Après la décision de retirer les troupes françaises du Niger et de rapatrier son ambassadeur, Emmanuel Macron n’en a pas pour autant fini avec l’engagement militaire de la France en Afrique. Un doute, toutefois, subsiste : dans quel pays va- t-il redéployer ses forces ? Financial Afrik a demandé à Caroline Roussy, directrice de recherche Afrique à l’IRIS, qui pilote l’Observatoire Sahel pour le compte du Ministère des Armées, son décryptage sur cette épineuse question. Article à retrouver aussi dans DIFA 2.
Par Christine Holzbauer, Paris.
Cest la question qui taraude les rédactions africaines après le bras de fer entre la France et le Niger et l’annonce, dimanche soir, par Emmanuel Macron de retirer les quelque 1500 hommes de troupe stationnées à Niamey. Alors que l’ambassadeur de France au Niger, Sylvain Ite, qui était bunkérisé chez lui depuis le coup d’Etat du 26 juillet dernier, a regagné Paris ce 27 septembre, où vont aller les soldats français ? Officiellement, ils rentrent en France, mais de sources officieuses on n’exclut pas qu’une partie d’entre eux rejoigne d’autres bases en Afrique. Au Bénin, notamment, où, selon des informations de presse nigériennes, une base française «avancée» est en construction à Kandi !
Des informations qui, selon un observateur, sont totalement «occultées» par les autorités locales avec une presse «aphone sur le sujet.» Pour Caroline Roussy, directrice de recherche sur l’Afrique à l’IRIS, qui pilote l’Observatoire Sahel pour le compte du ministère des Armées, « le Bénin est en haut de la liste s’il devait y avoir redéploiement, compte tenu de la menace terroriste qui se répand par capillarité dans les Etats du Golfe de Guinée », commente-t-elle. D’autres pays comme la Côte d’Ivoire, le Sénégal, Djibouti, voire le Tchad ou le Gabon sont également concernés. «La France y possède déjà des bases, mais quant à un plan B pour un redéploiement des troupes dans cette région -qui inquiète pourtant au plus haut point les autorités françaises- c’est le flou le plus absolu dans les Etats-majors », confie cette spécialiste des questions stratégiques.
«Coup de pouce» du Niger
Dans son intervention du 24 septembre, Emmanuel Macron a déclaré : «Nous mettons fin à notre coopération militaire avec le Niger. » Du coup, les 1 500 militaires français présents sur place à Niamey partiront « dans les semaines et les mois qui viennent », et leur retrait sera totalement achevé« à la fin de l’année», a poursuivi le président français. Sur le plan logistique, ce départ « en trois mois » du Niger représente un défi de taille. « La France doit demander aux autorités du Niger un ‘coup de pouce’ pour que ce retrait puisse se faire dans les meilleures conditions. Il y a, là, une ironie pour des soldats français bloqués dans leur caserne depuis deux mois qui n’échappe à personne », ajoute-t-elle. Présente au Niger avec l’accord du président déchu, Mohamed Bazoum, cette force française, déjà redéployée du Mali après le départ de Barkhane, est venue pour lutter contre le djihadisme au Sahel.
Mais, dès le mois d’août, le nouveau pouvoir à Niamey a dénoncé les accords de coopération militaire signés entre les deux pays et entérinés par le Parlement nigérien. La junte n’a eu de cesse, depuis, de dénoncer la présence militaire française qualifiée d’« illégale » afin, note Caroline Roussy, de se concilier les bonnes grâces de la rue, « dont elle a ainsi pu obtenir le soutien. » Alors qu’auparavant le Niger servait de base de transit pour les opérations au Mali, le pays accueille désormais le cœur du dispositif militaire français sur la base aérienne projetée (BAP) de Niamey, où sont déployés en permanence cinq drones Reaper et au moins trois avions de chasse Mirage. Conformément aux engagements d’Emmanuel Macron du 27 février dernier, avant sa tournée dans quatre pays africains, le mandat des troupes françaises était d’appuyer les troupes nigériennes au combat et de les aider à monter en puissance, alors que le groupe Etat islamique au Sahara (EIS) a regagné du poil de la bête à la frontière malo-nigérienne.
Une situation propice aux djihadistes
Impuissante à endiguer le djihadisme dans la région, tandis que la zone dite des trois frontières est plus dangereuse que jamais, la France se retrouve persona non grata de trois régimes putschistes (Mali, Burkina Faso et Niger), certains ouvertement pro- russes. «Les putschistes sont les amis du désordre», a martelé Emmanuel Macron. Pourtant, «l’opération Barkhane a été un succès», empêchant la prise du pouvoir par les djihadistes, dans la région du Sahel, a-t-il rappelé. La France comptait sur une intervention de la CEDEAO, qui n’est jamais arrivée avec, comme résultat que de la Mauritanie au Soudan, «les djihadistes sont en passe de faire fuir l’ensemble des Occidentaux», déplore Caroline Roussy. Pour elle, la menace terroriste étant extrêmement volatile, «la situation de confusion actuelle pourrait profiter aux terroristes avec des conséquences à long terme très dommageables pour les populations.» C’est pourquoi, estime-t-elle, la diplomatie française a tort de vouloir suspendre «toutes ses actions d’aide au développement et d’appui budgétaire» ou bien interdire les artistes tant qu’un « retour sans délai à l’ordre constitutionnel nigérien, autour du président Bazoum, élu par les Nigériens » n’a pas eu lieu.
Pour la spécialiste Afrique de l’IRIS, il serait faux, en effet, « de croire que les Nigériens ont pris la rue, campé devant la base de Niamey, à coup de seuls billets de banque. Cette grille de lecture fleure -une fois encore- le mépris. L’image de la France va sortir un peu plus écornée de cet épisode. Il sera sans doute difficile désormais pour le Niger de lutter contre la menace terroriste mais l’enjeu, aujourd’hui, est de lutter sans la France, conclut-elle