Dans un paysage africain marqué par le démantèlement houleux de l’USAID, la Guinée se signale par sa vision stratégique « Simandou 2040 » qui incarne à la fois les nouvelles aspirations économiques et politiques du continent. À travers cette initiative phare, le gouvernement de Conakry mise sur l’ouverture de l’économie guinéenne à une pluralité de partenaires internationaux. Objectif assumé : attirer des investissements structurants, mais aussi favoriser des chaînes de valeur locales, la construction d’unités de transformation industrielle sur place et un développement économique inclusif et durable.
Simandou 2040, un programme ambitieux et global
Présentant le programme « Simandou 2040 » à RFI et Jeune Afrique, le ministre guinéen du Plan et de la Coopération internationale, Ismaël Nabé, a plaidé pour une approche résolument multilatérale. La Guinée, a-t-il souligné, entend conclure des accords avec tous les partenaires possibles, et ne pas être réduite à choisir entre Washington, Pékin, Moscou ou Bruxelles. Loin des logiques d’alignement, cette posture pragmatique adoptée par le Président MamadiDoumbouya reflète une volonté assumée de faire du pays un acteur pleinement souverain.
Structuré autour de cinq axes, « Simandou 2040 » propose une transformation profonde et globale, intégrant l’agriculture et l’agro-industrie ; l’éducation et le capital humain ; les infrastructures, les transports et les technologies ; les finances et les assurances ; et enfin, la santé et le bien-être. Bien plus qu’un plan économique, il s’agit d’un référentiel national conçu pour répondre aux défis du siècle avec des solutions au plus près des réalités guinéennes.
Au cœur de cette stratégie : le projet minier de Simandou, une entreprise collaborative associant le gouvernement guinéen, Rio Tinto, le Winning Consortium Simandou, Chalco et l’International Finance Corporation (IFC) du Groupe de la Banque mondiale qui s’est concrétisée depuis 2021. Avec des réserves estimées à plus de deux milliards de tonnes de minerai de haute teneur, Simandou est l’un des gisements de fer les plus riches au monde. Comprenant quatre blocs miniers, plus de 600 kilomètres de chemin de fer et un port en eau profonde à Forécariah reliant les exploitations minières à l’Atlantique et aux marchés internationaux, le projet Simandouincarne l’ambition guinéenne de valoriser ces ressources non pas au profit de quelques-uns ou des multinationales étrangères, mais pour accélérer le développement économique national au profit des populations locales.
L’exploitation minière au service du développement
Il importe toutefois de ne pas confondre Simandou 2040 avec le seul projet minier de Simandou– ce dernier en constituant le socle, et non l’aboutissement. Lamine Mognouma Cissé, administrateur général du magazine Emergence, rappelle que ce gisement, souvent qualifié de « poumon économique de la Guinée », représente bien plus qu’une simple richesse naturelle : il symbolise le potentiel collectif et la responsabilité d’un pays qui entend prendre son destin en main.
Prévue pour fin 2025, l’entrée en production du site minier de Simandou pourrait marquer un tournant décisif. À terme, les autorités guinéennes comptent mobiliser ses rentrées fiscales – estimées entre 600 et 700 millions de dollars par an – pour amorcer un changement structurel du pays. Selon le FMI, cet unique projet pourrait accroître de 26 % le PIB guinéen à l’horizon 2030, par rapport à un scénario l’excluant. Mais l’objectif va bien au-delà des chiffres : il s’agit de transformer cette rente minière en moteur de développement durable, inclusif et tourné vers l’avenir.
Ces ressources, une fois pleinement opérationnelles, serviront à financer les grands axes de Simandou 2040, à commencer par un vaste chantier de modernisation des infrastructures : plus de 1000 km de routes, la construction du pont de Tanènè, l’extension de l’aéroport international Ahmed Sékou Touré et le déploiement d’un réseau de télécommunications renforcé dans une logique d’ouverture et de connexion aux marchés globaux. La vision inclut également la sécurité alimentaire, l’éducation, la santé, et surtout la diversification économique – condition indispensable pour sortir durablement de la dépendance aux ressources minières.
Un cap renouvelé pour échapper au « syndrome hollandais »
C’est dans cette capacité à réduire la dépendance historique aux ressources naturelles que réside la clé d’une transformation profonde de la Guinée, afin de s’affranchir du fameux « syndrome hollandais » qui sévit souvent en Afrique. Ainsi l’économiste Mohammed Camara met en garde : « il faut avoir une capacité managériale très forte pour que ce projet ne souffre pas des mêmes maux que les projets miniers en cours de développement en Guinée » – une référence à l’extraction de la bauxite à Boké, qui, malgré son essor ces quinze dernières années, n’a pas eu d’impact significatif sur le niveau de vie des populations locales. Dépourvue de raffinerie locale, la Guinée n’avait pas les moyens de transformer la bauxite en produits à plus forte valeur ajoutée.
Aussi, la transformation locale est-elle désormais une priorité stratégique. « Le premier pilier, c’est l’industrie », affirme le ministre Ismaël Nabé, précisant que la vision du chef de l’État inclut des unités de transformation aussi bien pour la bauxite que pour le fer. En parallèle, cette ambition est renforcée par la création d’un fonds souverain destiné à canaliser les revenus miniers vers des projets structurants dans le cadre de Simandou 2040. Une étape charnière sur la route de l’obtention d’une notation souveraine à même d’augmenter la confiance des investisseurs, afin d’engager la transition structurelle d’une économie basée sur l’exploitation des ressources naturelles à une économie orientée vers la valeur ajoutée.
En valorisant ses atouts économiques, culturels et naturels via le programme « Simandou 2040 », le pays attire déjà l’attention au-delà de ses frontières. La récente rencontre à Conakry entre le président Doumbouya et l’homme d’affaires nigérian Aliko Dangote témoigne de l’attractivité croissante des secteurs stratégiques guinéens, tels que l’agriculture et les services financiers. Dans un contexte de profonde mutation économique marqué par le désengagement de plusieurs acteurs historiques, le modèle de transition guinéen pourrait bien s’imposer sur le continent africain comme une source d’inspiration alors que les autres nations africaines cherchent également à stimuler leur développement économique et consolider leur souveraineté.