Au delà de ses succès réels et de son potentiel en inclusion financière, le Mobile Banking traine aussi un mythe: celui de la solution miracle à tous les problèmes d’inclusion financière, du talisman pour faire fondre les frais généraux des compagnies d’assurances et du moyen idoine pour permettre aux banques de soigner des coefficients d’exploitation de plus en plus élevés.
Sans réprimer cet enthousiasme charrié par la presse spécialisée et les gourous du numérique, les experts appellent toutefois à la prudence. Tout en vantant un modèle de transfert d’argent bien établi dans le cas de Wari (Sénégal), ils rappellent que le modéle doit son succès à ce qui constitue son talon d’Achille, à savoir l’externalisation de ses points de vente.
L’annonce il y a quelques semaines du ralliement de 5000 points de vente de l’opérateur sénégalais Wari à une joint-venture formée avec Banque De Dakar (voir www.financialafrik.com) illustre la volatilité du modéle des transferts bancaires. Les modèles de transfert d’argent sont-ils condamnés au mariage par réseau ou capital avec le secteur bancaire? l’ intrusion plus ou moins aboutie du sénégalais Wari dans les télécoms et la banque (au Togo, notamment) est un événément révélateur d’une tendance.
Tout comme l’est, la tentative du sudafricain Nedbank de racheter la jeune pousse rwandaise Mobicash dès sa création il y a 7 ans pour 7 millions de rands (1 million de dollar) afin, vraisemblablement, de tuer la poule dans l’oeuf. Loin d’être gagné par la frénésie des acteurs du secteur, Pascal Nyagahene de Mobicash, qui a fait le pari d’un développement continental, estime que le potentiel du secteur sera encore porté pendant quelques années par l’inclusion financière. «Nous avons une application de monnaie électronique sur téléphone mobile et des agences physiques.
[private]L’idée c’est de récupérer le cash des petits commerçants et revendeurs qui n’ont pas de compte bancaire et de le remettre dans le circuit», avance le jeune entrepreneur.
Aujourd’hui Mobicash travaille avec le gouvernement rwandais dans la dématérialisation des services publics (paiement de taxe, facture d’eau, assurances etc). «Notre nouveau challenge est de donner des comptes de e-money à chaque citoyen, avec un identifiant unique». Mobiscash intervient dans cinq pays en modèle direct ou par revenue sharing. «En Afrique du Sud, nous avançons bien côté marchands. Les petits revendeurs qui n’ont pas de carte de crédit constituent notre coeur de cible. Nous travaillons avec Amsa Bank».
L’appétit des jeunes pousses pour l’Afrique du Sud est renforcé par l’échec de MTN ou de Vodafone sur ces deux segments. En fait, le problème de la plupart des acteurs de e-money et de transfert d’argent est lié d’une part à l’incertitude de la règlementation, susceptible d’évoluer (cas des restrictions appliquées sur Orange Money en zone UEMOA) et à un réseau pratiquement indépendant. La vulnérabilité du modèle par rapport aux décisions des banques et des opérateurs de téléphonie demeure réelle.
Au Cameroun, les dirigeants d’Express Union Mobile Money reprochent à MTN et Orange de bloquer leur réseau et d’avoir augmenté exponentiellement (en ce qui concerne Orange) les coûts d’accès. Ainsi, les coûts d’accès vers Orange sont passés de 20 à 153 francs depuis le 21 juin 2007. Loin de l’environnement évolutif des acteurs du transfert, les banques se préparent à l’avénement de la monnaie électronique et de la dématérialisation de leurs agences.
Grâce à sa solution mobile Manko, Societé Générale ouvre en ce moment 2000 comptes par mois au Sénégal. En 18 mois de production, la banque française, qui a eu le mérite de faire confiance à une fintech sénégalaise (Obertys) est en train de gagner des catégories jusque-là écartées par la banque classique. La fusion de 9 formulaires d’ouverture de compte en une améliore incontestablement l’expérience client.
De même, la productivité des équipes se voit boostée par les demandes de crédit qui peuvent se faire désormais en ligne, au moyen d’une tablette connectée. L’analyse de crédit et la réunion du comité de crédit se font aussi en ligne. Derrière, la solution assure la localisation du client et le recouvrement. A l’inverse de différentes solutions qui, bien que connectées à Delta, se limitent à des bornes en agence, la solution sénégalaise garantit la mobilité à 100%. Bien qu’ activité lucrative pour les banques, le transfert d’argent leur pose le problème de la réconciliation et du risque de fraude élevé. «Les banques n’ont pas de visibilité sur leurs lignes de transfert», explique un expert du domaine qui estime qu’il s’agit d’un chantier faisant appel à l’inventivité des fintechs.
Bien qu’améliorée, la solution de télé compense développée par Capital Banking pose en elle même des limites, poursuit notre interlocuteur, assez attentif sur le mimétisme ambiant qui fait que les institutions font recours aux mêmes solutions suivant des procédures et des motivations difficiles à cerner. Presque toutes les nouvelles banques démarrent avec Sopra, un éditeur qui régne sur le secteur depuis quarante ans. Le core banking système de l’Union économique et monétaire ouest africaine (UEMOA), est entièrement acquis à la Sopra. Les innovations technologiques se heurtent à un environnement sociologique conservateur et à une psychologie rétive au changement.
Une histoire vieille de 16 ans
En attendant, la virtualisation de la banque semble s’inscrire dans un processus quasi-irréversible. Tout a commencé en Zambie, en 2001, puis en Afrique du Sud à partir de 2004 et au Kenya en 2007. Dans ce dernier pays, le Mobile money, M-Pesa, a connu une appropriation fulgurante par les populations et s’est révélé au monde entier, comme une ‘’african succes story’. Le lancement de M-Pesa sur le marché Kenyan a entraîné une croissance du taux de bancarisation de 58% contribuant à la création d’un mythe. Sur le continent, ce sont en Afrique de l’Est et en Afrique de l’Ouest, les sous-régions les plus connectées à la mondialisation, que le Mobile money est le plus développé et les innovations technologiques les plus avancées. En Afrique du Centre, la sous-région la plus riche du continent en termes de dotations factorielles, le mobile banking reste en deçà de son potentiel du fait de textes réglementaires jugés contraignants par les opérateurs téléphoniques qui veulent saisir l’occasion de la forte expansion de la téléphonie mobile pour améliorer la bancarisation de la population dans la Zone qui culmine à 10% dans le meilleur des cas, là où la téléphonie mobile couvre plus de 80% de la population de l’Afrique centrale.
En Afrique de l’Ouest, la sous-région la plus intégrée sur le plan institutionnel et politique, le Mobile banking s’y développe à grande vitesse. Le duo entre Télécoms et Banques ira inévitablement vers un duel entre Télécoms et Banques sous l’arbitrage des banques centrales et des pouvoirs publics. Tant qu’il est vrai que les Télécoms feront de plus en plus dans la Banque avec comme signal, l’arrivée prochaine d’Orange Bank dans les Zones Uemoa et Cemac, après que MTN en Afrique de l’Est et Australe, via ses services de paiements et de transferts d’argent, ait commencé à proposer l’octroi de crédit, une des fonctions principales d’un système financier. La Banque elle-même sera de plus en plus technologique, intuitive et interactive. Hier, ce fut la banque physique, aujourd’hui, c’est la banque virtuelle. Hier, ce fut la banque statique, aujourd’hui, c’est la banque mobile. Hier, c’était la banque sédentaire, aujourd’hui, c’est la banque nomade. La difficulté pour les opérateurs téléphoniques est donc de devoir jouer les seconds rôles sur un marché qui est d’abord le leur, selon eux.
Et comme la législation attribue les licences pour mobile banking aux établissements bancaires, et non aux opérateurs de mobile, c’est ce qui fera que des opérateurs téléphoniques tenteront la migration, pour contourner une réglementation qui les confine au rôle de courtier voire de coursier ou de simple partenaire technologique des banques détentrices exclusives des agréments dans le domaine du m-banking. Dans l’intervalle, Banques et Télécoms ont eu des relations de complémentarité, qui se sont transformés en relation de substitution, qui se sont muées en relation de coopération dont la prochaine étape sera soit les relations de fusion comme c’est le cas au Japon ou alors, des relations de concurrence parce que les opérateurs téléphoniques deviendront de plus en plus aussi, des Etablissements de monnaie électronique (EME) Les banques n’ont pas beaucoup d’alternatives face à la puissance des infrastructures et de la surface financière des opérateurs télécoms. Des mariages forcés (parfois douloureux) se profilent à l’horizon au grand bénéfice des populations africaines. [/private]