étrangers, anéantis par un climat des affaires désastreux, et à l’ampleur des besoins en financement de la zone, nos élites doivent renouer avec un patriotisme économique trop longtemps relégué au second plan. Cela n’a jamais été aussi urgent. La crise actuelle offre une opportunité unique de sortir des logiques macroéconomiques qui ont présidé aux 60 dernières années, notamment la dépendance aux bailleurs, et de remettre la bonne gouvernance au cœur de nos institutions pour véritablement attirer les capitaux étrangers.
Mais, pour cela, nos élites doivent donner l’exemple en investissant elles-mêmes dans leur pays. Pour l’heure, on assiste plutôt à une fuite accélérée des entreprises internationales pourvoyeuses d’expertise, d’emploi et de revenus. L’environnement des affaires semble avoir progressivement raison des investisseurs étrangers. Incertain, parfois hostile (corruption, manque de transparence, instabilité juridique), il a conduit plusieurs firmes internationales à mettre la clé sous la porte, notamment en Afrique Centrale. BNP a soldé ses positions au Gabon en 2019, déplorant des tensions avec les partenaires locaux. En juillet dernier, c’était au tour de Total de céder une partie de ses actifs gabonais. La major pétrolière ENI, acteur historique au Congo, est en train de se défaire d’une partie de ses actifs dans le pays.
Dans le même temps, les élites locales qui s’enrichissent aux dépends du développement socio-économique de leurs pays, contournent, pour elles-mêmes, ces règlementations contraignantes et n’investissent jamais chez elles. Où sont les Mo Ibrahim et autres Aliko Dangote d’Afrique Centrale ? Où sont nos richissimes dirigeants qui s’appliquent d’abord à eux-mêmes le devoir moral de »local content » qu’ils imposent par la loi aux investisseurs étrangers? Bref, nos élites préfèrent s’appuyer sur l’aide publique au développement alors qu’elles devraient plutôt montrer l’exemple en adoptant des réglementations vertueuses et en contribuant elles-mêmes à lutter contre le sous-financement du secteur privé qui entrave notre développement. Ne rien faire revient à faire un choix, celui de la tutelle que nous dénonçons dans les discours politiques, mais vers laquelle nous nous tournons dès que nous traversons une crise. Prenons-nous en main et choisissons la voie de l’émancipation économique. Cela nécessitera un travail acharné, mais c’est le prix de notre véritable indépendance.