Selon les dernières estimations du magazine américain Forbes[1], 20 milliardaires en dollars sont aujourd’hui domiciliés sur le continent. Ils étaient 14 en 2011… et 3 seulement en 2000. Des individus qui constituent aujourd’hui le visage (Dangote, Motsepe, Sawiris, Sefrioui…) de la réussite extraordinaire que peut offrir le continent, et dont l’exposition médiatique nouvelle engendre une curiosité grandissante à leur égard. Qui sont-ils ? Où vivent-ils ? Comment ont-ils fait fortune ? Autant de questions qui nous serviront de fil conducteur. Plongée dans un très élitiste univers.
Par Jacques Leroueil, Kigali
Qui sont-ils ?
Dans le premier classement Forbes jamais réalisé sur les 40 plus grosses fortunes du continent en novembre 2011[2], la journaliste Kerry Dolan énonçait une évidence : La totalité des membres milliardaires (16) de cette caste était alors masculine. La donne a depuis quelque peu changé avec l’accession de l’angolaise Isabel Dos Santos (fortune estimée à 3 milliards de $) dans ce club très sélect, mais dans le cas en l’espèce (merci papa président), peut-on parler d’une avancée ? Une quasi-absence de la gent féminine africaine qui est à rapprocher de la part extrêmement faible occupée par les femmes dans la sphère des détenteurs d’actifs supérieurs au milliard de $ à l’échelle de la planète (seulement 138 femmes parmi les 1426 milliardaires recensés dans le monde, et majoritairement « filles ou femmes de » …).
Révélateur d’un environnement économique dynamique, ces milliardaires « Made in Africa » sont d’abord des autodidactes dont la moyenne d’âge est de 61 ans. Une proportion de self-made men nettement plus élevée par exemple qu’en Europe où la reproduction capitalistique par le biais de l’héritage y est plus forte, et qui est caractéristique d’économies en transition au taux de croissance élevé. Quant à la durée moyenne nécessaire pour accéder au rang de milliardaire, elle est d’environ 3 décennies. Le temps de poser les fondations d’un modèle économique efficace et capitaliser ensuite sur la durée. Mais tout est dans la notion de moyenne. Entre le jeune quinquagénaire qu’est le sud-africain Patrice Motsepe à qui il aura fallu une dizaine d’années seulement pour décrocher le jackpot, et le vénérable Onsi Sawiris (83 ans) dont le patient travail à la tête de son conglomérat égyptien s’est chiffré à plusieurs décennies avant de lui permettre de franchir le seuil psychologique du milliard de $, il y a tout un éventail de parcours.
Où vivent-ils ?
Sur les 54 pays que compte le continent, les 20 milliardaires africains énumérés par Forbes se répartissent entre 6 d’entre eux seulement : L’Egypte (7), l’Afrique du Sud (4), le Maroc (3), le Nigeria (2), l’Angola (1) et même l’improbable Swaziland[3] (1).
Des milliardaires recensés, et qui ne constituent probablement que la face visible des plus grandes fortunes africaines. A cela, une raison simple : la méthodologie la plus courante d’évaluation des patrimoines adoptés dans les principaux classements internationaux (Forbes, Bloomberg) fait la part belle aux actifs cotés en bourse. Un mode d’évaluation qui a fait ses preuves sous la plupart des latitudes mais néanmoins perfectible car il a tendance à minorer, voire ignorer le patrimoine des opérateurs économiques dont les actifs ne sont pas cotés, par définition difficilement évaluables. Certes, les estimations financières les plus sérieuses ne sont jamais calculées sur la base unique d’un portefeuille d’actifs cotés en bourse et des enquêtes complémentaires s’avèrent presque toujours indispensables pour mesurer au mieux le reste du patrimoine (participations, biens fonciers, propriétés immobilières, tableaux…). Mais prétendre à l’exhaustivité en la matière tout autant qu’à l’absolue exactitude relèverait de l’imposture et c’est ce qui rend l’évaluation de certaines fortunes si délicates.
Or, l’Afrique est le continent où les marchés de capitaux restent dans l’ensemble les moins développés, ce qui la pénalise de facto dans ce type de comparatifs internationaux. Du reste, la quasi-totalité des milliardaires recensés du continent provient du quartet des nations africaines aux marchés financiers les plus avancés : l’Afrique du Sud, l’Egypte, le Maroc et le Nigeria. Des pans entiers de l’économie africaine demeurent ainsi pratiquement invisibles. Personne n’ira pourtant dire que ces richesses produites sont inexistantes. Elles sont justes très difficilement quantifiables, ce qui est fâcheux quand l’exercice consiste précisément à comptabiliser.
Comment ont-ils fait fortune ?
Dans son ouvrage « The Narrow Road : A brief guide to the getting of money« , le multimillionaire britannique Felix Dennis, magnat de l’édition, évoque la nécessité de choisir la « bonne » montagne pour entamer son ascension financière (« On choosing the right mountain« ). En d’autres termes, trouver un secteur porteur dont les opportunités permettront de faire la différence sur une durée de temps suffisamment longue. La leçon a été parfaitement intériorisée par les milliardaires africains. Télécoms, Finance, Distribution, Agroalimentaire, Construction & Immobilier… Tels sont les principaux secteurs qui ont fait la fortune des tycoons du continent. L’explosion du marché des télécoms au cours des années 2000 aura par exemple généré dans son sillage la constitution de fabuleux patrimoines sur le continent (Sawiris, Adenuga, Mo Ibrahim, mais aussi à un niveau moindre un Cheikh Yerim Sow en Afrique de l’Ouest). Aujourd’hui, les derniers arrivés marocains de la liste (Benjelloun, Chaabi) sont plutôt actifs dans les secteurs financiers et immobiliers. Quant à Aliko Dangote, première fortune du continent avec 20 milliards de $, il a initialement percé grâce à l’importation de ciment, avant d’ériger un puissant empire agroaliementaire (sucre, farine…). Il oriente désormais ses efforts… vers la production de ciment ! Un retour aux sources pour l’ancien petit importateur, et qui bâtie aujourd’hui à coups de milliards de $ des usines flambant neuves aux quatre coins du continent (Nigeria, Côte d’ivoire, Sénégal, Ghana, Cameroun, Zambie, Afrique du Sud, Ethiopie). Avec un objectif clairement affiché : Devenir le numéro 1 mondial en surfant sur l’explosion de la demande africaine. « Quand la marée monte, tous les bateaux flottent (a rising tide floats all boats) », aurait probablement rappelé Felix Dennis.
Pour conclure
En 2000, il y avait 470 milliardaires dans le monde, dont 3 (0,6 % du total) résidaient en Afrique. 13 ans plus tard, la totalité de la planète en compterait 1426, 20 (1.4 %) vivant en Afrique. Le continent a donc surperformé le reste du monde, mais il part de très bas. La seule ville de Londres comptabilise ainsi plus de milliardaires (41) que la totalité du continent. Sans parler de Moscou, record mondial (79). La bonne performance africaine de la décennie doit donc être relativisée et il serait probablement plus juste de parler de « rattrapage ». Pour la première fois cependant, les médias spécialisés s’intéressent aux grands capitalistes du continent, signe le plus évident que les choses changent. Impensable il y a encore une décennie. Il faut cependant envisager avec circonspection ce type de littérature. Non pas tant en raison de la qualité intrinsèque des articles proposés (souvent d’excellentes factures) que par la nature même de l’ambition visée : Comptabiliser la richesse du continent. Une tâche démesurée qui montre très vite ses limites et qui bute sur la définition même de ce qu’est la fortune et sur la façon de la quantifier.
Au demeurant, cette difficulté n’est pas propre au continent africain. Ainsi, dans sa dernière édition des milliardaires de la planète, Forbes comptabilise par exemple 24 milliardaires français en $. A titre de comparaison, le magazine économique français Challenges, qui s’est fait une spécialité depuis de nombreuses années dans le suivi des plus gros patrimoines de France, évalue pour sa part à 55 le nombre de milliardaires français en € (dont la valeur est pourtant supérieur au $) dans son dernier classement de 2013. Idem pour le Hurun Report de Chine qui estime à 315 le nombre de milliardaires en $ résidant dans l’Empire du Milieu, alors que son confrère américain n’excède pas les 122. Le magazine, basé à Pékin, prend d’ailleurs soin de préciser qu’il s’agit d’une estimation « basse » de la réalité, les individus recensés ne constituant qu’une partie d’une classe d’hyper-riches probablement encore plus importante. En partant de l’hypothèse que les observateurs les plus proches sont généralement les plus informés, on pourra à bon droit accorder un certain crédit aux évaluations divergentes des confrères de Forbes lorsqu’il s’agit de comptabiliser leurs propres milliardaires. Un raisonnement qui pourrait aussi être appliqué à l’Afrique. Dernier en date à proposer une liste spécifiquement consacrée au continent[4], le nigérian Ventures estime pour sa part à 55 le nombre de milliardaires africains en $.
Alors, combien de milliardaires africains ? Au vu de la complexité de l’exercice, aucun chiffre probant ne pourra être avancé et on en restera aux supputations. Une chose est sûre néanmoins : N’en déplaise à Forbes, il y a plus de 20 milliardaires en Afrique, ne serait-ce que parce qu’un certain nombre de chefs d’Etat présents et passés, ne font pas partie de cette liste d’opérateurs privés. La captation des richesses nationales par le contrôle de la machine étatique est malheureusement une possibilité qui est encore envisagée et pratiquée par certains dirigeants du continent. L’avers et le revers d’une même médaille : celle de la richesse en Afrique, légitime ou non.