Par Adama Wade.
L’année 2016 devrait confirmer ou infirmer une thèse peu évidente à l’examen de la structure du budget national du Gabon (financé par l’industrie extractive à 70%) mais assez répandue en ce moment dans les cercles d’affaires : l’économie de ce pays d’Afrique centrale est entrain de rompre sa dépendance avec le pétrole. En effet, « la courbe du PIB s’est nettement découplée avec celle de la production du brut », soutient un expert, chiffres et graphes à l’appui, aux antipodes des prédictions alarmistes des agences de notations (Moody’s(1) et Standard and Poor’s (2)) qui tirent la sonnette d’alarme sur les finances du pays et sa capacité de rembourser sa dette.
Autant d’arguments que notre interlocuteur balaie d’un revers de la main, préférant nous entretenir, dit-il, « plus de l’économie que de la finance ». « Les investissements cumulés sur les 6 dernières années ont atteint plus de 4500 milliards de FCA soit 6,9 milliards d’euros ».
Ce montant, supérieur à l’investissement sans précédent consenti entre 1980 et 2009, ne suscite pas que des encouragements. Le FMI (3) y voit des signes d’inquiétudes et, par officines interposées, s’alarme de cette cadence ainsi que de son cadre global, à savoir le Plan Stratégique Gabon Emergent. Ce programme sensé faire émerger le Gabon repose sur la diversification et l’investissement public nourri par les recettes du pétrole. Depuis 2010, environ 65% des recettes de l’or noir sont englouties par ces investissements publics orientés vers les infrastructures.
Dans son élan vers la diversification, Ali Bongo a entrepris certaines réformes qualifiées d’«audacieuses» par ses partisans. Cas de l’interdiction d’exportation des grumes non transformées à l’origine de la disparition des petits exploitants forestiers et du bond enregistré par la première transformation, notamment dans la zone économique spéciale de Nkok(4), aménagée pour accueillir des unités de production industrielle. La première transformation représente 60% des exportations du bois, souligne notre interlocuteur, convaincu qu’il faut accélérer la cadence.
Cette mesure phare, vertement critiquée par certains acteurs qui lui reprochent « son caractère péremptoire et précipité », est sensé contribuer à l’élan d’industrialisation du pays qui constitue l’un des trois piliers de l’émergence aux côtés du Gabon vert et du Gabon des Services.
Sur le plan humain, le bilan du président est diversement apprécié selon que l’on parle en tant qu’opposant, société civile ou partisan. Les voix indépendantes sont rares sur le sujet. Pour le ministre du Travail et de l’Emploi , Simon Ntoutoume Emane, qui s’exprimait récemment à Genève, à l’occasion de la 105ème Session de la conférence internationale du Travail, l’institution de la couverture maladie universelle au profit de 600 000 gabonais constitue l’une des mesures phares de la première mandature d’Ali Bongo. Dans la même veine, l’augmentation du salaire minimum, passé de 80 000 à 150 000, a peut-être fait la joie des syndicats mais pas nécessairement suscité l’adhésion des employeurs.
Chamboulement dans les secteurs pétrolier et minier
De ce côté-ci des entreprises et surtout des multinationales, la résistance au changement est forte. « Plus forte que prévu », souffle un haut cadre de l’Etat qui estime « que le passage d’une économie de rente à une économie de production à laquelle nous assistons » ne sera pas de tout repos. La plupart des réformes entreprises par l’actuel président heurte des intérêts stratégiques. C’est le cas de la réforme du secteur des hydrocarbures, marquée par l’apparition d’un nouvel acteur: la Société Nationale des Hydrocarbures (GOC (5), Gabon Oil Company) accompagnée d’un renforcement des contrôles et des audits qui s’avèrent fructueux compte tenu de l’actualité des contentieux fiscaux entre Libreville et certaines multinationales…
L’autre chamboulement concerne le secteur minier, avec le lancement des projets miniers de Belinga(deuxième réserve de fer en Afrique, après Simandou en Guinée Conakry) et Maboumines (terres rares et phosphate), et la remontée sur la chaîne de valeur de la filière manganèse.
La création du Complexe Métallurgique de Moanda (CMM), qui s’inscrit dans un projet global de cluster des mines et de la métallurgie dans la province du Haut-Ogooué, devrait faciliter la transformation sur place de 5% de la production gabonaise.. Au final, la Comilog (filiale du groupe français Eramet, avec une participation forte de l’Etat Gabonais à l’actionnariat) a déboursé 150 milliards de FCFA (230 millions d’euros ) pour accompagner ce nouvel élan,.
Ce projet a pu voir le jour grâce à la mise en service du barrage hydroélectrique du Grand Poubara, dont la production de 120 MW est indispensable à l’approvisionnement en énergie du CMM. Ce barrage est l’une des réalisations phares de la Chine, devenue partenaire incontournable du développement du Gabon, comme en atteste les nombreux chantiers de la CAN 2017 confiés à des opérateurs chinois. .
Suite à la réforme de la filière, le Gabon est passé du troisième au deuxième rang mondial dans la production de manganèse à haute teneur. La transformation locale a démarré. Un nouvel écosystème a été mis en place avec la création de la Société Equatoriale des Mines. Le coffre-fort minier s’ouvre véritablement à la concurrence. Une soixantaine de permis a été attribuée, soit quasiment le double de ce qui existait jusque-là. Autre activité minière touchée par les réformes, la filière aurifère.
Le lancement d’une mine industrielle à Bakoudou et l’encadrement des orpailleurs donne ses fruits : une production annuelle multipliée par plus de 40, soit 1250 kilos en 2015 contre 30 kilos en 2009, avance-t-on dans le secteur. L’ensemble des acteurs reconnaissent que le potentiel d’évolution est encore très important.
La dynamique des réformes n’épargne pas les secteurs du bâtiment et des travaux publics. L’arrivée du marocain Cimaf (6) accentue la concurrence dans le secteur stratégique du ciment pour le plus grand bien de l’économie du Gabon.
Par ailleurs, le Gabon semble enfin décidé à exploiter son potentiel agricole. Les surfaces aménagées ont été multipliées par 5 entre 2009 et 2015, dépassant le cap des 80 500 hectares. L’arrivée des mastodontes comme Olam permet au pays de se positionner comme potentiel deuxième producteur africain du palmier à huile et troisième dans l’hévéaculture.
Reste à attendre les résultats du programme GRAINE, ce vaste projet de retour à la terre destiné à attirer les jeunes diplômés dans un secteur agricole auquel il préférait les bureaux climatisés de la fonction publique. Contre toute attente, le nombre d’inscrits atteint 14 000 personnes à la fin 2016, mais essentiellement des populations rurales. La cible des jeunes citadins désœuvrés demeure encore difficile à mobiliser.
Autant que la terre nourricière, c’est peut être aussi dans le numérique que ce pays dont l’immense partie du territoire est en forêt tropicale trouvera des réservoirs de croissance.. Les services financiers et le tourisme viendront, comme le projette le plan Gabon Emergent, se greffer sur la téléphonie (l’un des taux de pénétration les plus élevés de la région ) et le haut débit pour tracer les contours d’un nouveau pays.
A l’approche des élections, les attentes de la population sont grandes. Bien que l’économie ait créée 60 000 emplois sur les cinq dernières années, un rythme 4 fois plus important que la période précédente, le chômage demeure encore élevé (21% suivant les dernières études). Cela d’autant que la crise du secteur pétrolier est venue assombrir le tableau des résultats, ces deux dernières années. Le pôle économique de Port-Gentil a particulièrement souffert, avec de nombreux plans sociaux dans les services parapétroliers. Pour répondre aux attentes sociales, il faudra sans aucun doute que le rythme de la diversification économique et la croissance des nouvelles filières à forte valeur ajoutée s’accentuent.
Notes
-(1): L’agence américaine Moody’s a dégradé la note souveraine du Gabon le 29 avril 2016, la faisant passée de Ba3 à B1, c’est à dire de la catégorie non spéculative à celle hautement spéculative.
-(2): L’agence Standard and Poor’s avait d’abord dégradé le Gabon en août 2015 puis en janvier 2016, ramenant la qualité de la signature de « B+ » à « B ». Ces différentes notes en corollaire avec le cours du brut vont-elles remonter ?
– (3) Voir le dernier rapport du FMI au début 2016.
https://www.imf.org/external/french/pubs/ft/scr/2016/cr1687f.pdf
-(4) Cette video résume l’esprit de la Zone économique spéciale de Nkok
https://youtu.be/PIaHdyrKcIA
-(5) La Gabon Oil Company est créé par décret présidentiel n° 1017/PR/MMP en août 2010. La compagnie est partenaire technique du gouvernement dans le secteur pétrolier. Son objectif est d’être présent sur toute la chaîne de production, ce qui n’est jamais arrivé en 50 ans.
(6). CIMENTS DE L’AFRIQUE (CIMAF) du milliardaire marocain Anas Sefroui a investi
30 millions d’euros au Gabon en janvier 2013 pour la mise en place d’une unité de production de 500 000 tonnes extensible à 1 000 000.