Par Jacques Leroueil, Kigali/
Pour les acteurs de l’industrie pétrolière, coutumiers des cycles de booms et de récessions, l’histoire se répète. Avec un baril de Brent qui tutoie les 40 dollars, alors qu’il était encore à 110 dollars à l’été 2014, le secteur est de nouveau au creux de la vague.
Une situation inédite depuis la crise économique de 2008-2009 et qui s’explique tant par une demande anémique en provenance des pays développés que par une surabondance de l’offre, conséquence de l’arrivée massive du pétrole de schiste américain.
Les effets de ce bouleversement de la donne énergétique mondiale se font pour leur part d’ores et déjà ressentir. Côté entreprises privés, la récente salve de publications de résultats des majors (Shell, Chevron, Exxon, BP, Total)- en forte baisse [jusqu’à – 50 %]- témoigne des temps difficiles que vivent tous les opérateurs de la filière. Mais c’est du côté des États pétroliers que les défis les plus pressants doivent aujourd’hui être relevés. Notamment sur le continent africain, qui produit un huitième du pétrole mondial.
Nigeria, Algérie, Angola, Libye, Gabon, Guinée équatoriale… Autant de pays dont les exportations de pétrole et de gaz sont cruciales pour soutenir l’ensemble du tissu économique national et déjà confrontés à une implacable réalité : moins de recettes financières, couplées à des exigences sociales toujours croissantes. Avec des budgets nationaux extrapolés le plus souvent sur la base d’un baril évoluant dans une fourchette de 90 à 100 dollars et un cours actuel qui est inférieur de moitié, le calcul est vite fait. Et la conclusion, sans appel : la belle époque est terminée.
En Algérie, le gouvernement a du ainsi faire face à une baisse des recettes d’hydrocarbures de plus de 50% pour le premier trimestre 2015 (8,7 milliards de dollars d’exportations contre 15, 6 milliards de dollars au premier trimestre 2014) et la chute continue des cours depuis lors ne devrait pas arranger les choses à brève échéance. Même constat amer dans le pétro-dépendant Nigéria (80 % des revenus fiscaux), dont les sombres perspectives effraient la bourse de Lagos (- 30 % sur un an) et tirent le naira vers le bas (-23 % par rapport au dollar sur 12 mois). Idem pour les devises des infortunés autres pays pétroliers africains, avec un kwanza angolais en retrait de 20 % sur la période et un dinar algérien qui a décroché de près d’un quart.
Mais c’est bien connu, le malheur des uns fait (parfois) le bonheur des autres. Or, les autres, c’est ici le club des quarante pays africains importateurs nets de pétrole (les trois-quarts restants du continent), les bénéficiaires de la chute du pétrole et donc les gagnants d’aujourd’hui. Des nations qui vont voir, beau retournement de Fortune, leur facture d’énergie considérablement s’alléger. Un pays comme l’Egypte consacre par exemple près d’un cinquième de son budget aux subventions énergétiques tandis qu’une récente étude du Fonds Monétaire International (FMI) évalue à 1,6 % du PIB la part de ces mêmes aides en Afrique subsaharienne.
Autant de milliards de dollars potentiellement économisés et qui pourront demain être réaffectés à des programmes de santé, d’éducation et d’infrastructures. De quoi booster un peu plus l’activité économique de ces pays et relativiser au final l’impact de la baisse des prix du pétrole en Afrique. Le FMI ne se s’y est pas trompé, lui qui table pour l’Afrique subsaharienne (hors Afrique du Sud) sur une progression du PIB de 5,8 % en 2015, contre 5,1 % en 2014. La chute du pétrole, presque une bonne affaire en somme.