A la faveur de la mise en œuvre de quelques projets pilotes ayant connu une réelle réussite, le concept de l’assurance agricole indicielle gagne du terrain dans le Maghreb et en Afrique de l’Ouest. Le Maroc (PMV), Mali (coton, mais), Burkina Faso (coton mais) et Sénégal (arachide et mais).
Il s’agit d’un système à travers lequel « les indemnisations ne reposent pas sur des évaluations directes, mais sont plutôt basées sur des indices climatiques et de rendement agrégés pour les rendre moins onéreux ». Ce qui en fait un outil de développement, selon les avis concordants des spécialistes.
Une tendance à laquelle est désireuse désormais de s’inscrire la Mauritanie. Ainsi, après une étude pour la création d’un mécanisme d’assurance agricole réalisée en 2014, le gouvernement rendra effective cette option stratégique au cours des prochains mois.
Pour la mise en place de la structure opérationnelle, le choix des autorités de Nouakchott devrait s’opérer entre deux (2) formules : une entité à capitaux publics, ou une société d’économie mixte.
Objectif assignée à la future compagnie d’assurance spécialisée dans le domaine agricole, offrir « une formule susceptible de couvrir les pertes d’exploitation enregistrées au niveau des cultures irriguées en cas de sinistre. Cette couverture sera systématique et proportionnelle aux dégâts subis par chaque assuré » explique Mohamed Lemine Ould Naty, directeur du contrôle des assurances au Ministère du Commerce, de l’Industrie et de l’Artisanat. Le secteur agricole en Mauritanie souffre de la faiblesse du niveau des financements. Il est également caractérisé par une forte vulnérabilité du fait de son exposition aux invasions aviaires, aux canards sauvages, aux oiseaux granivores, aux inondations et aux rongeurs.
Des menaces qui représentent une véritable hypothèque sur le chemin d’une modernisation plus poussée et de l’objectif de diversification, en dépit des efforts des pouvoirs publics en direction de la filière.
Sur la base de ces différents éléments le gouvernement est résolu à mettre en place un système de couverture des risques des opérateurs à travers l’assurance agricole.
Mme Naha Mint Mouknass, Ministre du Commerce, de l’Industrie et de l’artisanat, dont le département exerce la tutelle sur le secteur des assurances, a réuni toutes les compagnies du pays le 11 août 2015, pour recueillir les avis par rapport à la réalisation du projet dégager une perspective de participation au capital de la future compagnie d’assurance agricole.
Les compagnies d’assurances : entre avis mitigés et prudence
Après la réunion avec Mme Mint Mouknass, les 13 compagnies privées présentes sur le marché national ont consigné leurs diverses réactions dans un document.
« Des avis mitigés, puisque chaque société raisonne en fonction de sa stratégie, ses objectifs et ses capacités techniques et financières » explique le collectif des assureurs.
Cependant, en dépit de la diversité des approches les opérateurs du secteur «sont unanimes à reconnaître l’opportunité et la pertinence d’un tel projet qui comporte plusieurs avantages et effets induits : sécurisation des investissements, amélioration de la productivité et accroissement de la production, augmentation des revenus des populations et réduction de la pauvreté, développement d’un nouveau concept et d’un nouveau produit pour l’assurance, réduction de la vulnérabilité des agriculteurs, promotion de la croissance économique dans les régions ».
Par ailleurs, les assureurs mauritaniens relèvent « l’expérience réussie du Sénégal, ainsi que celle d’autres pays de la sous région dans le domaine de l’assurance agricole, qui conforte certaines compagnies dans leur avis favorable par rapport au projet.
Cependant, ces sociétés, bien que globalement réceptives au principe, tiennent compte de la spécificité du contexte mauritanien ».
Celui-ci comporte de nombreuses faiblesses : inexistence d’une réglementation en la matière, insuffisance du contrôle de l’Etat, absence d’une culture de l’assurance, faiblesse des revus et du niveau de vie des populations cibles, inexistence d’un personnel qualifié et professionnel.
Face à cette situation, certaines compagnies d’assurances préconisent « une étude de faisabilité plus approfondie pour établir la pérennité et la rentabilité du projet, l’identification des risques assurables, la mise en place d’une tarification des mécanismes d’indemnisation, le choix du mode de gestion de la couverture-soit directement par les assureurs, ou en partenariat avec l’Etat ». En cas de gestion publique « l’Etat prend directement en charge la couverture ».
Dans le système semi public « les modalités d’intervention et de participation de l’Etat, ainsi que des autres intervenants, seraient préalablement définies ».
Alors qu’à travers l’option d’une gestion privée « chaque société pourrait intervenir directement en fonction de ses capacités propres ».
L’expérience des voisins
Désireuses de l’inspirer de l’expérience des autres, les autorités mauritaniennes ont dépêché une délégation au Maroc, pays disposant d’un système d’assurances agricoles depuis plusieurs années.
Une mission composée de Mr Mohamed Lemine Ould Naty, Directeur du contrôle des assurances au Ministère du Commerce, de l’Industrie et de l’artisanat et Dossou Sidi Mohamed, chargé de mission au Ministère de l’Agriculture.Les missionnaires mauritaniens ont visité l’Agence pour le Développement Agricole et constaté « des avancées majeures réalisées dans ce domaine. Nous avons surtout pris connaissance de l’approche adoptée par le Plan Maroc Vert (PMV) pour rendre opérationnel le concept de l’assurance agricole, maillon important dans le développement du secteur » explique Mr Naty.
Les opportunités d’investissement et les principales mesures d’accompagnement adoptées par le Royaume ont fait l’objet d’un large examen à l’occasion de ce voyage.
Signalons qu’au Royaume, la Mutuelle Agricole Marocaine de l’Assurance (MAMDA)-garantit les risques agricoles.Au Sénégal, un autre pays frontalier de la Mauritanie, existe également la CNAAS, une compagnie d’assurance spécialisée dans la couverture des risques agricoles, créée en juillet 2008 et dont le capital est détenu par l’Etat, les compagnies d’assurances et de réassurances et des privés nationaux.
Une option stratégique
Le secteur agricole occupe 62% des activités de la population rurale en Mauritanie et représente 14,8% du Produit Intérieur Brut (PIB) du pays. Il est également le premier pourvoyeur d’emplois avec 60% des actifs potentiels, selon les chiffres officiels expliquant l’enjeu de la création d’une assurance agricole.
Le pays dispose de 513.000 hectares de terres dont 135.000 hectares dans l’irrigué (sur le fleuve Sénégal).Le système de production par l’irrigué se fait suivant 2 méthodes : irrigué en maîtrise totale de l’eau et la culture des terres après la décrue naturelle (Walo).
Tous ces paramètres justifient amplement le principe de la mise en chantier d’une assurance agricole. Cependant, les pièges, peaux de bananes et chausses trappes ne manquent pas sur le long chemin de la réussite d’une expérience dont la reconnaissance du caractère vital est unanime.
Amadou Seck à Nouakchott