Par Jemal M Taleb*
Certaines images du passage récent de cinq présidents africains à la Maison blanche ont donné lieu à des commentaires ampoulés. La photo de famille où l’on voit le président américain assis et ses homologues africains derrière lui en a interpellé plus d’un. Il y a eu le commentaire condescendant de Donald Trump sur la maîtrise de l’anglais par le Libérien, ou sa façon discourtoise de couper la parole au président mauritanien Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani. Pour autant, va-t-on reprocher à ces chefs d’État d’avoir répondu à l’invitation de l’insolite occupant du bureau ovale ! Ici ou là en Afrique, on s’est dit choqué et, comme d’habitude, on a eu recours à ces analyses légères qui donnent toujours le bon rôle au « colon » que l’on prétend critiquer.
On a pourfendu l’éternelle servilité des dirigeants africains. Quand le président ougandais Idi Amin Dada vociférait des insanités à tire-larigot, quand il se faisait porter sur un palanquin par des Blancs, personne n’en blâmait les pauvres Blancs. Le ridicule était du côté du bouffon. Mais ici, comme d’habitude, des défenseurs de la dignité africaine ont blâmé la soumission des présidents africains. Au moins sur le président mauritanien, ils se sont trompés.
Je pense qu’avant toute chose Trump a, une fois de plus, fait du Trump. Il a coupé la parole à ses homologues et ces derniers n’ont rien dit. Ici, chacun a fait jouer sa personnalité. Je ne qualifierai pas celle du président américain, ni son regard sur l’Afrique, ni son sens de la nuance. Si certains en sont surpris… Quand on rend visite à quelqu’un, on doit le connaître.
J’aimerais que l’on me dise comment devait réagir le président Ghazouani, homme tout en civilités et en nuance, face au Yankee sans manière : manifester à la face du monde, blâmer son hôte pour son incorrection, étaler ses états d’âme, claquer la porte ! Quelqu’un d’autre aurait peut-être emprunté cette voie. Mais jamais le président mauritanien, qui sans être taiseux – il n’en est pas loin – a une maîtrise de soi qui en a dérouté plus d’un.
Les deux hommes sont restés chacun dans son style. Il appartient à l’hôte d’être courtois. S’il ne l’est pas, on ne se charge pas de refaire son éducation. C’est le choix des Américains. Face à un chef de village ou d’association mauritanien, Ghazouani aurait eu la même réaction. Je me souviens de ce portrait que dressait de lui mon ami Ethmane El Yessa, un « farouche » opposant.
Voici ce qu’il déclarait : « À s’en tenir aux dires concordants, l’aptitude au consensus l’habite et façonne son tempérament… affable, à l’écoute et profondément réfractaire à la violence… Le culte de la personnalité le dérange mais il le supporte, par courtoisie envers le laudateur. Il fuit le scandale… ». Et vous auriez voulu que cet homme, dont même l’opposition reconnaît l’affabilité et le tempérament réfractaire à la violence, vous vouliez qu’il réagisse à la Trump !
Il est plutôt intéressant de se pencher sur la suite du voyage et les rencontres dans les milieux d’affaires pour savoir où le président Ghazouani place sa mission américaine. Et c’est grâce à cette méthode qu’il a permis à son pays d’afficher des résultats respectables dans tous les domaines : diplomatie, politique, économie, social. Comme il le fait à tous ses rendez-vous, l’homme a parlé au nom de son pays et a su intéresser ses interlocuteurs. Il n’était pas là pour un quelconque concours Lépine de la gaudriole.
Jemal M Taleb
avocat au barreau de Paris
vice-président du CIRES.