Me Aboubacar FALL est Docteur en droit et titulaire d’un Master (LLM) de University of Washington à Seattle (Etats Unis). Avocat au Barreau du Sénégal et ancien Avocat au Barreau de Paris, il fut pendant plusieurs années Conseiller Juridique Principal du Groupe de la Banque Africaine de Développement (BAD). Me Fall a également servi en qualité de Président du Conseil de Gestion de la Facilité Africaine de Soutien Juridique (ALSF). Aujourd’hui associé senior au Cabinet d’avocats AF Legal, spécialisé, entre autres domaines, dans le droit extractif, il nous parle justement dans cet entretien sur la définition et la portée du droit extractif.
FA : Pouvez-vous nous dire ce que recouvre le concept de droit extractif ?
Me FALL : Le concept de droit extractif est relativement récent et renvoie généralement à l’ensemble des règles, institutions, contrats et pratiques relatifs aux opérations de recherche, d’exploitation, de production et de commercialisation liées notamment aux secteurs miniers, des hydrocarbures, de la pêche, de la foresterie etc. Il s’agit, en somme, de toutes les activités conduisant à l’extraction de matières premières de leur milieu naturel (terre, mer etc.) à leur transformation et à leur utilisation par les consommateurs.
Quelles sont votre formation et vos expériences en droit extractif ?
J’ai reçu mes premiers cours de formation professionnelle à l’Institut PETRAD, à Stavanger, en Norvège. Il s’agit du lieu où sont exploités le pétrole et le gaz de la Mer du Nord, notamment, par la Norvège, la Grande Bretagne ou la Russie. Le programme était axé sur la Politique et la Gestion des Ressources en Hydrocarbures J’ai, ensuite, suivi à Houston (Texas), plusieurs cours de formation professionnelle de l’Association Internationale des Négociateurs des Ressources Pétrolières (aujourd’hui dénommée Association of International Energy Negotiators (AIEN). Le programme portait sur la Rédaction et la Négociation des Contrats Pétroliers et Gaziers.
En 2008, j’ai activement participé à la création de la Facilité Africaine de Soutien Juridique dont un des objectifs majeurs est d’assister les Etats Africains dans la négociation/ renégociation des contrats commerciaux complexes tels que les contrats miniers, pétroliers et gaziers. En 2011, j’ai suivi plusieurs cours de perfectionnement de l’Association International des Barreaux (International Bar Association) sur la négociation et la rédaction de s contrats miniers, pétroliers et gaziers, notamment, à Lisbonne (Portugal) et à Rio de Janeiro (Brésil). A partir de 2012, j’ai commencé à développer une activité de formateur et d’avocat spécialisé en droit extractif. J’ai ainsi été chargé par l’Agence de coopération norvégienne Oil for développement (OfD) de former les cadres du Ministère du Pétrole du Libéria, notamment, dans la mise en place d’un cadre juridique de gestion des ressources en hydrocarbures. J’ai, ensuite, reçu du Programme des Nations Unies (PNUD), la mission de participer à la formation des cadres des Ministères des Mines et du Pétrole des pays de l’UEMOA (à Bamako) et du personnel d’encadrement du Ministère du Pétrole de la République du Congo (à Brazzaville) en matière de négociation et de rédaction des contrats e extractifs.Par ailleurs, j’ai été chargé par la Facilité Africaine de Soutien Juridique d’effectuer une présentation au Séminaire de Formation de Kigali (Rwanda) sur le thème du règlement des différends relatifs à l’application de la clause de stabilisation dans les contrats pétroliers ; ce séminaire était destiné aux représentants gouvernementaux et associations d’avocats. J’ai également été recruté par le Centre Africain des Ressources Naturelles du Groupe de la BAD pour effectuer la revue critique du projet de loi portant Code pétrolier de la République du Kenya.En 2013, avec l’équipe du Cabinet d’avocats américain Duncan and Allen, j’ai participé à l’étude diagnostique du cadre juridique et fiscal du secteur minier au Sénégal (Financement Banque Mondiale).Le résultat de cette étude a servi à alimenter, en partie, le futur Code minier de 2016.
En 2014, dans le cadre de mes activités conjointes à la BAD et à la Facilité Africaine de Soutien Juridique et , à la demande des nouvelles autorités de la République de Guinée, j’ai participé à la mise en place d’un programme intégré destiné, à (i) auditer le cadastre minier et à le réorganiser avant de (ii) procéder à la renégociation des contrats en cours.Notre équipe BAD-Facilité avait, alors, assisté l’Etat guinéen dans le recrutement d’un cabinet d’avocats et la création des nouvelles structures de gestion telle la société guinéenne de gestion du patrimoine minier (SOGUIPAMI).
A mon retour au Sénégal en 2015, j’ai repris mes activités d’avocat et assisté plusieurs investisseurs étrangers, notamment, en matière de démarches auprès du Ministère du Pétrole et de l’Energie relativement aux questions d’approbations préalables, d’autorisation de changement de contrôle etc…En 2019, j’ai coassuré , pendant deux semaines, la formation de plusieurs cadres du Ministère du Budget et du Plan de la République Islamique de Mauritanie en matière de négociation et rédaction de contrats miniers et pétroliers.
En 2021, j’ai été chargé par ALSF Academy de réviser et d’enregistrer le cours contenu dans le manuel de formation sur la négociation et la rédaction des contrats pétroliers et gaziers De 2021 à 2022, j’ai participé pour le compte de l’Etat du Sénégal , à la renégociation de deux contrats miniersavec des sociétés multinationales En 2022, à l’occasion du Congrès annuel de l’Union Internationale des Avocats (UIA) à Dakar, j’ai servi en qualité de co-modérateur de la session consacrée au thème : négociation et rédaction des contrats miniers et pétroliers : les pièges à éviter. En 2023, j’ai assuré la mission de modérateur de la session consacrée au thème de l’arbitrage dans les contrats d’investissements miniers dans le cadre du Weekend africain du droit minier et de l’énergie (WADME) à Conakry (République de Guinée). En 2004, j’ai servi en qualité de Modérateur de la session consacrée au thème Financement de projets miniers : Aspects Juridiques dans le cadre du Weekend Africain de Droit Minier et de l’Energie à Conakry (Guinée).
Compte tenu de votre riche expérience pratique, que pensez-vous de l’annonce des nouvelles autorités sénégalaises de faire procéder à la renégociation des contrats extractifs, notamment miniers, pétroliers et gaziers ?
Il faut, tout d’abord, rappeler que le secteur extractif suscite, pour les populations, de nombreuses et légitimes attentes, en raison des potentiels bénéfices économiques et sociaux dont il recèle. Cela conduit, naturellement, les pouvoirs politiques des pays producteurs à chercher à tirer le maximum de profits de ce secteur. Il me semble donc parfaitement légitime que le nouveau régime s’engage à faire procéder à la revue et, le cas échéant, à la renégociation de certaines clauses des contrats du secteur. Le Président Macky SALL avait engagé la même démarche après son élection en 2012, ainsi que l’avait également fait le Président Wade. Dès lors, l’annonce du Président Faye s’inscrit dans une sorte de tradition à laquelle tout nouveau pouvoir estime devoir sacrifier.
Toutefois, il convient, en l’espèce, de procéder par étapes en constituant, tout d’abord, une équipe d’experts chargée d’auditer le cadastre minier et pétrolier pour identifier les permis et contrats restés inactifs. Il faudra, ensuite, effectuer l’examen des clauses qui concernent les intérêts stratégiques de l’Etat, notamment, celles relatives au partage de la rente en ce qui concerne les contrats de partage de production d’hydrocarbures et les conventions minières.
Il importe d’attirer l’attention des nouvelles autorités sur le fait que les contrats du secteur pétrolier avaient été négociés sous l’empire de la loi de 1998, c’est-à-dire, à une époque où (i) les découvertes n’étaient pas encore réalisées et (ii) où l’objectif de l’Etat était d’attirer les investisseurs en leur offrant les plus généreux avantages, fiscaux, notamment. Dès lors, si à l’examen des clauses contractuelles l’on observait que des avantages particuliers avaient été consentis par l’Etat, il faudrait alors savoir qu’ils s’inscrivaient dans ce cadre de promotion du bassin sédimentaire et d’attraction des investisseurs .Donc, à notre avis, l’Etat devrait mettre en place un cadre permanent de dialogue et de discussions avec les investisseurs, bénéficiaires des contrats en cours, afin de trouver un accord consensuel sur son projet de modification ( éventuelle) des conditions juridiques et fiscales de la stabilisation du contrat ou de renégociation de certaines dispositions contractuelles. Il faudrait surtout éviter de prendre des initiatives unilatérales, sous peine d’engendrer un risque sérieux de réputation qui pourrait affecter l’image du Sénégal, alors même qu’il cherche à promouvoir les investissements directs étrangers. En outre, le fait pour le nouveau gouvernement d’ouvrir d’éventuelles renégociations pourraient contribuer à lancer un mauvais signal aux potentiels investisseurs. A cet égard, rappelons, en effet, que les négociations et/ ou renégociations de contrats s’effectuent sur des périodes de plusieurs années, ce qui pourrait retarder la mise en valeur de potentiels gisementsdu bassin sédimentaire qui sont à la recherche d’investisseurs. L’exercice s’avère donc délicat et appelle une réflexion et une stratégie prudente de mise en œuvre.
Le Sénégal est membre de l’Initiative pour la Transparence des Industries Extractives (ITIE). Quelle appréciation faites-vous de cette adhésion à l’ITIE ?
A mon avis, bien que l’adhésion procède d’une démarche volontaire de l’Etat, il n’en reste pas moins l’ITIE est un outil complémentaire du dispositif de gestion des ressources extractives et, en particulier, des revenus qu’elles génèrent. En effet, elle permet, outre la publication des contrats, la réédition des comptes par la confrontation entre les paiements effectués par les investisseurs et les montants déclarés reçus par l’Etat. Il s’agit donc d’un instrument de bonne gouvernance destiné, notamment, à promouvoir la transparence et à fournir au peuple(propriétaire de la ressource) les informations relatives à la gestion des contrats et des revenus qui leur sont corrélés. C’est ainsi que tous les ans, l’ITIE publie un rapport d’activité qui est mis à la disposition du public et qui retrace les flux financiers engendrés par l’exploitation des ressources extractives. Il faut d’ailleurs, à cet égard, rappeler le dispositif de transparence a beaucoup évolué et que, au lieu de publier des montants consolidés, l’Etat est obligé d’indiquer le détail des montants reçus des investisseurs, projet par projet. Ce nouveau développement est le résultat de la Section 1504 de la loi américaine qui porte le nom du sénateur Dodd-Frank qui l’a proposée après la crise financière de 2008 pour obliger les entreprises américaines du secteur extractif à une plus grand transparence.
Le Sénégal a, désormais, dans son arsenal juridique, une loi sur le contenu local. Quelle est votre avis, à cet égard ?
Il faut rappeler que, dans un souci de souveraineté extractive, plusieurs pays producteurs comme le Nigeria, l’Angola ou le Brésil ont adopté une loi sur le contenu local, soucieux de faire profiter aux entreprises de ces pays et à leurs populations des retombées économiques de l’exploitation de leurs ressources . La démarche du législateur sénégalais s’inscrit donc dans cette même perspective. Il s’agit, en effet, d’augmenter la valeur ajoutée locale et la création d’emplois locaux dans la chaîne de valeur des industries pétrolières et gazières grâce à l’utilisation de l’expertise ainsi que des biens et services locaux, de favoriser le développement d’une main-d’œuvre locale qualifiée et compétitive, de développer les capacités nationales dans la chaîne de valeur de l’industrie pétrolière et gazière par l’éducation, la formation, le transfert de technologie et de savoir-faire et la recherche-développement etc. Un dispositif de suivi -évaluation a été mis en place et confié au Comité National de Suivi du Contenu Local (CNSCL) afin de traduire les dispositions légales dans la réalité socio-économique. Un des problèmes majeurs auxquels l’exécution de la loi pourrait se heurter c’est le fait que les dispositions impératives de la loi sur le contenu local viennent en contradiction avec des engagements internationaux que le Sénégal a souscrits dans le cadre des traités bilatéraux d’investissement (TBI). En effet, la presque totalité des TBI signés par le Sénégal ne contiennent pas de dispositions imposant le respect de la loi sur le contenu local. Certains TBI comme celui conclu avec les Etats Unis d’Amérique excluent très clairement de telles exigences légales. Des journées d’étude et de réflexion sur cet important sujet ont été organisés par l’Etat du Sénégal , il y a, environ un an dont les conclusions sont consignées dans un rapport remis au CNSCL.