« Quand l’âne veut te terrasser, tu ne vois pas ses oreilles ». Un proverbe Burkinabé qui résume ce qui se passera aujourd’hui, vendredi 31 octobre, au Pays des hommes intègres.
Les révolutions ont cela de tragique qu’elles découlent toujours des mêmes causes théorisées par Gustave Le Bon dans son monumental « Psychologie des foules ». Ou encore ( et c’est notre préfèré) Par Karl Marx dans son analyse dialectique de l’évolution qualitative des forces contradictoires qui traversent la société capitalistique.
Partout, le scénario est le même. Le Roi Soleil guillotiné et
Marie Antoinette arrêtée en bonnet de nuit par les sans culotte. Le tsar de toutes les Russies interpellé alors que Raspoutine lui prédisait la victoire. Et, tout près de nous, dans ce cercle infernal des tropiques où la moindre bourrasque peut se transformer en tempête, Laurent Gbagbo, enterré dans son bunker en attendant l’intervention des armées célestes selon les prédictions fantasmagoriques de son pasteur.
Hier comme aujourd’hui, c’est un pouvoir ivre de pouvoir, ne vivant plus que pour le petit clan qui est tombé sous la pression populaire de cette rue qu’il méprisait, qu’il utilisait selon son bon vouloir. Pendant que Rome tombait, Néron jouait de la lyre. Ouagadougou brûlait et le beau Blaise tweetait pour infléchir la révolution 2.0 née de plusieurs courants qui ont déversé dans le hashtag #lwili devenu en l’espace de 24 heures vedette de l’Internet.
Comme lors de chaque révolution, un petit fait divers aura suffi pour accélérer les forces motrices de l’histoire. Au Burkina, c’est l’image de ces députés bedonnants enfermés dans le luxe de l’hôtel Azalaï en attendant de perpétrer leur forfaiture. Car ce vote en était une, venant interrompre la loi fondamentale par le fait de prince, venant ajouter un quinquennat à 27 ans de pouvoir acquis par le bout du fusil avant de s’enduire du baume démocratique africain.
Que veut donc une constitution en dehors de la neutralité constitutionnelle ? Le peuple Bukinabé a barré la route à cette farce. Le soulèvement,troisième du genre en trois jours, a précipité la chute d’un ordre rouillé de l’intérieur. L’image d’un François Compaoré, dauphin putatif du régime, arrêté à l’aéroport de Ouagadougou illustre bien l’adage : » les rats quittent le navire ». Ceux qui ont poussé Blaise Compaoré dans cette voie sans issue sont les premiers à prendre le large.
Aucun de ces lieutenants qui polluaient l’espace public d’incantations du genre » Nous avons encore besoin de Blaise » n’a osé prendre la parole. Point de nouvelles de cette belle mère nationale laquelle avait fini par s’introniser présidente des affaires en briguant cette chambre de commerce devenue caisse de résonance du palais Koyssam.
C’est dans la solitude suprême du pouvoir que le tombeur de Thomas Sankara a, enfin, parlé au milieu de la nuit.
Un discours d’outre-tombe dans lequel le « je vous ai compris » du Général de Gaulles, trafiqué, résonne mais d’une voix cassée par l’épreuve. D’un ton moins altier comme à l’accoutumée. Cette fois-ci le roi est nu. Et cela ne servira qu’à exciter la populace. Le discours de Blaise refusant de démissionner instaure la confusion et nous plonge dans cette tragédie du roi nègre à l’issue tragique.
L’armée avait annoncée une transition de 12 mois quelques heures plutôt. Après un jeudi sombre, l’on se dirige vers un vendredi de tourte les clarifications.
Un vendredi qui aura ses héros vrais et usurpés, ses martyrs et ses boucs émissaires. Comme dans tous les changements violents, il y aura de malheureux règlements de comptes (saccage de Coris Bank), des actes de vandalisme et des dénonciations. La mise à sac des maisons de certains députés participe de cette atmosphère lourde de la transition dans ses excès et sa justice expéditive et terrifiante dont aura vu la logique horrible lors de la chute de Ceausescu en Roumanie.
L’exemple tunisien
Hélas, la pureté romantique des premiers révoltés qui ont appelé à la mobilisation est rattrapée par le machiavélisme de ceux, civils ou militaires, qui veulent détourner la révolution du peuple pour la sauvegarde de leurs intérêts, de leurs privilèges et de leurs rangs. C’est pourquoi le chemin sera long de la transition à la démocratie. Le meilleur exemple d’une révolution réussie sous notre ère est tunisien avec, dès la chute du clan Ben Ali et Trabelsi ( qui n’est pas sans rappeler les Compaoré, belle mère et consorts ) la mise en place d’un gouvernement civil chargé d’organiser un scrutin pour l’élection de la constituante, la rédaction de la nouvelle constitution et, au bout du processus, des élections législatives et présidentielles libres et transparentes. Le Burkina a le choix entre la courte manche militaire qui rendra le pouvoir aux civils dans douze mois avec son goût d’inachevé et la longue manche civile qui rendra le pouvoir à une démocratie solide élue sans dés pipés et sans interférence. Tout se jouera aujourd’hui.
3 commentaires
Bel article, belle plume. Chapeau!
“QUAND L’ANE VEUT TE TERRASSER, TU NE VOIS PAS SES OREILLES”. Pourtant, des dizaines de personnes comme moi ont tout fait pour montrer les « oreilles » de l’âne à l’ex-président du Faso afin d’éviter au peuple burkinabè un tel sacrifice et à son dirigeant un aussi gros camouflet. Quel gâchis ! Quelle humiliation ! Le pouvoir « made in Africa » n’a pas fini de surprendre, désagréablement, le monde. Et dire que Blaise Compaoré était aux funérailles de Nelson Mandela !
C’est comme le pilote qui va cracher. Les leviers et les manettes ne répondent plus. Il y a une semaine il serait encore sorti par la grande porte