Gora DIOP, diplômé de l’IEDES de la SORBONNE.
L’objectif de ce thème est de présenter les gains mais également les difficultés de la coordination de la politique monétaire. Cependant, dans un premier temps, il nous semble opportun de revenir sur l’inflation ou plus exactement sur ses origines, ses effets et les politiques souvent menées pour la contrecarrer. Le but étant, dans la mesure où une condition nécessaire pour coordonner les politiques monétaires est l’existence d’externalités, de montrer que l’inflation peut avoir des origines externes. On la qualifiera d’importée.
En effet, l’on va essayer de montrer qu’un atout majeur qui peut provenir de la volonté des pays à coordonner leurs politiques est que la coopération peut leur permettre d’augmenter leur output global en menant des politiques de réformes structurelles et non des politiques fiscales. En conséquence, si les gouvernements sont non coopératifs, ils vont mettre en œuvre moins de réformes structurelles et beaucoup de réformes fiscales.
I. La coordination ou le courage de faire des réformes
A. Les causes de l’inflation
En effet, l’inflation est un déséquilibre qui se manifeste par une hausse du niveau général des prix et se traduit par une baisse de la valeur de la monnaie qui perd ainsi une partie de son pouvoir d’achat. Une flambée provisoire du prix n’est pas une inflation. Par exemple, un commerçant décidant de vendre le dimanche peut augmenter son prix dans la mesure où il détient un monopole éphémère.
L’inflation est mesurée par l’indice des prix. Celui-ci indique le niveau actuel des prix, un niveau antérieur étant pris comme base. Là également, un autre problème se pose, car les indices des prix peuvent ne pas être fiables : ils peuvent sous-estimer voire surestimer l’inflation. À cet effet, des efforts sont entrepris par les États pour obtenir des unités de mesure plus fiables.
Aussi, il importe de rappeler que l’inflation se différencie de la déflation, de la stagflation et de la désinflation. La déflation se définit comme un environnement de ralentissement du produit national, d’accroissement du chômage et par une hausse des prix. Quant à la stagflation, elle est une situation caractérisée par une stagnation de la production (faible croissance et chômage élevé) et par une inflation. S’agissant de la désinflation, elle est marquée par une diminution du taux d’inflation : les prix montent toujours, mais à un rythme moins important.
A1. Le gonflement de la masse monétaire (approche monétariste)
Il s’agit de l’explication la plus ancienne et la plus souvent retenue. On appellera masse monétaire d’un pays toutes les disponibilités monétaires de celui-ci, c’est-à-dire les pièces et billets de banque ainsi que les dépôts à vue. Il s’agit donc de la masse monétaire au sens étroit. Au sens large, elle comprendra certains placements.
Aussi, a-t-on longtemps cru que ce gonflement de la masse monétaire était lié au seul fait de la Banque Centrale. Plus tard, on se rendit compte que les banques de second rang contribuaient également à ce gonflement par les crédits qu’elles accordaient trop largement en période de prospérité économique.
En effet, M. FRIEDMAN explique l’inflation par un accroissement anormalement trop rapide de la quantité de monnaie par rapport au volume de la production. Cet excédent de monnaie disponible entraîne une demande supérieure à l’offre disponible, ce qui provoque une hausse des prix. L’origine de l’inflation serait donc dans la maîtrise insuffisante par les autorités économique et politique de la croissance de la masse monétaire.
Cependant, le déséquilibre entre l’offre et la demande entraîne une hausse des prix à la consommation lorsque l’offre ne peut assurer la demande. Cet excédent de demande n’est porteur d’inflation que lorsqu’il est un excès de création monétaire.
Dans cette conception, l’apparition de l’inflation n’est plus liée à la politique de l’État. En effet, la cause ne provient plus d’un dysfonctionnement du système monétaire mais du système économique tout entier.
Cette augmentation de la demande peut résulter :
• d’une augmentation de la quantité de monnaie disponible pour les agents pour réaliser des dépenses (facilités d’obtention de devises provoquées par un excédent de la balance des paiements) ;
• d’une modification de la répartition du revenu national, de l’épargne, ou d’une augmentation de la consommation par des mesures fiscales par exemple ;
• d’une hausse des exportations provenant par exemple d’une forte croissance de la demande mondiale.
A2. L’inflation importée
Avec l’augmentation des échanges internationaux, il est apparu début des années 70 que les pays ne pouvaient maîtriser à eux seuls les pressions inflationnistes. La hausse du prix des matières premières et des consommations intermédiaires importées augmente le coût de production des entreprises nationales et donc les prix.
En effet, plusieurs facteurs échappent au contrôle des gouvernements. Pour comprendre cela, il suffit de se rappeler la grande crise pétrolière des années 70 : le prix du pétrole importé a été multiplié par 5 en 7 ans.
Un autre facteur aura trait à l’instauration du système de changes flottants, avec lequel on constatera les monnaies des pays modérément inflationnistes régulièrement surévaluées, tandis que les pays à forte inflation avaient des monnaies sous-évaluées, ce qui ne faisait que renchérir le coût de leurs importations.
En effet, avec la déréglementation des marchés, on observe d’importants mouvements de capitaux dus à l’innovation financière. Par ce dernier, il y a l’idée qu’il y a de nouveaux produits mais aussi le fait que la banque est devenue universelle avec l’uniformisation de ses activités, sans perdre de vue l’internalisation croissante des activités économiques.
Sous l’influence de ces trois facteurs, il est devenu plus difficile pour les Banques Centrales de conduire leur politique monétaire. Quand on fait le bilan des processus, il y a des avantages et des inconvénients.
Les avantages consistent en la possibilité pour les opérateurs de percevoir sur leurs encaisses des taux d’intérêt en fonction des taux du marché, en la réduction des coûts de transaction (on peut faire des ordres aux banquiers) et en la possibilité de s’offrir une gamme diversifiée de services (possibilités par exemple de consulter son compte depuis Internet).
Les inconvénients sont liés à l’incidence que le processus de libéralisation a sur le système financier. En effet, il y a plusieurs sources d’instabilité :
• le gonflement des opérations hors-bilan : les banques sont de plus en plus engagées à servir de caution à des opérateurs souhaitant effectuer des opérations en émettant des titres. Les banques leur servent donc de relais. Or servir de caution est équivalent à accorder du crédit ;
• la deuxième source est l’intensification de la concurrence entre les institutions financières ;
• l’existence de junk bonds : ces titres dits pourris émis par des institutions qui ont besoin de lever des crédits mais dont la cote de crédibilité est faible. Ces obligations sont à rendement élevé mais assorties d’un degré de risque important ;
• l’internationalisation des marchés de capitaux : on verra par cette source se constituer des groupes financiers très prédateurs sur le marché.
Ainsi, avec la déréglementation des marchés, on observe des mouvements importants et nombreux de capitaux. Si un pays, pour réduire l’inflation, décide de relever ses taux à court terme, il prend le risque de voir des capitaux attirés par un rendement intéressant. Ces capitaux pourront être utilisés pour distribuer du crédit et contribuer au gonflement de la masse monétaire.
A3. L’inflation par le biais de la hausse des coûts de production
Dans ce cas-ci, l’inflation est la conséquence d’une très forte augmentation des coûts qui peut avoir plusieurs origines :
• une hausse moyenne des salaires supérieure à l’augmentation de la productivité ;
• une augmentation des charges financières provoquée par une politique de taux d’intérêt trop élevés ;
• une hausse du prix des biens importés provoquée soit par une hausse du cours de la devise étrangère, soit par une augmentation des prix : dans ce cas on retrouve l’inflation importée.
B. Les conséquences des politiques de lutte contre l’inflation
L’inflation avantage l’emprunteur qui rembourse en monnaie fondante. La désinflation avantage le rentier. C’est ce qui explique, ces dernières années, un déplacement important des investissements réels et productifs vers les placements financiers. Les politiques de désinflation qui se sont traduites par des politiques de rigueur monétaire ont conduit des agents économiques français à augmenter leur propension à épargner au détriment de l’investissement pour les entreprises et de la consommation pour les ménages.
E. Les gains de la coordination internationale des politiques monétaires
Dans la mesure où l’origine de l’inflation la plus souvent retenue ou donnée est le gonflement de la masse monétaire, la coordination doit être de mise en ce sens qu’elle permet de réaliser des réformes. Ici, pour appuyer nos arguments, on va encore se servir des travaux de E. LEHMANN et E. TAUGOURDEAU en se référant à leur article publié récemment dans la revue Journal of Economic Integration.
En effet, l’on sait que la persistance du chômage est l’un des problèmes les plus pressants de l’Union Européenne. Par conséquent, il importe de se poser la question de savoir quelles sont les conséquences de l’Intégration Économique Européenne (IEE) sur le niveau de l’emploi.
Usuellement, la littérature considère l’IEE comme un manque de politique monétaire autonome et une limitation des instruments de politique fiscale nationale. Les gains pour entreprendre des réformes structurelles dans le marché du travail peuvent être accrus ou réduits dans l’Union Économique et Monétaire (UEM), le tout dépendant du type de réformes considérées.
Cependant, on suppose que l’IEE ne se réduit pas à l’UEM et au traité d’Amsterdam. En effet, l’on devrait identifier la nature des effets des externalités et leurs conséquences sur les politiques conduites par des gouvernements qui jouent non coopératifs. On va amener cette question dans une perspective de moyen terme dans laquelle les réformes structurelles sont les uniques politiques qui affectent l’output si les gouvernements coopèrent.
F. Les difficultés de la coordination
L’existence d’effets de débordement (spillover effects), ou plus généralement d’externalités entre économies, constitue une condition nécessaire mais pas obligatoirement suffisante à une coordination des politiques monétaires. En effet, il faut d’une part que les partenaires s’accordent sur les objectifs comme sur les actions à mener en commun et que, d’autre part, les bénéfices en soient suffisamment larges et durables. Malheureusement, ce n’est pas toujours le cas. On distingue à cet effet trois types d’obstacles aux politiques coordonnées :
• les désaccords sur les objectifs et le fonctionnement de l’économie ;
• les coûts et les contraintes de négociation ;
• les tentatives de reniement et les problèmes de crédibilité.
Le premier obstacle tient au degré d’incertitude qui affecte toute décision économique. S’agissant de la coordination, des désaccords peuvent surgir dans au moins trois domaines :
• les objectifs à privilégier, c’est-à-dire le poids qu’il convient d’accorder à chaque domaine ;
• la situation économique, c’est-à-dire la distance par rapport à l’optimum, aussi bien à l’origine que par la suite, en l’absence de coordination ;
• l’effet des diverses actions envisageables selon les hypothèses relatives à l’efficacité de chaque instrument, les caractéristiques structurelles de chaque économie, le sens et l’ampleur des mécanismes de transmission internationale.
Le second obstacle à la coordination tient aux contraintes et aux coûts associés à la coordination, à la difficulté de répartir les actions à mener comme les bénéfices espérés et à la perception immédiate des coûts.
Le troisième obstacle a trait à la tentation de tricher une fois que l’accord a été établi. Il peut s’agir d’un problème pour chaque pays ou pour l’ensemble. Chaque partie peut bien sûr avoir intérêt à renier son engagement afin de bénéficier à la fois de la stratégie commune et de sa stratégie particulière.
De même, si les avantages de la crédibilité sont supposés plus que compenser ceux d’un reniement, il est difficile pour un gouvernement de s’engager pour ses successeurs.
Une autre difficulté à aborder peut résider dans le problème de l’incohérence temporelle qui, si elle n’est pas résolue dans le cadre national ou local, ne sera que déplacée dans le cadre bilatéral ou multilatéral, eu égard à l’hypothèse de rationalité des agents économiques.
Conclusion
La vertu première qui pourrait résulter de la coordination des politiques monétaires est que les États, que sont les acteurs en jeu, ne sont plus en situation de concurrence.
Alors que la coopération internationale est une expression générale qui recouvre tout échange d’information entre les pays portant sur les évolutions et sur les intentions en matière de politiques économiques, la coordination internationale des politiques économiques semble plus ambitieuse car faisant référence à une prise de décision qui maximise le bien-être de plusieurs pays considéré globalement, ce qui permet d’exploiter positivement les interdépendances entre leurs économies.

