Par Obed Kambala, analyste économique, Master en Economie et Certificat d’expert en gestion des risques.
Depuis 2009, les dépôts à terme en franc congolais (DAT en CDF) se sont globalement accrus grâce aux taux créditeurs réels positifs, la discrimination du coefficient de réserve obligatoire, la stabilité macroéconomique et politique, les campagnes publicitaires, la forte mobilisation des recettes publiques, etc. Pendant la même période, cette catégorie de dépôt n’a chuté qu’en 2016 et 2017. Cette régression est attribuable à la dépréciation du franc congolais, la stérilisation complète des dépôts en franc de l’Administration publique centrale dans les banques, l’impact des banques en difficulté, les tensions pré-électorales et la perte de confiance des déposants.
En dépit de la croissance fulgurante des DAT en CDF (avec un pic à 683% en 2021), ils n’ont représenté que 2,8 % du total de la masse monétaire en 2021 (BCC, 2023, p. 50).
La majorité des dépôts bancaires sont en effet constitués à vue et en dollars du fait notamment du défaut de confiance vis-à-vis du système bancaire congolais et sa monnaie légale, hérité des crises d’antan et perpétué par les vulnérabilités actuelles.
En outre, il y a une forte concentration des dépôts à terme suivant la catégorie (particuliers et entreprises privées), la province (Kinshasa et Haut Katanga) et le secteur d’activité (industries extractives et services).
A l’aide d’une analyse SWOT, nous avons dressé dans les lignes qui suivent un portrait des DAT en CDF qui nous a permis de proposer des recommandations pour libérer le potentiel de ce produit bancaire.
MENACES & FAIBLESSES
• Des taux d’intérêt créditeurs souvent négatifs. La réticence envers les DAT en CDF est accentuée par l’inflation, qui compromet la positivité des taux d’intérêt réels. Hadjimichael et Ghura (1995) ont démontré qu’une forte inflation a un impact néfaste significatif sur le taux d’épargne dans les pays africains (El-Erian & Kumar, 1996).
• La dépréciation du taux de change érode le pouvoir d’achat des épargnants. Le franc a perdu sa fonction de réserve de valeur, faisant du dollar la monnaie refuge des épargnants.
• L’inaccessibilité immédiate des fonds placés dans un compte à terme et les pénalités subséquentes à l’interruption avant échéance.
• L’absence d’un système de garantie explicite des dépôts, qui alimente l’incertitude et augmente la probabilité de perte pour les déposants en cas de faillite d’une institution financière.
• Les DAT constituent un passif plus coûteux que les dépôts à vue pour les institutions financières.
• L’évolution de plusieurs ménages et entreprises dans le secteur informel, et par ce fait, exclus du système financier.
• Le dépôt minimum d’ouverture d’un DAT restent encore très élevé auprès de quelques banques.
OPPORTUNITES & FORCES
• 3045,2 milliards de CDF en circulation fiduciaire dont 2803,2 milliards hors système bancaire (BCC, 2022).
• La possibilité d’accroître la mobilisation de l’épargne stable pour le financement des projets à moyen et long terme et la promotion d’une croissance économique durable (BCC, 2020).
• Le coefficient de réserve obligatoire sur les DAT en CDF est maintenu à zéro.
• Il coûte « moins » aux banques de mobiliser les francs via les DAT que de recourir au marché interbancaire voire aux guichets de la BCC.
• Le taux d’intérêt moyen créditeur en CDF est supérieur au taux en monnaie étrangère.
• Le DAT procure un gain sûr, à une date précise, sans frais bancaire ni taxe.
• Le DAT est un investissement à risque de perte quasiment nul.
RECOMMANDATIONS
La demande d’un actif dépend du gain qu’il procure, de sa profitabilité anticipée comparativement aux autres actifs, de sa liquidité et de son risque anticipé relatif (Mishkin, 2013). Partant de ce qui précède, voici dix recommandations sur les DAT en CDF:
1. Permettre un retrait prématuré du principal du DAT sans pénalité dans la limite d’un seuil convenu. Une banque en RDC a emboité le pas en offrant une possibilité d’avance sur le principal. Une autre propose un avenant créditeur, qui consiste à accroitre le principal avant la fin du contrat. Rendre les DAT plus liquide offre à la clientèle une marge de manœuvre moins couteuse en cas d’imprévu. Cette flexibilité permet d’accroitre l’attrait vis-à-vis des DAT en CDF et évite la nécessité pour un investisseur d’échelonner les placements (Fixed Deposit Laddering).
2. Passer du « compte à terme à taux fixe » vers un « compte à terme à taux progressif ». Les DAT à taux progressif permettent généralement de souscrire à une durée souvent plus longue qu’un DAT à taux fixe (La Finance Pour tous, 2023). Le taux d’intérêt pour un DAT augmente avec la durée du placement. Les revenus supplémentaires permettent aux clients de compenser les pertes probables en cas de volatilité du franc congolais et les encouragent à souscrire à de longues maturités. Les banques à leur tour peuvent aisément souscrire aux titres mieux rémunérés comme les Bons du Trésor indexés, avec un taux limite accepté à 28% au 13 février 2024. Athanassakos & Waschik (1997) ont révélé que l’écart entre les taux longs d’une banque et ceux de la compétition est le plus important déterminant de la croissance des DAT.
3. Proposer une assurance change
Au cas où le taux progressif proposé ne couvre pas la perte de change anticipée, le client sera libre de souscrire à une assurance contre toute fluctuation défavorable du taux sur le marché. La prime d’assurance sera déduite des intérêts générés par le DAT. Pour limiter l’exposition au risque de change, la banque pourra souscrire aux bons/obligations du Trésor indexés au cours de change entre le dollar et le franc.
4. Réduire drastiquement le dépôt minimum d’ouverture des DAT en CDF pour les rendre plus inclusifs et accessibles à tous les segments de la société. Quelques banques et COOPEC proposent déjà des dépôts minimums très compétitifs. Le dépôt minimal constitue une barrière financière à l’accès aux services bancaires, par opposition aux barrières physiques (Chamberlain & Walker, 2005).
5. Appliquer une différentiation géographique de taux d’intérêt pour stimuler les DAT en CDF et partant l’activité bancaire hors Kinshasa et Haut Katanga. Des taux plus avantageux en provinces augmentent le manque à gagner de la thésaurisation et l’attrait pour l’activité bancaire dans ces zones. Au nom de l’équité, le tarif doit considérer les caractéristiques socio-économiques de chaque province ou région (discrimination positive). En outre, le principe de l’offre et la demande, le niveau de compétition, les habitudes et préférences des consommateurs locaux sont aussi des facteurs qui justifient la différentiation géographique des tarifs (The American Deposits Management).
6. Accélérer la mise en place d’un système explicite de garantie de dépôts.
En effet, il a été prouvé que l’établissement d’un système explicite de garantie des dépôts s’accompagne d’une croissance des dépôts à terme (Mishkin, 2013). Garantir exclusivement les dépôts en monnaie locale ou mieux les couvrir par rapport aux dépôts en devises est un moyen à envisager pour stimuler les dépôts en CDF. En implémentant des mesures prudentielles ciblées, les régulateurs peuvent efficacement encourager une adoption progressive des instruments en monnaie nationale (Vargas & Sanchez, 2023).
7. Offrir la possibilité de souscrire et renouveler le DAT en ligne avec un calculateur d’intérêt (Digital Fixed Deposit). La rapidité de traitement et la transparence dans le calcul des intérêts devraient agir positivement sur le taux de souscription aux DAT. La possibilité de suivre en temps réel l’évolution du DAT est nécessaire pour renforcer la confiance de la clientèle. L’adoption des produits et services digitaux est un facteur déterminant de l’inclusion financière (Khera et al., 2021).
8. Renforcer l’éducation financière.
Elargir l’accès aux services financiers s’accompagne de mesures de renforcement de la culture financière (Zerbo & Pohl, 2022). Le Programme National d’Education Financière (PNEF) a prévu une batterie de mesures dont la tenue des évènements périodiques et une campagne multimédia basée essentiellement sur la radio (Ministère des Finances, 2023).
9. Consolider la stabilité macroéconomique
Les politiques visant à atteindre et à maintenir la stabilité macroéconomique sont susceptibles d’avoir un impact indirect considérable sur le taux d’épargne national (El-Erian & Kumar, 1996).
10. Promouvoir les prêts en monnaie nationale
Les dispositions qui favorisent les prêts à moyen et long terme en MN crée à la fois une incitation pour les institutions financières à mobiliser des ressources stables en franc congolais et un débouché pour lesdites ressources. Cette mesure veille aussi à ce que les banques maintiennent un ratio dépôt-crédit bénéfique pour le système bancaire et le secteur privé.
RESULTATS ATTENDUS & CONCLUSION
• Une réduction du taux d’exclusion financière volontaire (en créant une opportunité d’augmenter le revenu) et involontaire (en offrant un produit plus adapté au besoin du secteur privé et une meilleure éducation financière).
• Une augmentation de la demande de CDF, ce qui devrait soutenir sa valeur vis-à-vis du dollar.
• Une diminution de la propension des fonctionnaires, agents et cadres de l’Etat à retirer entièrement leur salaire aussitôt crédité en leur offrant un moyen de fructifier leur revenu.
• Un meilleur accès aux crédits en monnaie locale à travers la réduction du risque de change et la mutation de la structure des dépôts.
• Une baisse de 10% de la masse monétaire hors circuit bancaire dans 12 à 24 mois (soit 280,3 milliards de francs ciblés).
• Le recul de la dollarisation financière.
• La réduction de la concentration des activités bancaires à Kinshasa et au Haut Katanga.
• Une meilleure transmission de la politique monétaire à travers notamment l’amélioration de l’inclusion financière (Loukoianova & Yang, 2018).
• Des institutions financières capables de mieux accompagner la politique du gouvernement via les Bons/ Obligations du Trésor indexés, de respecter les limites de la réserve obligatoire et de réduire l’exposition au dollar dans leur bilan.
Les recommandations pour libérer le potentiel des dépôts à terme en franc congolais ci-dessus offrent une voie vers une accumulation accélérée de l’épargne stable et sa transformation en instrument de prospérité partagée et de relance du franc congolais. En outre, avec une solide implication des parties prenantes, le DAT en CDF peut réduire la masse monétaire hors circuit bancaire et soutenir l’efficacité de la politique monétaire et de change.
REFERENCE
Athanassakos, G., & Waschik, R. (1997). The demand for long-term deposits of a financial intermediary : Theory and evidence, Journal of Economics and Business, Volume 49, Issue 2, Pages 127-147, ISSN 0148-6195, https://doi.org/10.1016/S0148-6195(96)00078-1
Banque Centrale du Congo (BCC). (2022, mai 18). Condensé hebdomadaire d’informations statistiques, n° 19 au 13 mai 2022, Kinshasa, direction générale de la politique monétaire et des opérations bancaires
BCC (2023). Rapport annuel 2021. Kinshasa : RDC
BCC (2021). Rapport annuel 2020. Kinshasa : RDC
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El-Erian, M. A., & Kumar, M. S. (1996). Mobilization of Saving in Developing Countries, IMF Working Papers, 1996(136), A001. Consulté le 6 février 2024, à l’adresse https://doi.org/10.5089/9781451855760.001.A001
Khera, P., Stephanie Y Ng S., Ogawa S., & Sahay R. (2021, March 19). Digital Financial Inclusion in Emerging and Developing Economies: A New Index.
La finance pour tous. (2023, Juillet 27). Comptes à terme. Consulté le 31 février 2024, à l’adresse https://www.lafinancepourtous.com/pratique/placements/epargne-disponible-non-reglementee/comptes-a-terme/
Loukoianova, E., & Yang, Y. (September 18, 2018). Financial inclusion in Asia-Pacific. Washington, DC : International Monetary Fund
Ministère des finances. (Juillet 2023). Stratégie nationale d’inclusion financière 2023-2028.
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Vargas, M., & Sanchez, J. (2023). Taming Financial Dollarization: Determinants and Effective Policies – The Case of Uruguay. IMF Working Papers, 2023(244), A001. Consulté le 12 février 2024, à l’adresse https://doi.org/10.5089/9798400258428.001.A001
Zerbo, S., & Pohl, M. (2022, July). The Democratic Republic of the Congo : Selected Issues. IMF Country Report No. 22/211