Par Dr. Mohamed H’MIDOUCHE, CEO, Inter Africa Capital Group
Dans un contexte de transition énergétique accélérée et de pressions croissantes pour la décarbonation des économies, l’Afrique détient un atout stratégique majeur : ses réserves abondantes en minéraux critiques – cobalt, lithium, nickel, terres rares, graphite ou encore cuivre. Ces ressources sont essentielles pour la fabrication des batteries, des éoliennes, des véhicules électriques et des technologies bas-carbone. Pourtant, sans une gouvernance robuste et durable, cet avantage peut se transformer en malédiction. D’où l’urgence d’un cadre ESG africain adapté à ces enjeux spécifiques.
Lors de la 20e session de la Conférence ministérielle africaine sur l’environnement (CMAE-20), organisée récemment à Nairobi, la ministre marocaine de la Transition énergétique, Leila Benali, a lancé un appel clair et stratégique : l’Afrique doit se doter d’un référentiel ESG (Environnemental, Social et de Gouvernance) propre à ses réalités pour encadrer l’exploitation des minéraux critiques. Ce plaidoyer, salué par de nombreux observateurs, met en lumière l’ambition du Royaume du Maroc de jouer un rôle moteur dans cette nouvelle économie verte.
ESG : un impératif pour la compétitivité et la souveraineté africaine
Les cadres ESG sont devenus des référentiels incontournables dans les décisions d’investissement, les politiques publiques et les chaînes d’approvisionnement globalisées. Toutefois, les standards internationaux dominants sont souvent déconnectés des réalités africaines, en particulier dans le secteur minier. Les initiatives comme les Principes de l’Équateur, la Taxonomie verte européenne ou les lignes directrices de l’OCDE restent essentiellement conçues par et pour les pays du Nord.
Face à cela, un cadre ESG africain contextualisé permettrait de garantir la traçabilité, la durabilité et la valeur ajoutée locale, tout en répondant aux exigences croissantes des marchés internationaux et des investisseurs soucieux de responsabilité.
Selon une étude du Natural Resource Governance Institute (NRGI), seule une minorité de pays africains producteurs de minerais disposent aujourd’hui d’un système cohérent d’évaluation ESG des projets extractifs. Cette lacune expose le continent à la « malédiction des ressources » et aux risques de greenwashing par des acteurs extérieurs.
Le Maroc, catalyseur d’une gouvernance responsable
Le leadership marocain se manifeste concrètement à travers la proposition innovante d’un corridor OTC (Origine – Transit – Certification), élaboré avec les ministres africains des mines. Ce corridor vise à sécuriser les flux de minerais critiques extraits en Afrique et destinés à l’industrie mondiale, tout en assurant leur traçabilité, leur conformité aux normes ESG, et leur transformation partielle ou totale sur le sol africain.
En s’appuyant sur les travaux du Centre africain de développement minier (AMDC) et en cohérence avec l’Initiative Atlantique lancée par Sa Majesté le Roi Mohammed VI, le Maroc articule ainsi trois leviers complémentaires :
1. Une gouvernance panafricaine des ressources
2. Une coopération Sud-Sud renforcée
3. Une souveraineté énergétique ancrée dans les chaînes de valeur vertes
Le corridor atlantique proposé offrirait une alternative stratégique aux routes traditionnelles d’exportation, souvent captives d’intérêts exogènes. Il permettrait à l’Afrique de reprendre le contrôle de la certification, du transit et de la transformation de ses ressources.
Vers une taxonomie ESG africaine ?
Plusieurs voix s’élèvent désormais pour aller plus loin : développer une taxonomie ESG propre à l’Afrique, adaptée aux objectifs de développement durable, aux impératifs de contenu local, aux exigences climatiques et aux réalités sociales des communautés minières.
Inspirée des travaux de la Commission économique pour l’Afrique (CEA), de la Banque africaine de développement (BAD) et du Partenariat pour une transition juste (JETP), cette taxonomie permettrait de :
• Classifier les projets extractifs selon leur alignement avec les ODD,
• Orienter les financements publics et privés vers les projets les plus responsables,
• Renforcer la transparence et la responsabilité sociale des entreprises minières,
• Accroître la capacité des États à négocier des contrats équitables.
Pour une souveraineté verte et partagée
L’appel lancé par la ministre Leila Benali ne vise pas uniquement à améliorer l’image de l’Afrique sur le marché des matières premières. Il ambitionne de transformer le paradigme : les ressources africaines doivent servir d’abord les intérêts du continent, tout en respectant les principes d’équité intergénérationnelle, de justice sociale et de durabilité environnementale.
Comme le souligne la Banque mondiale, la demande mondiale en minéraux critiques pourrait augmenter de 500 % d’ici 2050. Si l’Afrique veut tirer parti de cette dynamique, elle doit agir dès maintenant pour bâtir un modèle extractif vertueux, résolument tourné vers la transformation locale, la montée en gamme technologique et l’inclusion des communautés.
Le cadre ESG africain ne doit pas être une simple adaptation de modèles existants. Il doit être un levier de souveraineté, d’innovation et de transformation structurelle.
Conclusion
À travers sa vision stratégique et ses initiatives concrètes, le Maroc s’impose comme un pionnier de la gouvernance verte des ressources naturelles en Afrique. L’élaboration d’un cadre ESG continental, à l’initiative des pays africains eux-mêmes, apparaît désormais comme une nécessité, non seulement pour répondre aux exigences du marché global, mais surtout pour construire un développement africain par et pour les Africains, dans le respect des équilibres écologiques et sociaux.