Par Fodé S. KEITA,Directeur Général de SYRAVIE
De nouvelles dispositions exigent d’accroître le capital social des sociétés d’assurance opérant en zone CIMA d’un milliard de F CFA à cinq milliards de F CFA ou de huit cents millions à trois milliards de F CFA, selon que l’assureur est une société anonyme ou une société à forme mutuelle.
Pour rappel, les nouvelles dispositions stipulent :
Le capital social minimum des sociétés anonymes d’assurances passe d’un (01) milliard à cinq (05) milliards de CFA et le fonds d’établissement minimum des sociétés d’assurances mutuelles de huit cents (800) millions à trois (03) milliards de Francs CFA.
Pour les sociétés anonymes d’assurances en activité qui ont un capital social inférieur à ce minimum, elles disposent d’un délai de trois (3) ans pour porter leur capital social minimum à 3 milliards de Francs CFA et de cinq (5) ans pour le porter à 5 milliards de Francs CFA à compter de la date d’entrée en vigueur des présentes dispositions.
Rien n’étant immuable et figé dans le bronze, il peut être opportun de partager avec les acteurs du marché un certain nombre d’interrogations concernant ces dispositions.
On peut comprendre et adhérer à l’idée d’une telle disposition, l’accroissement de capital des sociétés d’assurance étant un gage de solidité financière et donc de pérennité et de fiabilité dans l’activité de ces sociétés.
Une des premières interrogations qu’a suscité à notre niveau une telle règle est la suivante : une telle disposition fera t elle plus de bien ou plus de mal au secteur de l’assurance en zone CIMA ?
Pour notre part, nous voyons plus d’inconvénients que d’avantages à une telle mesure.
Cette mesure suscite de premières interrogations.
Quelle justification peut on donner à un assureur dont le chiffre d’affaires ou le total des provisions techniques ne dépasse pas le milliard de F CFA à l’exigence de multiplier son capital social par cinq ou, pour des sociétés à forme mutuelle, par près de 4 fois ?
Quelles bonnes raisons peut on trouver pour des actionnaires qui se satisfont
de la rémunération actuelle de leur investissement qu’il leur faut multiplier par cinq leur capital social ?
Pourquoi exiger un niveau de capital social d’assureurs opérant sur un marché dont le chiffre d’affaires cumulés correspondant à deux ou trois fois le capital exigé ?
Les résultats actuels ou prévisibles des sociétés d’assurance dans la zone CIMA permettent ils de rémunérer de façon adéquate un capital social de cinq ou de trois milliards de F CFA ?
Les principaux inconvénients que nous voyons à l’exigence d’une augmentation importante de capital sur une période de cinq ans sont listés ci-dessous.
1) Elle peut induire une réduction des investissements dans le secteur
Nul besoin d’études financières ou mathématiques poussées pour comprendre qu’il est plus difficile de mobiliser cinq fois plus de ressources pour constituer le capital social d’une société et qu’il y a plus de raisons à hésiter à prendre un risque financier cinq fois plus important.
Ce sont là de premières raisons de renoncer à un investissement.
Avec des dividendes de cent millions de F CFA au cours d’un exercice, la rémunération du capital est de 10% lorsque le capital social est d’un milliard et de 2% pour un capital social de cinq milliards, l’incitation ou l’intérêt à investir est réduite par une telle perspective.
Un investisseur, qu’il soit déjà présent ou non dans le secteur d’assurance de la zone CIMA, aura de bonnes raisons de différer ou de surseoir la création ou la prise de contrôle de sociétés d’assurance dans la zone en ayant en vue la contrainte de devoir porter le capital social de chaque société à cinq milliards à l’horizon 2019.
Il faut s’attendre à un ralentissement ou un arrêt dans la création de sociétés d’assurance dans la zone, les sociétés de micro assurance ou celles disposant d’un marché captif comme les filiales d’institutions de financement pouvant faire exception.
Quel intérêt y a-t-il à ralentir un mouvement par lequel différents marchés d’assurance peuvent bénéficier d’investissements d’autres secteurs d’activité, de différents pays de la zone CIMA ou d’autres zones géographiques?
2) Elle peut réduire l’offre de services
Il y a une probabilité forte qu’une telle mesure entraîne une concentration des acteurs : les sociétés ne disposant pas de fonds propres suffisants ou d’apports financiers de leurs actionnaires ne pourront plus être présents sur le marché du fait de l’exigence de capital social minimum; elles seront dans l’obligation de fusionner ou d’être absorbées. Rien n’indique que telles fusions ou absorptions iront de pair avec l’arrivée de nouveaux venus dans le secteur.
Il est à noter que la réduction des acteurs ne serait pas liée aux résultats de mauvaises gestions, d’insuccès commerciaux répétés ou d’engagements non tenus.
L’intervention de moins d’acteurs peut se traduire par la création de monopoles ou d’oligopoles au niveau de différents marchés.
Qui dit monopole ou oligopole, dit moins de concurrence entre assureurs et moins de choix pour la clientèle.
Rappelons, à titre indicatif, quelques statistiques relatives à la zone CIMA.
Des concentrations fortes sont très probables dans le secteur de l’assurance vie pour lequel plusieurs marchés de la zone CIMA ont une collecte de primes inférieure à vingt milliards de FCFA.
Pour l’assurance vie, en analysant les statistiques de la FANAF, il apparait clair que si la nature des portefeuilles n’est pas modifiée vers des produits à haute marge, l’intérêt économique d’investir des sommes importantes au niveau de sociétés d’assurance vie de la zone sera difficile à trouver même en atteignant des chiffres d’affaires de dix milliards de F CFA.
La protection des assurés n’est-elle pas renforcée par l’émulation et l’exigence de qualité de service que peut susciter une concurrence saine entre assureurs ?
3) Elle peut affecter l’activité commerciale
Les dirigeants de sociétés d’assurance dont les fonds propres sont loin du seuil exigé auront la préoccupation légitime de trouver une solution à la contrainte liée au capital social minimum et partagerons leurs temps entre activité commerciale et recherche de solution pour la capitalisation de la société.
Ce sera ainsi moins de temps à consacrer aux activités de développement de la société et une forme d’incertitude qui peut affecter l’activité de l’entreprise et ainsi sa pérennité.
La recherche d’une plus grande solvabilité et d’une pérennité des assureurs doit elle passer par les situations décrites ci-dessus ?
La Commission de Contrôle de la CIMA a permis, depuis son entrée en activité, d’assainir le marché d’assurance de la zone et de renforcer l’exigence de rigueur dans la gestion des sociétés d’assurance.
Il convient de rappeler quelques mesures phares prises par les autorités de contrôle depuis le traité du 10 juillet 1992 pour assainir les marchés d’assurance de la zone CIMA :
– barèmisation des préjudices corporels en assurance automobile ;
– augmentation progressive de capital passant de 250 millions le 15 février 1995 à un milliard le 04 avril 2007 ;
– interdiction de la vente de l’assurance à crédit le 11 avril 2011 ;
– provisionnement de tous les arriérés de primes dans les bilans de l’exercice 2014 ;
-surveillance accrue du paiement des sinistres avec des sanctions pécuniaires en cas de non paiement des sinistres « bon à payer » ou lenteur dans la cadence de règlement ;
-renforcement des pénalités de retard en cas d’absence d’offre d’indemnisation ou en cas de retard dans l’offre d’indemnisation de préjudice corporel automobile ;
-exigence d’un plan de réduction des charges et l’interdiction de sous tarification en assurance automobile, entre autres, à côté des mesures de recapitalisation à mettre en œuvre dans le cadre des plans de financement à court terme ou des plans de redressement exigés des sociétés en difficulté;
– renforcement des critères de réévaluation d’actifs (immeubles et obligations d’Etat)
– surveillance permanente avec interdiction de la libre disposition des actifs ou administration provisoire ou retrait d’agrément lorsque la société ne fonctionne pas conformément à la réglementation ;
Plutôt que d’exiger le quintuplement du capital social de société sur un délai maximal de cinq ans, ne serait il pas préférable de poursuivre cette démarche de contrôle et de suivi mise en œuvre avec succès depuis plus de vingt ans ?
Ne serait il pas préférable de renforcer ou de poursuivre la surveillance par rapport à deux situations qui ont également un impact déterminant sur la solvabilité et la pérennité des assureurs :
Une telle démarche pourrait aller de pair avec un renforcement des critères de solvabilité des assureurs en rapport avec leurs engagements propres; par exemple, en relevant le niveau minimal de marge de solvabilité en rapport avec les primes collectées, les sommes assurées ou les provisions techniques de chaque société.
Plutôt que de contraindre par la force de la réglementation les sociétés de dimension modeste à disparaitre sans être en faute ou en situation périlleuse, pourquoi ne pas laisser la nature économique faire son œuvre tout en maintenant ou renforçant la surveillance des sociétés ? Cette surveillance qui concerne toutes les sociétés quelque soit leur taille apparaît comme le premier rempart contribuant à la protection des assurés et à la crédibilité du secteur des assurances. Les accroissements de capital social ou les rapprochements de sociétés se feront, si on peut dire, de façon naturelle pour les sociétés qui chercheront à renforcer leur solvabilité ou leur crédibilité ou, avec l’incitation des organes de contrôle, pour celles pour lesquelles une tendance vers une fragilité ou une défaillance est notée.