Par Adama Wade.
L’Inde est peuplée de 1,4 milliard de personnes avec une densité de 329 habitants par kilomètre carré. L’Afrique l’est de 1,2 milliard avec une densité au kilomètre carré d’à peine 28 habitants. Vu sous cet angle, la terre de Lucie est très peu peuplée. Les deux mondes partagent une même structure sociale où subsiste l’ancienne division du travail en castes et le nouveau mode de production sensé répartir les fruits de la croissance en élargissant la classe moyenne.
Mais, pas plus ici qu’ailleurs, les promesses du néolibéralisme ont du mal à se concrétiser. Le poids des inégalités est criant en Inde. Presque autant qu’en Afrique où n’existe pas de sécurité sociale et de dispositif de protection des personnes vulnérables. Là s’arrête la comparaison. Car l’Inde, véritable sous- continent, est parvenue à conserver une unité qui s’avère son meilleur atout. Pendant ce temps, l’Afrique n’ a pas pu dépasser les contradictions posées par 54 frontières, législations et politiques économiques. Alors que le pays de Ghandi est autosuffisant depuis sa révolution verte des années 70, l’Afrique importe encore 35 milliards de produits alimentaires selon les chiffres avancés par Akinwumi Adesina, président de la Banque Africaine de Développement (BAD), lors des 52 émes Assemblées générales de l’institution, tenues à Ahmedabad, capitale de l’Etat de Gujarat.
Les 3000 délégués qui ont fait le déplacement dans la ville de Ghandi l’auront noté, la force de cette puissance émergente repose avant tout sur sa démographie. À l’inverse de l’Afrique, New Delhi tire sa force de sa consommation intérieure. Les exportations soutenues par Exim Bank India à raison de 140 lignes de crédit par an, viennent donner à la Banque Centrale le niveau de réserves suffisantes pour stabiliser la Roupie, une monnaie nationale qui a opté pour le régime de change flottant avec, néanmoins, une convertibilité limitée. L’Inde fabrique sur place tout ce que l’Afrique continue d’importer : pelles, brouettes, machineries agricoles, camions, autobus. Le différentiel industriel entre les deux mondes provient des résultats, mitigés entre Le Caire et le Cap, de l’application de la politique du développement autocentré.
La variante la plus usitée de cette doctrine, à savoir la politique de substitution des importations, a bien réussi en Inde grâce encore et là aussi, -insistons sur ce point-, à un marché intérieur suffisamment important pour réduire les coûts de facteur et fournir des débouchés a la production. La force de l’économie indienne s’apprécie à travers ses grands champions aux dimensions mondiales. Par exemple, Arcelor Mittal, né de plusieurs fusions et d’une transmission familiale, est le premier sidérurgiste mondial avec 97,136 millions de tonnes produites en 2015. Soit dit en passant, l’Afrique exportatrice nette de minerais de fer, ne dispose pas encore de sidérurgie.
L’autre géant indien, Tata Motors, créé depuis un siècle s’était porté au devant de l’opinion publique occidentale en rachetant les marques Jaguar et Land Rover. Le groupe qui génère un chiffre d’affaires de 55 milliards de dollars est très présent en Afrique. Quant à Mahindra, fondée dans les années 40, et fort d’un chiffre d’affaires de 18 milliards de dollars, il produit un spectre de produits allant des machines agricoles aux avions légers. Ces quelques spécimens de l’industrie indienne ajoutés aux parcs informatiques de Bangalore et à la kyrielle des PME positionnés dans l’outsourcing avec le monde anglo-saxon font du pays de Gandhi le futur du monde industrialisé. C’est clair, il y a encore peu de Tata en Afrique. Le levier démographique permet au pays de Ghandi de s’imposer une langue et d’y ériger une puissante industrie culturelle et cinématographique qui irradie le monde entier et rapporte des milliards de dollars.
Qui se souvient encore que le Swahili est la langue offcielle de l’Union Africaine? Mais, aussi important soit -il, le marché indien n’aurait pas généré de plus value en l’absence d’un État fort et organisé, d’un système démocratique ouvert et de leaders charismatiques dont le dernier, le premier ministre Narendra Modi, de la caste des «Intouchables», est l’incarnation parfaite d’un dirigeant engagé pour la cause de son peuple.