Qu’est ce que ce vieillard sur fauteuil roulant que la jeunesse récuse aujourd’hui rassemble si bien à l’Algérie ! Bouteflika c’est ce pays riche mais incapable de se transformer, prometteur mais fatigué, éduqué mais miné par le chômage, souverainiste mais avec des élites qui ont, depuis les premières bourrasques de la révolution, acquis des nationalités françaises, suisses et canadiennes tout en maintenant leur peuple dans une arabisation forcée qui aura eu comme conséquence de faire de la langue française, ce «butin de guerre» selon Kateb Yacine, un produit de luxe.
Du symbole vivant que les jeunes africains découvraient dans les journaux de l’époque avec un certain romantisme révolutionnaire, il ne reste plus de Bouteflika que la caricature reproduite à satiété dans les pancartes au gré d’un humour algérois particulièrement prolifique. Et pourtant, il fut …jeune lycéen engagé dans l’Armée de libération nationale (ALN), aile militaire du Front de libération nationale (FLN).
Il fut sous son surnom d’Abdelkader Mali, la façade pragmatique du romantique Boumediène auprès des populations et la vitrine internationale du fameux clan d’Oujda. Élu député en 1962, à l’âge de 25 ans, il est d’abord ministre de la Jeunesse et du Tourisme la même année sous le gouvernement de Ben Bella puis ministre des Affaires Étrangères en 1963, membre du comité central et du bureau politique du FLN. En 1974, il préside l’assemblée générale des Nations Unies.
Bouteflika restera ministre des Affaires Étrangères jusqu’en 1979, survivant aux putschs et aux intrigues. Le président Chadli Benjedid l’écartera en le nommant ministre d’Etat. Puis c’est la disgrâce.
La traversée du désert
Comme la plupart des combattants de l’Armée de libération nationale, Bouteflika, accusé d’extorsion de fonds, prendra le chemin de l’exil en 1981. Au terme de la décennie noire consécutive à l’automne islamiste de 1988 et à l’arrêt du processus électoral de 1992 par les chars de l’armée hostiles aux islamistes, l’Algérie plonge dans le chaos. La guerre civile fera plus de 100 000 morts. Un président dit de la dernière chance, Mobamed Boudiaf, sera tué en juin 1992 à Annaba, après à peine 6 mois de présidence. C’est alors que la vieille garde du FLN se tourne vers son missi dominici, Abdelaziz Bouteflika, qui n’avait plus la mèche rebelle perlant le front et avait, au fil des années de purgatoire, pris un respectable embonpoint qui achevait, avec sa moustache proéminente barrant un visage énigmatique et son controversé programme de réconciliation nationale, d’en faire l’homme de la situation.
Élu en 1999 en tant que candidat indépendant, avec plus de 73% des voix (ses principaux adversaires avaient boycotté le scrutin), il mit fin à la guerre avec la loi sur la concorde civile adoptée par référendum. Plus de 6 000 hommes sortirent du maquis et déposèrent les armes. L’amnistie offerte aux islamistes en échange de la paix a prévalu justifiant sa large réélection en 2004, avec 85% des voix. A partir de cette date, la tendance stalinienne ne se démentira pas pour celui qui concentre la présidence et le ministère de La Défense entre ses mains. L’homme providentiel veut se perpétuer. C’est une constance dans l’histoire politique de l’humanité.
Face aux forces motrices de l’histoire, le verrou des deux mandats sauta en 2008 lors d’un vote par acclamation des apparatchiks estimant que sans Bouteflika c’est le déluge. Les réélections en 2009 puis 2014 condamnent toutes les issues de secours à un pouvoir barricadé et déconnecté de la dure réalité des masses. Le démantèlement des services de renseignement (la puissante DRS) en 2013 participe de cet isolement progressif.
L’accident cardio-vasculaire de 2013 est brusquement venu rappeler à Bouteflika que seules les institutions sont pérennes. Le reste de la longue carrière du médiateur entre l’Ethiopie et l’Erythrée s’est joué en quelques semaines entre un hôpital suisse, des jets privés, des limousine aux vitres teintés et des déclarations et contre déclarations. Encore un grand homme qui a déjoué toutes les ruses du pouvoir mais n’a pas su mesurer le quart d’heure de trop, l’instant qui aurait transformé tout De Gaulle en Ceauseacu.
L’ancien et pimpant ministre des Affaires étrangères, qui eut le privilège d’organiser à 26 ans le sommet des non alignés et divers festivals et conférences africaines, le baron du syndicat des chefs d’Etat du continent, qui voyait la crème du continent défiler à Alger est, à l’image de son pays, l’incarnation de ses élites embourgeoisées et cloîtrées dans des résidences fortifiées, complètement dans l’impasse. Prisonnier de la nomenklatura militaro- bureaucratique dont il est pourtant l’un des pères fondateurs, Bouteflika a eu le réflexe des apparatchiks d’aller se soigner en Suisse, pays du secret bancaire et…médical. La montagne helvétique fait office de coffre fort pour révolutionnaires désabusés dotés souvent d’une nationalité de rechange et de plusieurs comptes offshores. Les rétro -commissions des grandes affaires (Khalifa, Sonatrach, Autoroute Est-Ouest) dorment sur l’arc lemanique.
Certes, la flamme révolutionnaire est encore entretenue, servant de justification au gouffre financier du conflit du Sahara et à la manne pétrolière et gazière qui sert à défendre des positions à Addis Abeba et à acheter la paix à Alger. Mais, pas plus la statue de Lénine hier à Moscou, sur la place rouge, à la veille de la chute du mur de Berlin, que celle du Moujahid (résistant) aujourd’hui dans le centre d’Alger, les symboles de la révolution ne sont plus vénérés.
Au contraire, les héros sont vilipendés et obligés de prendre la porte de service, ultime possibilité pour ne pas subir le sort de la représentation colossale de Saddam Hussein au lendemain de la chute de Bagdad en 2003.
Dans ces moments historiques où la colère de la rue souffle comme un Ouragan, le système, toujours lui, tente de se réinventer en se joignant au peuple pour, d’un doigt accusateur, désigner le bouc émissaire: c’est encore et toujours l’entourage opaque et intriguant du Calife qui est donné en sacrifice. Haro sur le clan qui a fait présenter la candidature de Bouteflika et l’a fait démissionner. L’armée se donne le beau rôle, cherchant à être du bon côté de l’histoire. La guerre pour le pouvoir est bien engagée alors que Bouteflika, pris en otage, négocie une difficile sortie de l’histoire.
Quel retour de manivelle de la part d’un homme qui a incarné en son temps, les aspirations les plus élevées des pays non alignés. Mais comme toute histoire, celle de l’Algérie comme celle de Bouteflika finit sur des considérations pragmatiques : qu’avez-vous fait de toutes vos forces, de vos richesses et de vos rêves d’indépendance ? Il n’y aura pas de réponse à cette question. Après 20 ans de pouvoir, le jeune révolutionnaire qu’il fit et le vieux manœuvrier politique qu’il aura toujours été se sont joints dans un moment solennel, le 3 avril 2019, pour présenter une lettre d’adieu, de lui ou des autres, aux algériens dont voici l’intégralité.
Lettre d’adieu
« Au nom d’Allah, le Clément, le Miséricordieux,
Prière et paix sur Son messager, les siens et ses compagnons jusqu’au jour du jugement dernier,
Mes chères sœurs, Mes chers frères,
En quittant mes fonctions, je ne puis achever mon parcours présidentiel sans vous adresser un ultime message afin de ne pas quitter la scène politique nationale sur une séparation qui me priverait de demander pardon à ceux, parmi les enfants de ma patrie, envers lesquels j’aurais, sans le vouloir, manqué à mon devoir en dépit de mon profond attachement à être au service de tous les Algériens et Algériennes, sans distinction ni exclusive.
Maintenant que j’ai mis fin à mon quatrième mandat, je quitte mes fonctions avec à l’esprit la collaboration que nous avons eue ensemble, avec dévouement et abnégation, et par laquelle nous avons ajouté des jalons à notre édifice national et réalisé quelques uns des objectifs auxquels nous aspirions en terme de dignité et de grandeur, grâce à tous ceux qui m’ont aidé parmi les enfants de notre pays.
L’Algérie aura bientôt un nouveau président, et je prie Allah de guider ses pas pour poursuivre la réalisation des aspirations et attentes de ses valeureux enfants, en s’appuyant sur leur sincère dévouement et ferme détermination dans la contribution, désormais, sérieuse et tangible au parachèvement de la construction de leur pays en retroussant les manches et par la pertinence de leurs idées et leur vigilance citoyenne.
En effet, malgré la conjoncture tendue depuis le 22 février, je n’ai de cesse été confiant, et je rend grâce à Allah, que le processus national ne s’arrêtera pas et que viendront ceux qui continueront sa conduite vers des horizons de progrès et de prospérité en accordant, et c’est mon vœu, une attention particulière aux jeunes et aux femmes pour leur permettre d’accéder aux fonctions politiques, parlementaires et administratives.
Ma confiance est grande en leur capacité à contribuer à relever les défis qui se posent à notre nation et à construire son avenir.
Mes chères sœurs, Mes chers frères,
Aujourd’hui simple citoyen, il n’en demeure pas moins que je reste fier de ma contribution à ce que l’Algérie ait amorcé le 21e siècle en étant dans une situation meilleure et que je me félicite des progrès notables, réalisés dans tous les domaines, en faveur du peuple algérien qui m’a fait l’honneur d’être son président, vingt années durant.
Et comme toute chose a une fin, je vous fait mes adieux même s’il n’est pas facile pour moi de vous exprimer toute la sincérité de mes sentiments.
Les mots ne sauraient suffire pour dire toute ma gratitude à la majorité d’entre vous pour les mains qui m’ont été tendues et pour les signes d’affection et d’égard qui m’ont été témoignés.
J’ai accepté volontairement la magistrature suprême de notre pays afin de parachever les missions qu’Allah m’a aidé à assumer depuis mon adhésion, en tant que Djoundi, à la glorieuse Armée de Libération nationale et jusqu’à la première phase Post-indépendance, mais également par fidélité au serment fait à nos vaillants Chouhada. J’ai consacré ces vingt dernières années à votre service, et Dieu est témoin de ma sincérité et de ma loyauté.
Les jours et les années se sont succédé, tantôt maigres et tantôt prospères, donnant lieu aux actions qui ont été les miennes, certaines satisfaisantes et d’autres moins, le propre de l’action humaine étant qu’elle est toujours à parfaire.
Rien n’étant jamais éternel dans la vie, je quitte la scène politique sans tristesse ni peur pour l’avenir de notre pays. Je demeure confiant, que vous poursuivrez, avec la nouvelle direction du pays, le processus de réforme et d’action pour garantir à notre pays davantage de prospérité et de sécurité, grâce à la vaillance, à l’ambition et à l’optimisme de notre jeunesse, le cœur battant de notre Nation.
Mes chères sœurs, Mes chers frères,
Vous avez été les meilleurs frères et sœurs, les meilleurs assistants et compagnons et j’ai passé, avec vous et parmi vous, les plus riches années de mon parcours au service de notre pays. Le fait de me retirer désormais chez moi n’est nullement une rupture des liens d’affection entre nous, encore moins l’oubli de mes souvenirs avec vous. Vous serez toujours au plus profond de mon cœur.
Je vous remercie tous pour le plus précieux acquis de ma magistrature à la tête de notre pays, la fierté et l’honneur dont vous m’avez comblés et qui ont été mon leitmotiv pour vous servir quand j’étais en bon état et même en étant malade.
L’erreur étant humaine, je vous demande pardon pour tout manquement, par une parole ou un geste, à votre égard.
Je vous invite à demeurer fidèles au devoir de respect et de révérence à l’égard de ceux qui ont signé le miracle de notre libération nationale, qu’ils soient Chouhada ou Moudjahidine toujours en vie. De même que je vous exhorte à demeurer unis, à ne jamais vous diviser et à être à la hauteur de la responsabilité de préserver le message de nos vaillants Chouhada.
“Il est, parmi les croyants, des hommes qui ont été sincères dans leur engagement envers Allah. certains d’entre eux ont atteint leur fin, et d’autres attendent encore, et ils n’ont varié aucunement” (verset 23, El-Ahzab).
Gloire et éternité à nos Chouhada ».
Un commentaire
Juste pour le journaliste
Bouteflika n’a jamais était un combattant
Ni lui ni boykharouba (boumediene) ils étaient cachés comme des rats.