Ancien secrétaire d’Etat français à la Coopération et à la Francophonie, Jean-Marie Bockel, sénateur du Haut-Rhin, avait publiquement demandé au président Nicolas Sarkozy de mettre fin à la françafrique. C’était en janvier 2008. La critique provoque des froncements de sourcils dans la plupart des palais africains. C’est donc sans surprise que le réformiste Bockel se voit dessaisi, lors du remaniement de mars 2008, du sensible et stratégique secrétariat d’Etat à la Coopération et à la Francophonie pour être muté à la « Défense et Anciens Combattants ». La françafrique venait de faire une nouvelle victime. Neuf ans après cet épisode, Financial Afrik a rencontré un Jean-Marie Bockel toujours animé d’idées novatrices dans les relations entre la France et l’Afrique. Nous l’avons rencontré lors du Forum de Bamako (23-27 février 2017).
Vous êtes connu pour être l’un des pourfendeurs de la Françafrique. Est-ce que votre sentiment par rapport à ce système a changé ?
J’avais poussé mon coup de gueule il y a neuf ans. Ce système de relations d’oppression entretenues par de vieux réseaux est aujourd’hui moins important qu’il y’a une dizaine d’années. Mais il n’a pas disparu pour autant et ne disparaitra pas tant qu’un certain nombre d’acteurs seront en place. Il s’agit d’acteurs du passé qui ne méritent pas une très grande attention. Ce n’est d’ailleurs pas la question principale qui se pose à l’Afrique d’aujourd’hui. Ce qu’on peut dire c’est qu’il y’a encore un certain nombre de gouvernements africains et d’intermédiaires français qui n’ont pas encore tourné la page. Par contre, les gouvernements français de ces derniers temps ont vraiment tourné cette page de même que la majorité des gouvernements africains. Ce qui fait qu’aujourd’hui, trop s’exprimer sur cette question c’est regarder vers le passé. J’ai la ferme conviction que le destin de l’Afrique appartient de plus en plus aux africains, à condition qu’ils le décident. Chaque fois qu’un tel pays, un tel responsable ou un tel média africain, aura le sentiment qu’il n’est pas maître de son destin, il confortera ce vieux système. Ce système sera de plus en plus oublié à chaque fois que les africains, voulant prendre leurs responsabilités, se diront « maintenant, notre avenir nous appartient». Plutôt de pleurer ou d’accepter d’être «formaté » intellectuellement par ce vieux schéma qu’est la Françafrique, les africains doivent prendre leur destin entre les mains.
Comment doivent s’articuler les relations entre l’Afrique et la France ?
Nous devons avoir une relation d’égal à égal. Je sais qu’il y’a encore du chemin à faire. C’est-à-dire que dans les nouvelles relations, chacun doit voir son intérêt, notamment sur le plan économique. Il y a des pays africains qui enregistrent de fortes croissances reléguant la question de l’aide publique au développement au second plan. Evidemment, il reste des sujets plus complexes, comme la question de la sécurité. Il ne peut y avoir de développement économique sans sécurité. Nous avons l’exemple du Mali qui n’arrive pas à assurer sa sécurité, même avec l’aide de l’Union Africaine qui, elle-même, ne s’est pas encore donnée les moyens d’assurer sa propre sécurité. Nous en sommes-là. Je pense que cela doit changer. Cela ne se fera pas en deux jours mais d’ici une génération. D’ici là, l’Afrique, si elle le décide, aura la capacité d’assurer sa sécurité avec, s’il le faut, des conseils et des soutiens. Ce sont des choses qui doivent changer, qui peuvent changer.
Des intellectuels africains dénoncent un certain nombre de mécanismes liés, selon eux, à la Françafrique. C’est le cas par exemple du Franc CFA. Qu’en pensez-vous ?
Je ne fais pas partie de ceux qui font porter au franc CFA tous les maux. A mon avis, cette monnaie est plus une chance qu’un handicap. Cet avis n’est pas partagé par beaucoup d’africains qui, je pense, devraient un jour faire le scénario de la disparition du Franc CFA. Certains pays s’en sortiront bien sûr mais d’autres verront des problèmes s’ajouter à leurs problèmes actuels. Je ne dis pas cela d’un point de vue français mais d’un point de vue africain. Il ne faut pas commencer par là. Il faut commencer par régler ce qu’on peut régler. J’ai donné quelques exemples, il y’a aussi la croissance économique, la bonne gouvernance, la lutte contre la corruption. A un moment, nous verrons si cette question du Franc CFA doit tomber d’elle-même ou si les africains doivent décider souverainement que c’est une bonne idée quitte à la faire évoluer. Mais à cela, il y’a un préalable, à savoir le décollage de l’Afrique.
Avez-vous l’impression que les chefs d’Etats africains se sont complètement affranchis du passé ?
Il y’a autant de situations que de chefs d’Etats et, parfois, il y’a chez certains chefs d’Etats ou élites, ou responsables ou même citoyens, des attitudes qui ne reflètent pas le fonds de leurs pensées. Il y’a également chez le gouvernement français, un discours qui est parfois de la facilité. Il y’a donc autant de situations que de personnes. Nous devons balayer devant nos portes, en instaurant des situations plus égalitaires, plus « donnant-donnant ». Regardez le Mali, ce n’est pas simple, si demain la présence militaire française et onusienne s’arrête, que va-t-il se passer ? Et pourtant il y’a des efforts qui sont faits au niveau de l’armée malienne, il y’a des progrès, un jour on s’en sortira.
Est-ce que l’Afrique est une priorité pour l’élite politique française dans son ensemble ?
Non, pour les politiques français, l’Afrique est une question secondaire. Elle n’est pas au cœur du débat. D’ailleurs les africains le savent. Par contre, ceux qui connaissent l’Afrique et qui aiment l’Afrique – Il y en a tant à droite qu’à gauche, et j’en fais partie- pensent que c’est une question essentielle. Beaucoup découvrent cette réalité à travers le prisme sécuritaire. Maintenant, si l’Afrique bascule dans le chaos, c’est notre sécurité qui est en jeu.
Avec l’avènement possible du Front National à la tête de la France, les lignes vont-elles bouger ?
Effectivement, il y’a le risque FN. Les lignes vont bouger, Il faut qu’elles bougent naturellement mais il faut qu’on comprenne que ce n’est pas en étant dans les surenchères et le populisme, y compris sur les problématiques des réfugiés et de l’immigration, qu’on s’en sortira. Il ne faut pas être dans l’angélisme. Il faut de la sécurité, de la maîtrise des flux, certes, mais surtout une vraie réponse européenne. Il nous faut garder à l’esprit que ces échanges sont nécessaires et positifs avec toute la dimension culturelle, économique, sécuritaire.
La France a-t-elle encore les moyens d’être le gendarme de l’Afrique ?
Non, la France n’a vraiment pas les moyens d’être le gendarme de l’Afrique. Par contre, la France a une sorte d’avantage compétitif dans la mesure où même par rapport à des pays plus riches comme l’Allemagne, elle est le seul pays encore capable de faire la guerre en Europe et de prendre ses responsabilités devant un risque. Ça c’est une réalité française. Mais la France n’a pas la capacité d’assumer seule cette responsabilité dans la durée. C’est la raison pour laquelle l’Afrique de la défense doit progresser. Il faut que ceux qui ne veulent pas risquer leurs vies sur des terres de conflits aident sur les plans de la logistique et financièrement. Tous les Etats doivent se sentir concernés. Il faut aussi que progressivement la question militaire soit partagée par tous les pays Européens. Pas seulement au niveau de l’Afrique, mais également par rapport au retrait des Etats-Unis qui se sont fixés de nouvelles priorités. Pour nous européens, toutes ces situations sont vraiment une interpellation à nous engager davantage. Mais la France à elle seule n’a pas les moyens d’intervenir en Afrique. Il faut d’ailleurs saluer cet engagement de la France de faire la guerre quand c’est nécessaire. On ne peut pas en dire autant de l’Allemagne, de la Grande Bretagne et de tous ceux qui sont à nos côtés.
Propos recueillis à Bamako par Adama Wade