L’hebdomadaire français Valeurs Actuelles a récemment fait paraître un article traitant de l’orpaillage artisanal en Mauritanie. Peu connu, il générerait un marché noir finançant indirectement les groupes armés terroristes au Sahel. Un trafic qui met l’Etat en position délicate et nuit aux efforts du G5 Sahel.
La Mauritanie est un pilier du G5 Sahel et, par extension, de la coalition pour le Sahel, une alliance dédiée aux opérations militaires et au développement économique, avec pour objectifs la destruction des Groupes Armés Terroristes (GAT) et la stabilisation politique, intrinsèquement liés. Or le pays se trouve être mis en porte à faux par les révélations de l’hebdomadaire Valeurs Actuelles. Car les mines artisanales situées sur la façade ouest et nord-ouest de son territoire, et les activités de raffinage et de négoce qui en sont issues, sont le fruit de le volonté de l’Etat. Le problème est donc tout autant politique qu’international et environnemental, l’orpaillage artisanal impliquant des déversement de cyanure ou de mercure dans les rivières et les nappes phréatiques.
Une filière rongée par le marché noir
La volonté de l’Etat mauritanien de créer une filière aurifère, avec un certain succès, a engendré une situation compliquée. Après raffinage et traitement dans la ville de Chami, la Banque centrale mauritanienne rachète l’or aux orpailleurs à un taux fixe. Or ce dernier étant inférieur à ceux proposés par des négociants étrangers, 60 à 70% de la production (fourchette basse) se trouvent être vendus sur le marché noir et écoulés illégalement vers les places de Bamako et Dakar.
Si l’extraction « légale » génère environ 130 millions de dollars de revenus annuels pour l’Etat mauritanien, près de 300 millions de revenus échappent à la Mauritanie. C’est sur cette manne illégale que les Groupes Armés Terroristes, sur la base de leur ancrage ethnique (et territorial) se rémunèrent via des escortes de convois dans les régions transfrontalières ou via des droits de passage sur les territoires qu’ils contrôlent de manière informelle.
Un cercle vicieux
L’Etat a en quelque sorte créé sa propre dépendance à la situation, l’extraction artisanale et la revente sur le marché noir fournissant des revenus à des pans entiers de la population du pays. Or la Mauritanie, comme ses homologues du Sahel, fonctionne sur une base multiethnique historiquement conflictuelle – un terreau exploité de manière très volontaire par les djihadistes. Une situation que résume ainsi Valeurs actuelles : « Toute la difficulté, ici, est illustrée par la faible marge de manoeuvre de la République Islamique de Mauritanie, contrainte de contribuer au trésor de guerre des groupes armés terroristes, via sa filière aurifère, ou bien de perdre le soutien de pans entiers de sa population, dont les frustrations économiques pourraient également profiter aux mêmes groupes ». Une situation qui confirme que malgré une armée efficace, la stabilité de la Mauritanie repose aussi sur des accords intercommunautaires tacites. Or si le pays a tout intérêt à maintenir le statu quo, il n’en reste pas moins que ce dernier nuit au G5 Sahel en donnant de la résilience financière au djihadistes.
Asphyxier les réseaux de financement
L’asphyxie des réseaux de financement est une question majeure car elle constitue autant un enjeu politique interethnique régional que la principale source de financement des groupes terroristes. Les tarir faciliterait autant la pacification des rapports communautaires que la paralysie des capacités des GAT. A l’inverse leur renforcement, même en dehors du pays, serait une mauvaise nouvelle pour la Mauritanie.
Les réseaux de trafics sont nombreux et concernent de multiples branches comme les armes, la drogue (cocaïne), les migrants, les otages ou bien l’or. Ils génèrent des flux fiduciaires très importants, de quelques centaines de millions pour l’or et les armes à plusieurs milliards pour la drogue. Difficilement traçables, il est difficile de connaître la part revenant aux GAT même si ces derniers disposent d’un trésor de guerre de plusieurs dizaines voire centaines de millions de dollars. Si leur asphyxie est une priorité, c’est l’un des objectifs de l’opération Barkhane et du G5 Sahel, dont l’action vise à perturber physiquement ces réseaux tout en offrant des alternatives aux populations qui en vivent.
Si la Mauritanie a les moyens de renforcer ses capacités de contrôle au sens coercitif, elle devrait plutôt viser une rationalisation des pratiques d’extraction afin de diminuer la part du marché noir, le contrôle de sa filière et sa stabilité politique, via l’établissement de taux fluctuants indexés au marché, le contrôle des mines, des partenariats public-privé etc. Une rationalisation qui pourra également favoriser la défense de l’environnement et de la biodiversité dans un pays qui compte peu de surfaces cultivables et irriguées.