Par Stéphanie Sarr Dioh*, Dirigeante en finance digitale et innovation, investisseuse, mentor pour entrepreneures africaines.
Ce 31 juillet 2025, nous célébrerons une nouvelle édition de la Journée internationale de la femme africaine. Cette journée, bien plus qu’un rituel symbolique, est l’occasion de rappeler que l’Afrique ne se développera pas sans ses femmes, qui représentent plus de 50 % de nos populations — et surtout, qu’elle ne se développera durablement qu’avec elles aux commandes, aussi bien dans la société que dans l’entreprise, la technologie, la finance ou l’agriculture.
Mais au-delà des discours, un impératif s’impose : transformer les ambitions en stratégies, et les stratégies en systèmes. Pour cela, il faut oser conjuguer trois dimensions trop souvent cloisonnées : l’expertise technique, la vision stratégique et l’engagement sociétal.
L’heure des bâtisseuses est venue
La femme africaine a toujours bâti. Aujourd’hui, elle code, dirige, investit, structure. Elle continue de bâtir. Et son ambition ne se limite plus à « réussir dans le système » : elle veut redéfinir ce système.
En Afrique subsaharienne, des femmes entrepreneures luttent chaque jour pour créer des modèles d’affaires viables, enracinés et responsables. Elles innovent dans des secteurs aussi essentiels que l’agroalimentaire, l’énergie domestique ou la logistique urbaine. Et bien souvent, elles le font sans les outils, les capitaux ou les mentors dont disposent leurs homologues masculins.
Et pourtant, elles réussissent. Contrairement aux idées reçues, investir dans les femmes ne compromet en rien la performance financière — bien au contraire. Des études montrent que les entreprises fondées par des femmes génèrent deux fois plus de revenus par dollar investi que celles fondées par des hommes. Par ailleurs, les organisations dotées d’équipes dirigeantes mixtes ont davantage de chances de surpasser leurs concurrentes.
Il faut aligner excellence et impact
J’ai eu la chance de construire ma carrière dans des environnements très techniques — télécoms, automobile, fintech — et d’occuper des fonctions de direction stratégique. Ce parcours m’a appris une chose : l’excellence opérationnelle et l’impact social ne sont pas antagonistes, ils se renforcent mutuellement.
L’expérience de la première licorne en Afrique francophone l’a démontré : en lançant des services financiers mobiles simples, abordables et sécurisés, il était possible non seulement de bâtir une entreprise à succès, mais surtout de permettre à des millions de personnes de sortir du cash pour entrer dans l’économie numérique.
Ce modèle, né de la convergence entre vision produit, régulation intelligente et engagement terrain, peut — et doit — s’appliquer ailleurs.
Pour un capitalisme africain intentionnel et inclusif
À l’occasion de cette Journée de la femme africaine, je formule un vœu : que l’Afrique francophone cesse d’opposer impact social et croissance économique. L’avenir du continent passe par un capitalisme intentionnel, porté par des femmes et des hommes qui choisissent, dès la conception de leurs projets, d’en faire des leviers d’inclusion.
Ce changement de paradigme suppose :
● Des politiques publiques audacieuses, recentrant l’entrepreneuriat féminin comme vecteur de croissance économique ;
● Un accompagnement technique structurant, car l’ambition sans expertise est un feu de paille ;
● Un accès aux capitaux patients et alignés, tenant compte des spécificités du terrain africain ;
● Des écosystèmes de soutien, comme le Women Investment Club (WIC), où j’ai l’honneur de contribuer, et qui prouvent qu’un réseau solidaire peut transformer des trajectoires individuelles en puissants moteurs collectifs.
Mon appel aux décideurs : investissez dans les femmes qui construisent
Il ne suffit plus de rendre hommage aux femmes africaines un jour par an. Il faut co-bâtir avec elles, investir dans leurs idées, écouter leurs intuitions, renforcer leurs compétences. Qu’elles soient ingénieures, artisanes, agripreneures ou cheffes d’entreprise, elles sont déjà là. Elles ne demandent pas qu’on les sauve. Elles demandent qu’on les considère davantage.
Si nous avons le courage de les accompagner, de les financer, de les reconnaître, alors elles construiront un avenir africain plus équitable, plus résilient, plus audacieux. Pour les femmes, devenir présidente de conseil d’administration ou de l’Assemblée nationale, capitaine d’industrie ou autre ne devrait plus être perçu comme quelque chose d’exceptionnel ou d’extraordinaire.
Osons différemment
Faire du business en Afrique ne suffit plus. Il faut le faire avec intention : celle de transformer, d’inclure, d’élever. C’est ce pari que j’ai fait, et que je renouvelle chaque jour — dans mes fonctions, dans mes engagements, dans mes choix. Parce que l’Afrique francophone mérite une croissance qui a du sens. Et cette croissance est là, sous nos yeux : d’ici 2030, la région comptera plus de 160 millions de consommateurs à revenus intermédiaires, avec une hausse annuelle des dépenses supérieure à 5 % (IFC).
Mais le vrai moteur, ce sont les femmes. Officiellement ou dans l’informel, elles portent jusqu’à 70 % de l’économie africaine. Selon la Banque mondiale, combler l’écart entre les sexes pourrait ajouter jusqu’à 2 500 milliards de dollars au PIB du continent d’ici 2025. Autrement dit : investir dans les femmes n’est pas un acte militant, c’est un choix stratégique. C’est un business model.
La croissance durable de l’Afrique ne viendra pas d’une vision cloisonnée. Elle émerge là où l’ingénierie rencontre la stratégie, et où la stratégie épouse une mission sociale assumée. La femme africaine n’est pas une externalité positive — elle est le cœur et la condition de notre avenir économique.
À toutes celles qui innovent dans l’ombre, qui concilient stratégie et sens, qui osent prendre des risques et créer pour leur communauté, je dis : continuez. L’Afrique vous doit plus que des hommages : elle vous doit une place centrale dans la fabrique de son avenir.
Bio Express de Stéphanie Sarr Dioh
Dirigeante sénégalaise dans la tech et la finance, Stéphanie Sarr Dioh cumule plus de 20 ans d’expérience entre l’Afrique et l’Europe. Spécialiste des produits numériques et investisseuse engagée pour l’égalité, elle siège au comité de gouvernance de Women Investment Capital.
Parmi ses faits d’armes :
- Lancement de 85 produits financiers sur 7 marchés (4,6 Mds USD de transactions) ;
- Accompagnement d’entrepreneures au Sénégal (agro, cosmétiques, services) ;
- Mise en place du premier service de monnaie électronique en Côte d’Ivoire ;
- Pionnière des interfaces mobiles intuitives en Afrique de l’Ouest.