L’Africa Credit Rating Agency (AfCRA), un manifeste politique ou un outil de marché ?
A Washington DC, les réunions du printemps de la Banque Mondiale et du FMI, tenues du 21 au 26 avril 2025, ont attiré leurs lots de propositions parfois trop bien inspirées. Ainsi, pendant que les argentiers du monde jonglaient avec les taux d’intérêt et les prévisions de croissance dans les salles sur-climatisées du FMI et de la Banque mondiale, un groupe de responsables africains et d’experts internationaux se réunissait dans les locaux de l’Open Society Foundations. À l’ordre du jour : une grande ambition. Créer une agence de notation souveraine « made in Africa », capable de contrebalancer le monopole des géants Moody’s, S&P et Fitch. Objectif affiché : rétablir l’équité, corriger les biais de perception, et redonner au continent la maîtrise de sa signature financière. Sur le papier, une belle promesse. Dans la réalité, un pari risqué.
Coorganisée par le MAEP (Mécanisme africain d’évaluation par les pairs), le PNUD, la Commission Economique pour l’Afrique (CEA) , AfriCatalyst et ACET, la rencontre a accouché d’un projet : l’Africa Credit Rating Agency (AfCRA). Une structure continentale qui se veut indépendante, rigoureuse, et surtout mieux connectée aux réalités africaines. Mais une agence de notation n’est ni un cri du cœur, ni un manifeste politique : c’est un outil de marché. Et à ce titre, sa valeur ne dépend pas de sa volonté d’exister, mais de la confiance que lui accordent les investisseurs.
Rappelons un principe de base : une notation n’a d’effet que si les créanciers s’en servent. Et ces créanciers, dans le cas de l’Afrique, sont encore largement extérieurs. Ce sont les marchés internationaux, les investisseurs institutionnels, les détenteurs d’eurobonds, les banques multilatérales. Une agence, aussi africaine soit-elle, ne sera utile que si elle parle un langage compris et respecté par ces acteurs.
D’ailleurs, il suffit de regarder ailleurs pour mesurer la marche à gravir. La Chine dispose de plusieurs agences nationales de notation, comme Dagong Global Credit Rating, tout comme le Japon, avec des entités comme Japan Credit Rating Agency (JCR) ou Rating and Investment Information (R&I). Ces agences ont trouvé leur place non parce qu’elles étaient patriotes, mais parce qu’elles sont adossées à des marchés des capitaux massifs, liquides, et bien structurés. Pékin comme Tokyo disposent de bases d’investisseurs locales colossales, de fonds de pension puissants, d’institutions financières disciplinées, et de cadres réglementaires éprouvés. Sans ces fondations solides, leurs agences ne seraient aujourd’hui que des vœux pieux.
L’Afrique n’est pas démunie. Des agences comme Bloomfield Investment Corporation, basée à Abidjan, ou Global Credit Rating, active en Afrique australe, opèrent déjà avec sérieux. Si Bloomfield prospère, c’est parce qu’elle s’inscrit dans un marché réglementé : celui de l’Union monétaire ouest-africaine (UMOA), où une note investment grade est exigée pour émettre sur le marché obligataire régional sans avoir à recourir à une garantie. Ce n’est donc pas l’agence qui crée le marché, mais le marché qui donne sens à l’agence.
Il est donc illusoire de penser qu’on pourra faire l’économie d’une vraie réforme structurelle du marché financier africain en brandissant une agence nouvelle. On ne fabrique pas la confiance avec un communiqué. Il faut des statistiques crédibles, des institutions solides, un cadre réglementaire cohérent, et des investisseurs locaux confiants. Sinon, on construit une maison sans fondation – et gare au premier vent.
Ajoutons à cela un réflexe humain mais dangereux : la tentation, pour le débiteur, de contester l’opinion du créancier. Une notation n’est pas un satisfecit, c’est une analyse du risque vue depuis le portefeuille de l’investisseur. Se dire incompris n’est pas une stratégie. Si le coût d’accès au marché est élevé – ce qu’il est, incontestablement – la réponse doit être technique, budgétaire, diplomatique, pas institutionnelle. Notre récente analyse entre les coûts d’emprunt du Maroc et de la Côte d’Ivoire sur des maturités et des montants quasi-similaires montre que lesdits coûts élevés ne sont pas une fatalité.
En attendant, comme l’a rappelé, le rwandais Claver Gatete, sur un PIB cumulé de plus de 3 000 milliards de dollars, l’Afrique ne compte que deux pays classés en catégorie investissement. En fin de compte, claironne l’ancien ministre rwandais, « un écosystème de notation sain va au-delà de l’évaluation du risque : il devient une plateforme de mobilisation du capital, d’amélioration de la solvabilité et de soutien aux objectifs plus larges de développement de l’Afrique « .
Au final, l’Afrique n’a pas besoin d’une énième agence pour exister financièrement. Elle a besoin de marchés profonds, de discipline budgétaire, d’un dialogue régulier avec les agences existantes – et surtout de crédibilité. La meilleure note est celle qu’on ne demande pas, parce qu’elle découle naturellement de la confiance inspirée. Tout le reste n’est que cosmétique.