Référence en la matière, le rapport Doing Business de la Banque mondiale établit chaque année depuis 2004 un classement international des pays selon la facilité à y faire des affaires. Un palmarès annuel avec invariablement son lot de bons et mauvais élèves, et où nombre de pays africains, malgrè des progrès notoires au cours des dernières années, continuent d’occuper les profondeurs du classement.
Jacques Leroueil, Kigali
La règle a cependant toujours ses exceptions, et sous les latitudes du continent, elles ont pour nom l’île Maurice et le Rwanda[1] : deux petits pays certes, mais les deux grands gagnants africains du dernier classement Doing Business 2014[2], situés respectivement au 20e et au 32e rang mondial. Encore loin derrière les stars asiatiques (Singapour et Hong-Kong au 1er et 2e rang mondial) mais devant les nations industrialisées du Vieux Monde que sont la France (38e), l’Espagne (52e) ou l’Italie (65e). Encensé comme la plus grande success-story africaine[3] pour l’un (Rwanda), considéré comme un véritable miracle[4] pour l’autre (Maurice), les deux pays sont dissemblables sous bien des aspects, produits d’une histoire et d’un environnement spécifiques. Mais ils ont chacun compris que l’attractivité et le succès reposent sur quelques ingrédients essentiels.
Une réglementation efficace : création d’entreprise, protection des investisseurs, éxécution des contrats, paiement des taxes, obtention de prêts. Autant de points qui auront une incidence décisive dans le cycle de vie d’une entreprise et pour lesquels l’île Maurice et le Rwanda surclassent largement leurs pairs africains selon le rapport Doing Business. Dans certains domaines (création d’entreprise, transfert de propriété, obtention de prêts) les deux pays peuvent même se prévaloir de faire partie du décile des nations les plus avancées de la planète en matière d’efficacité globale. Une efficacité qui se mesure tant en termes de coût que de temps, et qui est devenue l’étalon de mesure ultime pour les autorités en place. Valentine Sendanyoye Rugwabiza, la directrice du Rwanda Development Board, l’agence gouvernementale en charge de la promotion des investissements, souligne ainsi que le rapport Doing Business « …sert de baromètre à même de déterminer les points qui doivent encore être améliorés ». Une logique de progression constante pour toujours plus d’efficacité que ne renierait probablement pas Xavier Luc Duval, le minsitre des Finances mauricien, lorsqu’il indiquait en 2011 que le « but est de faire de Maurice une des dix meilleures destinations pour les affaires ». L’île était alors au 23e rang mondial. 2 ans plus tard, elle occupe la 20e place. On aura été prévenus…
La stabilité et la sécurité : les succès mauriciens et rwandais ne sauraient cependant être réduits à un cadre réglementaire propice aux affaires. De passage à Kigali pour assiter au récent sommet Transform Africa consacré aux nouvelles technologies, Thierry Boulanger, le directeur général de Samsung Africa, résumait brièvement les forces du modèle rwandais en évoquant « des systèmes commerciaux fonctionnels, des réformes favorables aux entreprises et une sécurité assurée ». De fait, le pays est considéré comme l’un des plus sûrs de la sous-région. Idem pour Maurice, nation la plus « paisible » du continent selon le Global Peace Index[5] qui mesure les pays selon leur degrè de sécurité et de pacifisme, et la mieux « gérée » selon l’indice de bonne gouvernance de la fondation Mo Ibrahim[6]. Quant à la stabilité, tant économique que politique, les deux champions africains font là encore un carton plein : croissance régulière depuis de nombreuses années (8 % de moyenne annuelle pour le Rwanda et 2 % pour Maurice depuis 2000) et régimes politiques solides (Kagamé depuis 1994 au Rwanda, et les dynasties Ramgoolam et Jugnauth qui se partagent le pouvoir depuis des décennies à Maurice, au grè des élections) qui font le nécessaire pour assurer aux investisseurs l’essentiel : l’ordre et le respect des intérêts privés.
Transformer ses faiblesses en forces : A tout peser, le Rwanda et l’île Maurice sont, sous bien des aspects, des parents pauvres du continent. Faible population (11 millions d’habitants pour le Rwanda, 1,3 millions pour Maurice), ressources naturelles dérisoires, situation géographique à bien des égards problématique (insularité mauricienne et enclavement rwandais), sans parler d’une histoire contemporaine parfois tragique (Génocide rwandais). Pourtant, en dépit de tout, ces deux nations sont aujourd’hui le symbole africain de la mondialisation heureuse, celle qui apporte dans ses bagages argent, compétence, marchés et visibilité. Comment expliquer cet apparent paradoxe ? Une partie de la réponse se trouve probablement dans un mot que le président rwandais utilise fréquemment lorsqu’il s’adresse à ses concitoyens : Self-reliance, en d’autre terme l’auto-suffisance dans la capacité à faire avec les outils à disposition, dans la volonté d’exploiter au maximum l’ensemble des moyens dont dispose la nation pour faire la différence sur la scène internationale. Dans le cas du Rwanda, la formule à appliquer a été toute trouvée : Dans une sous-région encore caractérisée par l’instabilité et les conflits, procurer un cadre politique ferme où la sécurité des biens et des personnes est garantie. Dans une zone où la richesse des ressources naturelles n’est souvent au mieux qu’une voie facile et dangereuse menant au syndrome hollandais, orienter l’activité économique vers des secteurs à haute valeur ajoutée (informatique, télécommunications, finance, écotourisme..), peu affetés par l’enclavement du pays et reposant sur le savoir-faire et le capital humain. Une démarche d’ores et déjà couronnée de succès puisque le Rwanda est aujourd’hui qualifié de « Singapour de l’Afrique » ; un clin d’œil appuyé à la cité-état asiatique dont la réussite a résulté d’un savant dosage entre dirigisme politique assumé et libéralisme économique consacré. Même processus de prise en main et d’adaptabilité à l’œuvre sur l’île Maurice, qui a du accueillir au fil des siècles des populations diverses (africaines, asiatiques, européennes) malgré le dénuement des ressources et l’éloignement des centre d’échanges mondiaux. Et qui est aujourd’hui le meilleur élève de la classe africaine grâce à son implication précoce dans la mondialisation (le pays s’est spécialisé dans la production textile et les exportations dès les années 70), sa diplomatie marchande efficace pour s’assurer l’accès aux plus gros marchés mondiaux et sa totale flexibilité (gestion très intelligente de la montée en gamme du pays, passé en moins de deux générations des champs de canne à sucre à la finance offshore). Une souplesse, un sens de l’ opportunisme, et la faculté à traiter avec tous qui est souvent le propre des petites nations (Singapour, Hong Kong, Dubai, Suisse) qui doivent déployer des trèsors d’ingéniosité pour pouvoir se faire une place au soleil et propérer. Un résultat flatteur qui n’a été cependant été rendu possible qu’au prix d’une vigilance constante et d’une proactivité permanente pour demeurer dans le peloton de tête des pays les plus compétitifs : la réussite est à ce prix. Une leçon qu’ont parfaitement intériorisée le Rwanda et Maurice et dont la portée universelle pourrait servir aussi à d’autres.
Jacques Leroueil
[1] https://www.financialafrik.com/2013/10/31/climat-des-affaires-doing-business-2014-le-rwanda-surclasse-lafrique-du-sud/
[2] http://francais.doingbusiness.org/reports/global-reports/doing-business-2014
[3] http://edition.cnn.com/2009/WORLD/africa/07/17/zakaria.rwanda/
[4] http://www.theatlantic.com/business/archive/2011/03/stiglitz-on-the-mauritius-miracle/72218/
[5]http://www.visionofhumanity.org/#page/indexes/global-peace-index/2013
[6] http://www.moibrahimfoundation.org/iiag/