Par Jean AIME et Fatou DIAGNE NIANG *
Ces trois dernières décennies ont été marquées par une profonde transformation des activités humaines du fait de l’émergence fulgurante des GAFAM qui offrent, par ailleurs, un univers d’opportunités et de possibilités duquel il résulte des bonds significatifs dans plusieurs domaines, avec pour répercussion la naissance des NATU et bientôt l’IA deviendra une réalité incontournable dans plusieurs secteurs d’activités.
A cela s’ajoute que l’avènement de la Covid-19 a beaucoup remis en question les habitudes quotidiennes d’achat ainsi que les canaux et méthodes traditionnels de production, de distribution et de fourniture des biens et services. Pour autant, du côté des entreprises innovantes et prospectivistes, pas grand-chose n’allait probablement changer, du fait de leur avancée technologique et de l’originalité de leur business model. Ce qui n’a pas été forcément le cas de celles qui n’avaient jusque-là pas senti le besoin d’opérer de changement et qui se devaient, pour assurer leur survie sérieusement comprise, faire la mue de leur approche commerciale et, plus généralement, de leur business model.
En effet, avec cette crise sanitaire du Covid-19, il a fallu, presque partout dans le monde, faire face à des contraintes inédites au niveau mondial et connues sous le nom de « mesures restrictives » : confinements parfois partiels ou généralisés, restrictions sur le transport international et au niveau national, fermeture ou accès limité des marchés, restaurants et hôtels, interdiction de certaines activités à haut risque, …. Il fallût dès lors, même pour les plus sceptiques, dans le cadre d’une démarche d’agilité et de continuité de l’activité, procéder à des réorganisations internes, intégrer le télétravail comme modalité d’exécution du travail, et pour les entreprises les moins bien préparées, innover et repenser leurs canaux traditionnels de distribution. Le digital s’est révélé, dans ce contexte, une belle opportunité et aussi alternative pertinente à la crise économique qui se profilait à l’horizon.
Il y a ainsi eu des initiatives de solutions de e-learning dans les établissements d’enseignement privé, comme alternative à la fermeture totale, comme ce fût le cas dans le public. Aussi, quelques rares acteurs du marché des assurances ont saisi l’occasion pour lancer leur plateforme de souscription et de déclaration des sinistres en ligne, tout en facilitant la prise en charge de la clientèle à distance, notamment via des chabots. Au Sénégal, Askia Assurances peut être citée en exemple.
Bien loin de constituer un effet de mode, le digital et plus généralement la technologie, demeurent tout à la fois de puissants leviers de différenciation, de croissance et d’optimisation de l’expérience client.
En Afrique, les enjeux technologiques se posent avec beaucoup d’intérêts, en raison de ses énormes potentialités, face à une Europe, une Asie et une Amérique déjà très avancées sur ces questions et où la concurrence est déjà très rude dans plusieurs secteurs d’activités.
Au regard des perspectives de croissance qu’offre le continent africain où beaucoup de choses sont encore à leurs prémices, bien appréhender les enjeux du digital – ou de la technologie – peut aider à mieux se positionner au milieu d’une concurrence qui risque de s’intensifier et devenir encore plus rude durant les prochaines décennies.
En partant de l’expérience tirée du Covid-19, nous traiterons, ici, des nouvelles opportunités qu’offrent le télétravail, en tant que modalités d’exécution du travail, avant de passer au crible les incroyables avantages de l’innovation digitale dans le cadre de l’optimisation de la compétitivité de l’entreprise et de l’expérience client.
A. Le Télétravail : une modalité d’exécution du travail avantageuse et flexible
Le télétravail peut être défini d’une manière générale comme la modalité d’exécution ou forme d’organisation du travail qui autorise le salarié à réaliser ses missions à distance, en dehors des locaux de l’entreprise, en ayant recours aux technologies de l’information et de la communication. Il peut être exécuté suivant les termes de l’accord entre le salarié et son employeur, soit exclusivement dans un seul lieu, soit en alternance entre le domicile du salarié et tout autre lieu convenu.
Ce régime spécifique d’organisation du travail peut être adopté à temps partiel ou alors de façon plus ou moins permanente. Il convient par ailleurs de préciser qu’en droit français, conformément aux articles 414-3 et 414-9 du code du travail, l’introduction ou la modification d’un régime spécifique de télétravail au niveau de l’entreprise est assujettie à un « commun accord entre l’employeur et la délégation du personnel ». Dans les entreprises au sein desquelles il n’existe pas de collège de délégués du personnel et d’accord d’entreprise, l’accord du salarié est toutefois requis et la réversibilité lui est garantie.
En se référant aux études réalisées dans le domaine, notamment celle menée au Québec en 2001 par le CEFRIO, le télétravail présente de nombreux avantages pour l’employeur tout comme pour l’employé.
Parmi ses avantages, nous pouvons noter que le télétravail permet de réaliser des économies plus ou moins considérables par rapport aux charges que l’entreprise aurait pu supporter si le travail devait être exécuté dans ses locaux. Au nombre de ces économies sur les charges d’exploitation, nous pouvons citer celles sur la consommation en électricité (éclairage, climatisation, etc.) et en eau, sur les charges locatives, etc.
De même, le télétravail permet de prévenir les retards souvent liés aux aléas du transport qui est devenu un véritable défi dans les grandes villes. En ce sens, il réduit le stress et l’épuisement liés aux grandes pertes de temps sur le trajet bureau-maison, et favorise par conséquent un meilleur rendement dans le travail.
Le télétravail est devenu un facteur de différenciation dans l’offre RH des entreprises et aussi un moyen de fidélisation des cadres, puisqu’il permet dans une certaine mesure d’assurer un meilleur équilibre vie familiale et vie professionnelle.
En faisant sauter le verrou de la distance géographique, le télétravail permet à l’entreprise, selon ses besoins et ses enjeux stratégiques, d’avoir de plus de possibilités de choix et ainsi d’accéder à des compétences spécifiques, soit du fait qu’elles sont indisponibles ou rares dans son lieu d’implantation soit parce qu’elles sont moins onéreuses ailleurs, avec la garantie de la performance souhaitée. C’est aussi un moyen pour le salarié de travailler pour l’entreprise de son choix sans avoir à se déplacer, et de bénéficier d’une certaine flexibilité. C’est le cas des métiers de l’ingénierie informatique qui ne nécessite pas toujours une présence physique pour réaliser les tâches confiées.
Propulsé au-devant, en Afrique, notamment avec l’avènement du Covid-19, le télétravail demeure une expérience encore récente et peut exploitée par les entreprises, en Afrique de l’Ouest. Il n’est pas encore encadré par une réglementation spécifique comme en Europe, bien qu’il n’échappe pas pour autant aux règles de droit commun du travail ou aux législations connexes sur la vie privée et les données personnelles. Il faut aussi préciser que lorsque le télétravail est adopté, il revient à l’entreprise de mettre à la disposition du salarié les outils et moyens nécessaires à l’exécution de son travail tels que l’ordinateur et les frais liés à l’utilisation domestique de l’électricité et de l’internet, etc.
En expérimentant le télétravail, nos entreprises pourraient accroître le rendement de leurs travailleurs, fidéliser davantage ces derniers et réaliser des économies sur leurs charges d’exploitation. Par ailleurs, dans le contexte de l’Afrique de l’Ouest en général et du Sénégal en particulier, l’Etat gagnerait à mieux réglementer cette forme d’organisation du travail pour mieux la promouvoir et bien l’encadrer au bénéfice de l’employeur tout comme de l’employé.
B. L’innovation digitale : facteur de différenciation et puissant levier de croissance
De nos jours, toutes les entreprises se veulent modernes, innovantes et à la pointe de la technologie.
Loin d’être un effet de mode, cette tendance découle du fait que l’innovation est incontestablement un facteur clé de succès, dans la durée. Il s’y s’ajoute que le digital, plus généralement la technologie, constitue l’une des voies les plus usitées pour innover et se démarquer de la concurrence.
Cette tendance n’est pas fortuite. En effet, avec l’internet qui s’est démocratisée et aussi grâce aux performances surprenantes des objets connectés et systèmes d’exploitation informatiques, les possibilités d’innovation par le biais du digital paraissent quasi infinies. L’hégémonie de plateformes révolutionnaires telles que les NATU est très illustrative à ce propos. Si nous prenons également l’exemple du métier de la presse, on note la place de plus en plus prépondérante de la presse en ligne. Au Sénégal, des plateformes comme Seneweb.com, Dakaractu.com et Leral.netsont de parfaits exemples de succès. En plus d’être consultées par un large public, leurs bannières publicitaires sont très demandées malgré les tarifs élevés, en raison du nombre élevé de trafics qu’elles génèrent. En France, de grandes maisons de presse à l’image du Figaro, Le Monde et Libération, ont depuis bien longtemps opéré leur mue en se tournant durant les années 80 à 90 vers la digitalisation de leurs contenus médiatiques.
Au-delà des possibilités de se réinventer, les défis d’inclusion, y compris les enjeux de dématérialisation ainsi que la place de plus en plus prééminente des canaux de distribution digitaux – généralement inclus dans la famille des « canaux de distribution alternatifs » –, rendent encore plus pertinentes les innovations par la digitalisation. Sans conteste, le digital constitue, de nos jours, un puissant levier de démocratisation et d’inclusion dans plusieurs secteurs d’activités, notamment la banque, les assurances, la microfinance, etc. Ce qui permet à l’entreprise d’accroître ses parts de marché, mais également ses marges par un effet de volume.
A fin 2021, bien que le taux de bancarisation strict s’établisse à 21,8% dans l’espace UEMOA, le taux global d’utilisation des services financiers est ressorti à 67,2%. Ce résultat, selon la BCEAO, est dû à l’adoption par les institutions financières, de stratégies digitales dans la fourniture des services financiers auxquelles il faudrait associer le grand succès du mobile money dans les pays de l’Union (contribuant pour 24,8% du taux global). Il faut d’ailleurs souligner qu’à l’heure actuelle, pratiquement tous les commerces, même les plus petits, ont adopté la monnaie électronique comme moyen de paiement. Ce qui continue une aubaine pour les adeptes de parcours clients full digital.
Dans le secteur des assurances, la digitalisation en est encore à ses premiers balbutiements. Et pourtant, pour dépasser son taux de pénétration encore timide – 1,5% en moyenne en Afrique de l’Ouest – en raison d’une faible inclusion des revenus modestes et du secteur informel (soit approximativement 80% des personnes actives), il faudra absolument compter sur la digitalisation. Dans cette lancée, la Côte d’Ivoire a adopté en Janvier 2023 la dématérialisation de l’attestation d’assurance automobile, ouvrant par la même occasion la voie à l’émergence des assurtechs. Le Sénégal, Etat membre de la CIMA, s’est aussi inscrit dans le même sillage. Pour les acteurs du marché, cette dématérialisation des attestations automobiles devrait permettre de prévenir plus efficacement la fraude et ses inconvénients pour les acteurs et les clients et, par la même occasion, préserver la rentabilité du marché et de ses acteurs.
Il convient aussi de souligner que grâce aux applications et sites de e-commerce, les offres de biens et services sont devenues plus accessibles à la clientèle, le commerce plus facile et les transactions plus sécurisées et confidentielles, comparé à la distribution physique et traditionnelle, qui comporte de nombreuses contraintes d’ordre logistique et financière (impératif de maintenir un certain nombre d’agences et d’effectifs, …). L’avantage des canaux digitaux de vente c’est qu’ils permettent d’accéder plus facilement à une large clientèle cible et, par conséquent, de réaliser un chiffre d’affaires potentiellement beaucoup plus important. Au regard de cet avantage, beaucoup d’entreprises ont adopté l’approche multicanale ou omnicanale en vue d’élargir leurs canaux de contact de leur clientèle, à défaut du 100% digital pouvant au final être adopté en fonction des comportements d’achat et particularités de chaque marché. Il s’agit d’une stratégie pertinente et bien souvent gagnante puisque, dans tous les cas, ainsi que le révèle le rapport de l’UIT (Union internationale des télécommunications,) à fin 2022, 40% de la population africaine est connectée (dont 64% en zone urbaine) et 61% disposent d’un téléphone mobile.
En marge des grandes possibilités d’innovation auxquelles elle donne accès, l’innovation par le digital constitue une opportunité de réaliser d’importantes économies d’échelles. En effet, une partie des coûts fixes découlant souvent de l’impératif d’ouvrir plusieurs agences physiques pour être au plus près de sa clientèle, est, de fait, éliminée ou à défaut considérablement réduite, du fait que le digital comporte moins de contrainte pour la couverture géographique d’un marché donné. Ce qui permet de bénéficier d’une diminution plus ou moins considérable du prix de revient des biens ou services proposés et, par conséquent, de pouvoir appliquer des tarifs compétitifs, tout en accédant à la grande majorité de sa cible. Ce qui peut constituer un avantage concurrentiel considérable.
Au regard de ce qui est évoqué plus haut, le digital constitue un moteur de croissance du chiffre d’affaires et de génération de marges beaucoup plus considérables, à partir du moment où la stratégie qui sous-tend son adoption est bien pensée, correctement mise en œuvre et réajustée au fur et à mesure en fonction de l’évolution du marché.
C. L’innovation digitale : un excellent moyen d’optimiser l’expérience client
L’un des principaux atouts du digital c’est qu’il donne accès à d’innombrables possibilités d’optimisation de l’expérience client, terme rapporté sous le vocable « expérience utilisateur » lorsque l’on parle d’applications ou de technologies digitales.
Le digital a l’avantage de créer un sentiment de proximité avec l’entreprise, où que le client se trouve. Il réduit la distance entre le client et son produit, le client et le vendeur, du fait de la dématérialisation du processus d’achat, de la prise en charge de l’après-vente, sans compter la possibilité d’accéder à des informations pertinentes sur les biens proposés et de bénéficier de conseils en ligne, notamment via les chatbots.
De nos jours, il est possible d’acheter sans se déplacer, de disposer d’informations pertinentes sur des produits en quelques clics seulement, et aussi de demander conseil en ligne et obtenir sa réponse beaucoup plus vite. De même, en cas de besoin de prise en charge après-vente, tout est devenu plus facile.
Ces ensembles de procédés simplifiés contribuent grandement à l’optimisation de l’expérience client qui, de manière résumée, renvoie à la somme des expériences découlant des diverses interactions que peuvent avoir le client avec l’entreprise, avant, pendant et après l’achat d’un produit ou service. Ces expériences peuvent être positives ou négatives et à des degrés variables. Elles résultent, entre autres, d’une combinaison d’éléments cognitifs, émotionnels et sociaux que l’entreprise doit prendre en compte pour satisfaire ses clients.
L’innovation digitale, en tant que facteur de différenciation, constitue un puissant levier pour accroître la willingness to pay – la propension du client à payer le prix –, étant entendu que l’expérience client satisfaisante qu’elle offre par la suite, permet normalement d’augmenter le taux de satisfaction de la clientèle. La bonne nouvelle est qu’un client satisfait, est généralement un client fidèle et auprès duquel on peut espérer accroître une montée en gamme ainsi qu’une saturation par d’autres produits qui entreraient potentiellement sur sa liste de besoins. C’est aussi un prescripteur.
On se rend donc compte de l’enjeu stratégique que constitue une expérience client optimale, gage de confiance en l’entreprise et aux produits ou services qu’elle offre. Dans ce cadre, l’innovation digitale constitue un levier sur laquelle les entreprises innovantes peuvent facilement s’appuyer, pour se tailler une image de marque positive et se crédibiliser durablement dans leurs marchés respectifs.
* Jean AIME est Juriste, Professionnel Conformité Certifié | Certifié Strategy@HEC Paris, et Président du Comité Stratégique de DIOKOTECH SAS.
*Fatou DIAGNE NIANG est Cadre Supérieur de l’Assurance | Business development Manager et Directrice Afrique de DIOKOTECH SAS.