Candidat à la présidence de la Banque africaine de développement (BAD), l’ancien ministre sénégalais de l’Économie, du Plan et de la Coopération, Amadou Hott, détaille sa vision pour une institution plus agile, plus connectée au secteur privé et plus mobilisée en faveur de la jeunesse et de l’intégration régionale. Il plaide pour une Banque moteur de la souveraineté économique africaine.
Quelle est votre vision et pourquoi pensez-vous être le candidat idéal pour diriger la Banque ?
Le monde traverse une période de ralentissement économique, de tensions géopolitiques croissantes, de réduction de l’aide internationale et d’instabilité accrue. Dans ce contexte, la Banque africaine de développement doit évoluer : ce qui a fonctionné dans le passé ne suffira pas à répondre aux défis de demain.
L’objectif doit être clair : renforcer l’autonomie économique de l’Afrique et bâtir une résilience durable face aux chocs externes. Pour cela, la BAD devra :
- Investir dans le développement des compétences, la sécurité alimentaire et les soins de santé.
- Soutenir des projets régionaux structurants dans l’énergie, les transports, la logistique et le numérique.
- Favoriser l’émergence d’un marché africain intégré, propice aux investissements privés.
- Mobiliser des financements pour accompagner la transition climatique.
Mon parcours — de l’investissement à l’action publique — illustre le potentiel africain. Je mets en avant une combinaison rare d’expertise technique, de sens politique et d’expérience panafricaine et internationale. Je suis convaincu que cette vision et ce profil sont en phase avec les ambitions futures de la Banque.
Quels sont, selon vous, les leviers clés pour mettre en œuvre cette vision ?
La BAD doit d’abord être modernisée pour gagner en rapidité d’action, en envergure et en efficacité. Cela passe par une transformation de ses capacités opérationnelles et une réforme des processus internes, notamment dans l’attribution des marchés.
Ensuite, il faudra renforcer les capacités financières de la Banque : préserver une excellente notation de crédit, mobiliser des ressources innovantes (capital hybride, réaffectation des DTS, philanthropie), et utiliser efficacement les instruments de garantie et de cofinancement, surtout pour les pays à faible revenu.
Je souhaite aussi créer une vice-présidence dédiée au secteur privé. Cette structure renforcerait l’engagement de la Banque auprès des entreprises, pour construire un solide portefeuille de projets bancables.
Un autre levier clé est la mobilisation politique mondiale. La BAD doit devenir le porte-voix économique du continent et un acteur de référence dans les négociations internationales.
Enfin, des partenariats stratégiques renforcés avec d’autres banques de développement, investisseurs privés et philanthropes seront cruciaux pour co-créer des outils financiers innovants au service de la croissance et de la résilience africaine.
Comment comptez-vous favoriser l’autonomisation des jeunes et des femmes ?
L’emploi est la priorité absolue du continent. Pour y répondre, il faut investir dans le capital humain : éducation, formation professionnelle, entrepreneuriat, soutien aux PME. L’agro-industrie, l’industrie manufacturière, le numérique et l’intelligence artificielle doivent être au cœur des politiques d’emploi.
La Banque doit cibler les projets à fort potentiel de création d’emplois, notamment via le financement d’infrastructures de proximité : routes, énergie, connectivité. En parallèle, il faut renforcer les écosystèmes d’innovation et les partenariats public-privé pour accompagner les jeunes entrepreneurs.
L’intégration régionale est aussi un levier majeur : la libre circulation des personnes, des biens et des services décuplera les opportunités économiques pour les jeunes et les femmes.
Quelle stratégie adopter face à la crise de la dette et au défi du financement du développement ?
L’Afrique doit pouvoir compter sur ses propres ressources. Une meilleure mobilisation fiscale est prioritaire : si le ratio impôts/PIB de l’Afrique atteignait le niveau de l’Amérique latine (25 %), cela représenterait 200 milliards de dollars annuels supplémentaires.
Il faut aussi approfondir les marchés de capitaux locaux pour canaliser l’épargne africaine — estimée à 4 500 milliards de dollars — vers le développement. Cela réduira la dépendance aux financements externes coûteux.
La Banque a un rôle clé à jouer en élargissant son bilan, en mobilisant davantage de ressources concessionnelles via le FAD, et en soutenant des plateformes de financement innovantes.
En parallèle, le renforcement des partenariats public-privé et des réformes du climat des affaires permettront de limiter l’endettement souverain tout en maintenant un haut niveau d’investissement.
Quelle stratégie pour accélérer l’intégration régionale et les infrastructures transfrontalières ?
Penser l’Afrique de demain, c’est penser interconnexion. Il nous faut des infrastructures physiques — routes, énergie, télécoms — mais aussi des infrastructures « logicielles » : politiques, normes, technologies.
Le déficit d’infrastructures est estimé entre 130 et 170 milliards de dollars par an. Si l’aide internationale reste utile, l’Afrique doit apprendre à mobiliser ses propres ressources : fonds souverains, caisses de retraite, capitaux privés.
Des solutions numériques comme le PAPSS (système panafricain de paiement) ou la blockchain peuvent révolutionner le commerce intra-africain. La BAD doit accompagner cette double révolution — physique et numérique — avec son expertise et ses capacités de levier.
Nous avons une fenêtre d’opportunité historique. Si nous investissons maintenant dans les infrastructures, les compétences et les systèmes, l’Afrique peut devenir une puissance agricole, industrielle et technologique majeure.