Par Maître Ibrahima DIAWARA
Avocat, Inscrit au Barreau du Sénégal le 06.02.1987. Titulaire d’un DEA en droit des affaires.
La loi de finances initiale de 2025, en ses dispositions diverses, a procédé à la suppression des articles 700 à 705 du Code général des impôts. Cette manière de procéder en catimini pourrait laisser entrevoir une volonté de renforcer l’arbitraire fiscal à l’encontre du contribuable.
En effet, ces suppressions semblent être sous-tendues par l’idée de renforcer les pouvoirs de l’administration fiscale en la mettant hors du champ de tout contrôle extérieur de nature à créer un mécanisme contradictoire de contrôle et de vérification de ses pouvoirs exorbitants.
L’administration fiscale, qui tient du fait de la loi le pouvoir unilatéral de procéder par elle-même au contrôle, au redressement, à la confirmation et à la délivrance d’un titre de perception en dehors de tout contrôle extérieur, il apparaît que la suppression des commissions de conciliation ne vise pas à renforcer une démarche de bonne gouvernance fiscale.
Comment comprendre que, malgré l’obligation légale faite au ministre chargé des Finances de préciser les modalités de fonctionnement des commissions susvisées, il se soit abstenu de s’y conformer pendant plus d’une décennie ? Ce refus de mettre en place les commissions de conciliation a constitué une grave atteinte aux droits du contribuable de pouvoir soumettre ses réclamations à un organisme extérieur face à la toute-puissance de l’administration fiscale.
Nonobstant ce grave manquement, le ministère des Finances vient de glisser subrepticement, dans la loi de finances initiale 2025 au titre des dispositions diverses, la suppression des commissions de conciliation, en évitant de les nommer pour faire passer la pilule, se contentant uniquement de viser les articles du Code général des impôts qui les organisaient, afin d’éviter toute interpellation sur l’opportunité de leur suppression et des raisons de son inaction dans la mise en œuvre du fonctionnement des commissions depuis leur création.
Cette suppression des commissions de conciliation en matière fiscale constitue un tournant majeur dans la conception d’une administration fiscale impériale avec un pouvoir exorbitant sans contrôle externe dans la gestion des litiges avec les contribuables.
Ces commissions, instaurées dans le but de favoriser une résolution amiable des conflits fiscaux que l’administration fiscale n’a jamais fait fonctionner, et ce sans raison, ont longtemps été perçues comme un frein à ses énormes pouvoirs, et non comme un moyen pour alléger le contentieux, éviter les résistances au paiement de l’impôt et promouvoir le civisme fiscal.
Face à l’évolution des pratiques administratives et à la nécessité d’optimiser le système fiscal, il serait opportun de se pencher avec acuité sur leur pertinence et leur efficacité malgré leur suppression.
Nous tenterons de cerner les motivations de cette suppression, les conséquences pour les contribuables et l’administration fiscale, ainsi que l’absence d’alternatives proposées pour garantir une justice fiscale accessible et équitable.
I- Les commissions de conciliation : rôle majeur d’une administration fiscale moderne
1. La suppression des commissions spéciales en matière de droit d’enregistrement et de la commission paritaire de conciliation.
En droit fiscal, ces commissions de conciliation ont longtemps été perçues comme un maillon essentiel pour jouer un rôle clé dans la résolution des conflits entre les contribuables et l’administration fiscale.
Elles avaient un intérêt certain pour le contribuable en raison du caractère suspensif de leur saisine et de la possibilité de bénéficier d’un examen contradictoire de ses réclamations.
En effet, le contribuable avait un délai de trente jours à compter de la réception de la confirmation de redressement pour saisir la commission par l’intermédiaire du Directeur général des impôts avec l’ensemble des pièces de la procédure. Ainsi, le Directeur général des impôts, dans un délai de quinze jours, devait transmettre la demande du contribuable avec les observations du service de contrôle au président de la commission.
La commission jouait le rôle d’arbitre entre l’administration fiscale et le contribuable et disposait d’un délai de deux mois pour rendre un avis motivé sur les questions qui lui étaient soumises.
L’intérêt majeur était le caractère contradictoire de la procédure, où les parties étaient en mesure d’exposer leurs moyens. Ces commissions permettaient une médiation qui, bien que non contraignante, offrait aux parties un cadre pour trouver une solution amiable à leurs différends.
Malheureusement, la loi de finances 2025 a procédé à leur suppression en toute confidentialité. Une évolution qui soulève de nombreuses interrogations sur ses impacts sur le paysage fiscal sénégalais. D’autant plus qu’aucun motif n’a été avancé pour expliquer les raisons de leur suppression.
En tout cas, ça ne saurait être qu’elles n’ont pas répondu efficacement aux enjeux actuels du droit fiscal, en raison du fait que le ministre des Finances n’a jamais pris les arrêtés d’application pour permettre leur fonctionnement. Ce qui a eu un impact négatif dans la résolution amiable des différends.
Peut-être a-t-on pensé à un choix de simplification administrative du fait de leur non-effectivité. Or, cette situation découle de l’inertie de l’administration fiscale, qui s’est abstenue de se conformer à la loi fiscale.
Cette suppression, qui installera le « tout contentieux », ne vise pas à la modernisation de la gestion des litiges fiscaux. En outre, l’essor des solutions numériques dans la nouvelle politique fiscale devait justifier la mise en place de plateformes de médiation en ligne, qui permettraient de mieux répondre aux attentes des contribuables en matière de gestion du contentieux.
En conséquence, au lieu de procéder à leur suppression, ces commissions, perçues comme inutiles parce que non fonctionnelles, devaient être modernisées. Ces suppressions sans motif constituent un recul par rapport à l’objectif de moderniser l’administration fiscale.
2. Les commissions de conciliation : un instrument de dialogue
Les commissions de conciliation étaient des instances mises en place pour favoriser une résolution rapide et consensuelle des litiges fiscaux. Elles réunissaient, en principe, des représentants de l’administration fiscale, des experts, ainsi que des contribuables ou leurs représentants. Leur mission principale était d’examiner les désaccords relatifs à l’imposition ou à l’application des normes fiscales et d’essayer de dégager une solution amiable.
La conciliation était un moyen privilégié pour éviter l’escalade des contentieux fiscaux en offrant une alternative aux procédures judiciaires longues et coûteuses.
Le recours à la commission permettait aux parties d’arrêter des solutions qui, dans bien des cas, prévenaient un contentieux devant les tribunaux et de dégager une jurisprudence qui pourrait renforcer la prévisibilité et la sécurité juridiques.
3. Les commissions fiscales : un rempart contre l’arbitraire
Les commissions de conciliation devaient jouer un rôle fondamental dans la défense des droits des contribuables. Elles devaient permettre une évaluation impartiale des différends fiscaux grâce à leur composition mixte, regroupant des représentants de l’administration, des contribuables et parfois des experts indépendants. Cette pluralité garantissait que les décisions ne soient pas unilatérales et reflètent une analyse équilibrée des faits et du droit.
C’était bénéfique pour l’administration fiscale : une table ronde où siègent des membres de l’administration fiscale, des représentants de contribuables et des experts indépendants, discutant d’un cas fiscal.
Leur suppression risque de concentrer davantage de pouvoirs entre les mains de l’administration fiscale, privant les contribuables d’une instance intermédiaire pour faire valoir leurs arguments. Une telle centralisation va à l’encontre des principes d’équité et de justice, en exposant les citoyens à des décisions unilatérales, parfois arbitraires.
II – Les conséquences de la suppression des commissions de conciliation
1. Un recul des droits du contribuable vérifié
La suppression des commissions de conciliation pourrait conduire à un alourdissement des contentieux fiscaux. Les contribuables risquent de se retrouver dans une situation où les seules solutions possibles sont les voies de recours judiciaires, plus longues et plus coûteuses. Ce retour en arrière dans la gestion du contentieux fiscal pourrait dégrader les relations entre l’administration fiscale et les contribuables, rendant l’environnement fiscal plus conflictuel.
Elle réduit toutes chances de dialogue avec l’administration fiscale en ce qu’elles pouvaient offrir un espace de dialogue entre les contribuables et l’administration fiscale, souvent accompagné de médiateurs ou de conciliateurs. Cette médiation permettait de résoudre des conflits sans avoir recours à des procédures contentieuses formelles.
Leur suppression prive les contribuables d’une chance de résoudre leurs litiges dans un cadre moins conflictuel, ce qui peut engendrer un sentiment d’injustice face aux énormes pouvoirs de l’administration fiscale. Elle entraînera aussi une inégalité d’accès à la justice.
Les procédures devant les commissions de conciliation permettaient à des contribuables moins informés ou moins armés pour une bataille juridique d’exprimer leurs préoccupations et de trouver une solution.
Leur suppression crée un fossé, où seuls les contribuables ayant les ressources nécessaires pour engager une action en justice pourront défendre efficacement leurs droits. Alors que leur fonctionnement pouvait assurer un droit à une protection renforcée et constituer également un mécanisme de contrôle et de protection contre des décisions fiscales qui peuvent souvent être injustes ou abusives.
2. Des répercussions sur la charge de travail des juridictions
L’augmentation du nombre de contentieux devant les tribunaux ira crescendo. D’autant plus qu’il existe un problème majeur devant les juridictions contentieuses, où il n’existe pas de magistrats spécialisés dans le contentieux fiscal, qui présente une grande spécificité.
La disparition de la conciliation, qui jouait le rôle de filtre pour de nombreux litiges, risque de surcharger davantage les juridictions, déjà souvent confrontées à des délais de jugement longs et qui ne tiennent pas compte de la particularité du contentieux fiscal.
Cela pourrait conduire à une justice fiscale plus lente et à une réduction de l’efficacité de la réponse judiciaire. Ce non-accès aux commissions de conciliation met fin à toute possibilité de régler les différends fiscaux à l’amiable, sans recourir immédiatement à une procédure judiciaire longue et coûteuse.
Leur disparition prive les contribuables de cette possibilité de résoudre leurs litiges de manière informelle, rapide et moins contraignante. Cette suppression aura pour effet l’alourdissement de la procédure : les contribuables doivent désormais se tourner directement vers les tribunaux pour contester toute décision fiscale.
Cela impliquera un processus plus complexe, coûteux et long, ce qui peut décourager certains contribuables, en particulier les plus vulnérables, d’exercer pleinement leurs droits de contribuables, et dans certains cas, constituer un frein à un recouvrement fiscal efficient.
3. Un manque d’accompagnement pour les petites entreprises
Les petites entreprises, les indépendants et les professions libérales, souvent les plus vulnérables face aux complexités fiscales, pouvaient être fréquemment les principaux bénéficiaires des commissions de conciliation.
La suppression de cette voie de résolution aggravera ainsi la précarité juridique de ces acteurs économiques, en l’absence d’une alternative efficace et accessible à la médiation.
4. Une atteinte au droit à un recours effectif
L’inertie du ministre chargé des Finances dans la mise en place des commissions de conciliation fonctionnelles a privé gravement les contribuables d’un droit à un recours effectif, qui est un principe fondamental consacré par de nombreux textes internationaux, notamment l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
En supprimant les commissions de conciliation, l’État limite les options de recours précontentieux accessibles aux contribuables. Ceux-ci se retrouvent contraints de saisir directement les juridictions contentieuses, un processus souvent coûteux et chronophage.
Cette situation peut dissuader de nombreux citoyens, notamment les plus modestes, d’exercer leur droit de contestation, créant ainsi une justice fiscale à deux vitesses.
5. Un impact négatif sur la confiance des citoyens
La suppression des commissions risque également d’éroder la confiance des contribuables envers l’administration fiscale. Ces instances devaient symboliser un espace de dialogue et de transparence, où les différends pouvaient être résolus sans recourir à un contentieux judiciaire.
En les supprimant purement et simplement, l’administration renforce l’idée d’une relation verticale et autoritaire, loin de l’esprit de collaboration nécessaire à une fiscalité efficace et acceptée.
III – Des alternatives pour remplacer les commissions de conciliation
La suppression des commissions de conciliation ne doit nullement signifier nécessairement un abandon total des mécanismes de médiation en droit fiscal.
Il serait utile que l’administration fiscale réfléchisse à l’idée de renforcer d’autres dispositifs, tels que le recours à la médiation administrative et fiscale, qui pourrait constituer une alternative aux procédures judiciaires.
Des efforts doivent également être consentis pour encourager l’usage des nouvelles technologies pour faciliter la gestion des conflits fiscaux, comme le recours à la médiation en ligne.
Ces solutions peuvent offrir une nouvelle forme de conciliation, tout en répondant aux enjeux de rapidité et d’accessibilité.
Conclusion
La suppression des commissions de conciliation en droit fiscal ne s’inscrit pas dans une volonté de réformer et de moderniser la gestion du contentieux fiscal.
Cependant, cette réforme soulève des questions importantes sur ses impacts concrets sur les contribuables et sur le système judiciaire.
Si la suppression de ces commissions vise à simplifier le processus, il serait essentiel d’accompagner cette évolution d’alternatives efficaces pour garantir une justice fiscale accessible, rapide et équitable.
Il faudra aussi veiller à la nécessité de préserver les garanties des contribuables.
La suppression de ces commissions constitue une régression significative des droits des contribuables. Elle menace les principes d’équité, de transparence et de justice qui doivent guider toute relation entre l’administration et les citoyens.
Face à ces enjeux, il est essentiel de rappeler que l’efficacité du recouvrement fiscal ne saurait se faire au détriment des droits fondamentaux du contribuable.
Les décideurs publics doivent réfléchir à des alternatives qui concilient les objectifs de l’administration fiscale avec les garanties nécessaires pour protéger les contribuables contre l’arbitraire, en préservant un équilibre indispensable dans un État de droit.