L’ancien président nigérian Muhammadu Buhari s’est éteint ce 13 février à l’âge de 82 ans. L’annonce a été faite par son ancien porte-parole. Militaire devenu homme d’État, autoritaire devenu président élu, il aura marqué la vie politique du Nigeria durant plus de quatre décennies, laissant un héritage contrasté et un pays toujours en quête de stabilité.
Du putschiste à l’homme d’État
Né en 1942 dans l’État de Katsina, au nord du Nigeria, Muhammadu Buhari était le 23e enfant d’un chef traditionnel peul. Orphelin de père à l’âge de quatre ans, il est très tôt initié à la rigueur et à la discipline, qu’il approfondira à l’académie militaire, puis au Royaume-Uni. À 20 ans, il intègre l’école d’officiers de Mons et gravit rapidement les échelons.
Sa carrière militaire le mène au gouvernorat de l’État du Nord-Est, puis à la tête du ministère du Pétrole sous le régime d’Olusegun Obasanjo. Mais c’est en 1983 qu’il entre brutalement dans l’Histoire, à 41 ans, en renversant le président élu Shehu Shagari au nom de la lutte contre la corruption. Il devient alors chef de l’État par la force des armes, instaurant un régime de fer.
À cette époque, le “Buharism” devient synonyme d’ordre autoritaire : files d’attente surveillées par les militaires, humiliations publiques des fonctionnaires en retard, arrestation de figures critiques comme le musicien Fela Kuti. La presse est muselée, les libertés sévèrement restreintes. Ce régime, qui prône la rigueur morale, sera renversé deux ans plus tard par un autre militaire, le général Babangida.
Un retour démocratique et une alternance historique
Après plusieurs années de traversée du désert dont trois en résidence surveillée , Buhari revient en politique par la voie des urnes. Il échoue à trois reprises à la présidentielle, avant de triompher en 2015, devenant le premier opposant à battre un président sortant par les urnes au Nigeria. Un tournant historique.
Élu sous la bannière du All Progressives Congress (APC), il promet d’en finir avec deux fléaux : la corruption endémique et le terrorisme de Boko Haram. Mais son début de mandat est laborieux. Il lui faut six mois pour constituer un gouvernement, ce qui lui vaut le surnom de “Baba-Go-Slow”. La récession de 2016, liée à la chute des prix du pétrole, fragilise davantage sa gouvernance. Son état de santé, longtemps tenu secret, l’oblige à de longues absences hors du pays.
Un style autoritaire qui divise
Son style de gouvernance, marqué par la centralisation du pouvoir et un cercle restreint de fidèles, suscite des critiques, y compris au sein de sa famille. En 2016, son épouse Aisha Buhari déclare à la BBC qu’elle ne soutiendra pas sa réélection s’il continue à ignorer les membres de son gouvernement. Il lui répondra publiquement que sa place est “à la cuisine, au salon et dans la chambre”, provoquant une gêne diplomatique face à Angela Merkel.
Son second mandat, entamé en 2019, est assombri par une montée de l’insécurité, la crise économique et les tensions ethno-régionales. L’inflation galope, le naira dégringole, les enlèvements contre rançon explosent. En 2020, le mouvement #EndSARS secoue le pays après des bavures policières. Les manifestations, pacifiques à l’origine, virent au chaos. Le massacre de Lekki, à Lagos, marque un tournant sombre du mandat Buhari.
En 2021, Muhammadu Buhari suscite l’indignation internationale en suspendant Twitter au Nigeria, après que la plateforme a supprimé deux de ses tweets jugés menaçants. L’écrivain Wole Soyinka dénoncera alors “un spasme dictatorial” incompatible avec les principes démocratiques.
Ce geste illustre le paradoxe Buhari : élu démocratiquement, mais fidèle à une gouvernance autoritaire, parfois déconnectée des aspirations de la jeunesse nigériane, avide de libertés et de progrès technologique.
Héritage contrasté
Au soir de sa vie, Muhammadu Buhari laisse derrière lui un héritage complexe. Il restera dans l’histoire comme le militaire devenu président civil, l’opposant qui a permis une alternance démocratique inédite, mais aussi comme un dirigeant dont les méthodes autoritaires et les lenteurs administratives ont nourri les frustrations.
S’il a réussi à freiner l’expansion territoriale de Boko Haram, il n’a pas su répondre aux attentes sociales ni instaurer une gouvernance inclusive. Sa gestion du pays illustre les dilemmes du Nigeria moderne : entre autoritarisme et démocratie, entre développement et inégalités, entre unité nationale et tensions ethniques.
Le Nigeria lui rendra probablement un hommage officiel. Mais dans la rue, les réactions seront sans doute partagées, à l’image d’un homme et d’un parcours qui n’ont jamais fait l’unanimité.