Par Johanna Monthe.
Johanna Monthe est une avocate Camerounaise admise aux barreaux de Paris, New York, d’Angleterre et du Cameroun. Avant de co-fonder Epena Law, un cabinet d’affaires basé entre Londres, Lagos et Douala, Johanna a travaillé chez Linklaters à Londres et chez King Wood & Mallesons à Paris. Johanna a une expérience particulière dans le private equity et le venture capital, et accompagne les investisseurs Africains et internationaux dans le cadre de leurs investissements dans les pays d’Afrique francophone et anglophone. Dans cette chronique, elle aborde la question complexe du « litigation funding » très peu utilisé en Afrique francophone.
Alors que la crise sanitaire actuelle a entrainé une recrudescence des litiges allant des revendications liées aux risques encourus par les professionnels de la santé dans l’exercice de leurs fonctions, aux factures d’énergie anormalement élevées reçues par les entreprises qui ont dû fermer au plus fort de la crise, le litigation funding semble se placer au cœur de la stratégie d’investissement d’un nombre croissant d’acteurs de la finance.
La pratique du litigation funding (« financement des litiges »), consiste pour les entreprises spécialisées et fonds d’investissement à financer les litiges considérés à fort potentiel de succès. Cette pratique a considérablement évolué ces dernières années, au point que son pays d’origine, l’Australie, constatant une croissance du marché de 325% en 10 ans, a adopté à la fin mai 2020 une loi restreignant l’accès à cette activité, en imposant l’obligation préalable d’obtenir une licence de type services financiers.
L’engouement pour cette activité ne tarit pourtant pas, notamment avec l’annonce, ce mois de mai 2020 de la levée d’un fonds de 100 million USD dédié au litigation funding par Lexshares, 2 ans après avoir clôturé leur premier fonds de litgation funding avec 25 million USD. De la même manière, la jeune start up Legalist fondée par Eva Shang, 23 ans, a levé un fonds de 100 millions à l’automne dernier, dédié au litigation funding. En outre, Burford capital, l’un des deux plus gros acteurs mondiaux du segment, a annoncé le 24 juin 2020 sa prise de de participation de 32% dans le capital de PCB Litigation LLC, un cabinet spécialisé dans les litiges commerciaux complexes et à forts enjeux financiers.
Le litgation funding demeure néanmoins assez peu connu en Afrique, à de rares exceptions près telle que l’Afrique du Sud qui a reconnu cette pratique depuis le 19e siècle. Cette pratique assimilée à tort aux «fonds vautours», pourrait pourtant présenter un certain intérêt sur un continent où le taux d’accès à la justice est l’un des plus faibles au monde. Sa manifestation la plus connue est sans doute celle des actions de classe (« class actions »), répandues dans les pays anglo saxon, qui consistent pour les litigation funders à financer une action en justice pour le compte d’un groupe de justiciables. L’action de classe la plus célèbre à ce jour est celle qui a abouti en 1998 au paiement par les sociétés dans l’industrie du tabac, d’ une amende de 206 milliards de dollars, en raison des dommages que leurs produits avaient causé à la santé du public américain. En Afrique du Sud, la plus importante action de classe date de 2018 lorsque six entreprises minières spécialisées dans l’or acceptent d’indemniser pour un montant total de 400 millions les ouvriers (et anciens ouvriers depuis 1965) des mines, souffrant ou ayant souffert de maladies pulmonaires.
L’interdiction du «pacte de quota litis», une barrière francophone
Les barrières à l’activité de litigation funding en Afrique, notamment francophone, relèvent de principes tels que l’interdiction du « pacte de quota litis » – en d’autres termes, interdiction pour les conseils juridiques d’accepter une rémunération dont le montant est uniquement fixé en fonction de l’issue du litige, ou encore l’interdiction de la prétention pour autrui, en vertu duquel le plaignant doit avoir un intérêt direct dans l’action en justice – principe qui limite donc la possibilité de transférer le pouvoir d’agir en justice à un tiers. Dans les pays de tradition de droit anglo-saxon comme le Nigeria, les principes d’ordre publique tels que celui de la limitation des litiges dans le temps – ont mené les juges à limiter les pratiques de litigation funding.
Le litigation funding représente une industrie actuellement estimée à plus de 10 milliards de dollars dans le monde. Bien que présentant des risques de dérives vers une culture du procès, cette pratique présente un certain intérêt dans les pays où l’accès à la justice est particulièrement difficile, pays où se développent d’ailleurs souvent des systèmes de règlements alternatifs des différends, en réponse aux limites des systèmes judiciaires en place. Le litigation funding, outre de permettre aux populations les plus fragiles d’exercer leurs droits malgré leurs moyens financiers limités, propose aux investisseurs des retours sur investissement très attractifs de l’ordre de 20 à 30% par an, selon les spécialistes.
Un commentaire
Tous mes encouragements à Me JOHAMA Monthe. Par sa contribution à l’ouverture de l’Avocature vers des secteurs nouveaux, elle fait notre fierté.