« Un Mauricien à la tête de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) ? » C’est la question que pose, dans le titre de son article, le journal régional français Narbonne Echo. A dix semaines du Sommet de Dakar qui désignera le successeur du Sénégalais Abdou Diouf à la tête de la Francophonie, la candidature de Jean Claude de l’Estrac continue de susciter l’intérêt.
Un article du site 24heuresinfo.com
Pour l’heure, il semble que Paris ne soit pas arrêté sur une décision. Or, la position de la France est cruciale dans le choix du prochain secrétaire général de l’OIF. Le profil de de l’Estrac convient néanmoins : « l’homme est sérieux et apprécié », confiait en juillet dernier à Jeune Afrique un diplomate français. Celui-ci nuançait dans la foulée : « il reste un outsider parce qu’il vient de Maurice ».
Les choses sont peut-être en train de changer. Au Sommet de la Commission de l’océan Indien, en août dernier, les présidents Hery Rajaonarimampianina de Madagascar, Ikililou Dhoinine des Comores et James Michel des Seychelles ont officiellement dit soutenir la candidature du Mauricien. C’était en présence du président François Hollande. D’ailleurs, dans sa dernière livraison, l’hebdomadaire Jeune Afrique note que « François Hollande aurait été séduit par Jean Claude de l’Estrac ». Des participants au Sommet n’ont en effet pas manqué de relever une certaine complicité entre les deux hommes.
En Afrique, de l’Estrac « a marqué des points » lors de son déplacement au Sénégal, Côte d’Ivoire, Bénin et Gabon. Il y a rencontré respectivement le premier ministre Mahammed Dionne, le ministre de la Culture et de la Francophonie Maurice Bandaman, le président Boni Yayi et son ministre des Affaires étrangères Nassirou Bako-Arifari et enfin le président Ali Bongo. Selon Jeune Afrique, « le Gabon serait derrière de l’Estrac ». L’entourage de l’actuel secrétaire général, l’ancien président du Sénégal Abdou Diouf, estime qu’il « ferait un bon candidat de compromis ».
Par ailleurs, dans les médias, de nombreux soutiens se sont manifestés depuis le début de la campagne. En juin, Samirat Ntiaze, l’éditorialiste de Hommes d’Afrique Magazine appelait les Etats d’Afrique à soutenir de l’Estrac. En juillet, celui de la lettre d’information Prospective africaine disait que « sa hauteur de vue et son dynamisme font de lui le candidat attendu par une francophonie à la croisée des chemins ». Le même mois, dans Le Monde, une vingtaine d’intellectuels francophones, de Maurice, du Maroc, du Cameroun, du Sénégal, de France ou du Vietnam, dont JMG Le Clézio, et Tahar Ben Jelloun, ont signé une tribune intitulée « Désignons un Mauricien à la tête de l’OIF. M. de l’Estrac a notre soutien ». Plus récemment, c’est le directeur de Africa WorldWide Group, le Sénégalais Siré Sy, qui a pris fait et cause pour le candidat de Maurice dans les médias de son pays et d’Afrique de l’ouest.
De l’Estrac, le candidat de consensus ? Les chances semblent réelles même si la partie n’est pas gagnée. La Canadienne Michaelle Jean, soutenue activement par une diplomatie canadienne autrement plus étoffée que le réseau mauricien, fait le tour des capitales francophones pour gagner des voix. Le Burundais Pierre Buyoya continue d’y croire malgré son passé d’ancien putschiste et l’interdiction d’entrée sur les territoires canadien et suisse qui plombent sa candidature.
Dans les prochaines semaines, de l’Estrac devrait poursuivre ses visites en Europe, puis en Afrique du Nord et subsaharienne. Le candidat de Maurice a les moyens de devenir celui de toute l’Afrique, compte tenu du retrait du malien Dioncounda Traoré, du mutisme du Congolais Henri Lopes et de l’Equato-guinéen Augustin Nze Nfumu et du passé sulfureux de Pierre Buyoya.
Surtout, Jean Claude de l’Estrac pourrait faire la différence grâce au programme qu’il compte présenter prochainement. Dans différentes interviews, il laisse transpirer quelques éléments sur ses propositions très concrètes. Il propose notamment, disait-il dans le quotidien ivoirien Fraternité Matin, de créer une Agence de promotion de l’industrialisation en Afrique à laquelle serait associée étroitement les opérateurs privés. C’est « une arme de construction massive », faisait-il savoir dans le supplément du Monde diplomatique consacré à Maurice en début de ce mois. Autre proposition : « un Observatoire des diversités culturelles car avant même de chercher à élaborer des indices de développement et de croissance, le fond de la question est la cohésion sociale, le respect mutuel, faute de quoi il n‘y a pas de stabilité et il ne peut y avoir de développement », avançait-il dans le journal de Côte d’Ivoire.
Maurice pourrait donc bien se retrouver à la tête de la Francophonie dans quelques semaines. Pour cela, il faudra que les chefs d’Etat africain s’entendent sur le choix d’un candidat. C’est non seulement à de l’Estrac de continuer à faire campagne mais peut-être plus encore au Premier ministre Navin Ramgoolam de faire valoir la personnalité de son candidat et le sérieux de son programme.
A ce titre, il ne faudrait pas que les élections jouent les trouble-fête, et encore moins que cette campagne bien menée ne finisse comme une histoire déjà connue: celle de la déconvenue de Jayen Cuttaree à l’Organisation mondiale du commerce.
HT : Michaelle Jean, la challenger venue du Canada
De tous les candidats, c’est bien la Canadienne Michaelle Jean, 57 ans, qui est la plus sérieuse concurrente. Ancienne journaliste comme de l’Estrac, ayant entamé sa carrière politique au sein du parti souverainiste québécois avant de rallier les rangs des fédéralistes, elle a été Gouverneur général du Canada de 2005 à 2010. Cette fonction honorifique, qui en fait en théorie un ancien chef d’Etat, se cantonne dans les faits à la représentation de la couronne britannique, comme ce fût le cas à Maurice jusqu’en 1992. Le correspondant à Paris du journal canadien Le Devoir, Christian Rioux, pour qui « La Francophonie mérite mieux que Michaelle Jean », écrit qu’elle a « servi avec application la Reine Elisabeth II pendant 5 ans ». Ce n’est sans doute pas le parcours rêvé par les chefs d’Etat… de la Francophonie.
Autre grain de sable dans la machinerie d’Ottawa, et non des moindres : depuis le sommet de Hanoi en 1997, il a été admis que le Secrétariat général de l’OIF revienne à un pays du Sud et le poste d’administrateur à un pays du Nord. L’élection de Michaelle Jean irait à l’encontre de cette règle. Elle poserait aussi la question du numéro 2 de l’OIF, l’administrateur canadien, Clément Duhaime, en poste jusqu’en 2018, dont le départ prématuré engendrerait, selon de nombreux observateurs, un cafouillage à la tête de cette organisation de 77 pays membres. Elle ne manquerait pas de créer aussi quelques frustrations au sein des chancelleries qui se souviennent que le Canadien Jean-Louis Roy a occupé deux mandats à la tête de l’Agence de coopération culturelle et technique, ancêtre de l’OIF, jusqu’en 1997.
Malgré ces handicaps, Michaelle Jean entend convaincre en Afrique et séduire en Europe. Gageons qu’il lui faudra déployer tout son charme pour compenser la faiblesse d’un programme qui manque de propositions concrètes et qui ne reflète pas la capacité de réflexion qu’on aurait été en droit d’attendre de la candidate d’un des pays les plus riches du monde.
6 commentaires
La Francophonie mérite mieux, avec Michaëlle Jean
L’article du correspondant à Paris du journal canadien Le Devoir, Christian Rioux, dont vous faites allusion avait pour objectif simplement de nuire à la candidature de Michaelle Jean.
Vous pouvez lire la clarification dans ce lien:
http://www.ledevoir.com/societe/actualites-en-societe/414157/la-francophonie-merite-mieux-avec-michaelle-jean
http://quebec.huffingtonpost.ca/isidore-kwandja-ngembo/la-francophonie-merite-mieux-avec-michaelle-jean_b_5590249.html
Y a-t-il une règle non écrite en vigueur à l’OIF?
Une « règle non écrite » si elle existe, relève du droit international coutumier, comme moyen auxiliaire de détermination des règles de droit et une pratique généralement acceptée par tous.
À la différence du principe universel de jus cogens, qui est une norme impérative de droit international généralement acceptée et reconnue par les États à laquelle aucune dérogation n’est permise et qui ne peut être modifiée que par une nouvelle norme du droit international général, la coutume est une reconnaissance d’une pratique étendue et acceptée par tous comme étant le droit.
Si une telle règle a existé, elle est déjà remise en cause avec la nomination de l’actuel envoyé spécial de la Francophonie pour la République centrafricaine qui, à notre connaissance, ne vient pas d’un État du Sud, mais bien de celui du Nord.
Il est important de rappeler que le Sommet de Hanoï date de novembre 1997. S’il a été établi et admis par tous les États que le poste de secrétaire général de l’OIF serait réservé uniquement aux candidats du Sud, on aurait mieux fait d’enchâsser cette disposition dans la Charte de la Francophonie qui a été adoptée le 23 novembre 2005, pour éviter toute mauvaise interprétation de cette « règle de droit ».
Les articles 3 et 9 de la Charte de la Francophonie, adoptée en 2005 à Antananarivo, sont clairs comme de l’eau de roche :
Article 3 : Sommet : «Il élit le Secrétaire général, conformément aux dispositions de l’article 6 de la présente Charte.»
Article 6 : Secrétaire général : «Il est élu pour quatre ans par les chefs d’État et de gouvernement. Il dirige l’OIF. Il ne demande ni ne reçoit d’instructions ou d’émoluments d’aucun gouvernement ni d’aucune autorité extérieure.»
Étant donné que ladite « règle non écrite » n’a jamais été codifiée dans la Charte, qui est un instrument juridique par excellence qui établit les règles de désignation du secrétaire général, elle ne peut avoir une prépondérance sur le droit écrit. Logiquement, on ne saurait même pas opposer le droit coutumier, qui n’a qu’une place assez restreinte dans le système juridique issu du droit romano-civiliste, au droit écrit accepté par tous les États membres de l’OIF.
L’article de Siré Sy, directeur d’Africa WorldWide Group, comportait beaucoup d’informations erronées. Une clarification a été faite dans le même journal Dakaractu.com voir le lien suivant:
http://www.dakaractu.com/Secretariat-general-de-l-OIF-Michaelle-Jean-a-deja-recu-l-appui-d-Ottawa-et-du-Quebec_a74801.html
Cher monsieur Kwandja
Nous vous remercions pour les clarifications importantes à propos du droit coutumier international. Jusque-là, on a eu un égyptien et un sénégalais. Si la candidature du Canada passe, il y aura au moins un bouleversement, l’administrateur de l’OIF étant déjà canadien. Quand est ce que Michelle Jean,qui a plusieurs fois visité la France, daignera-t-elle rendre visite aux africains. Il est vrai comme l’ont conseillé ses équipes politiques, tout se joue à Paris. Attention cependant à ne pas trop tirer sur le balafond.
La rédaction
Merci pour votre conseil, j’en prends bonne note.
J’aimerai, avant tout, vous dire combien j’apprécie vos analyses. Je suis un lecteur assidu de votre journal.
Néanmoins, je voudrais ajouter que le problème ne se posera pas qu’on se retrouve avec deux Canadiens à la tête de l’OIF. Aussi bien Michaëlle Jean que Christine Saint-Pierre, la ministre des relations internationales et de la Francophonie du Québec, s’étaient déjà prononcées à ce sujet.
Conformément à la Charte de la Francophonie, seul le secrétaire général est élu par les chefs d’État et de gouvernement. Article 9 : celui-ci nomme le personnel de son cabinet et désigne le personnel de ses services. Donc, c’est le secrétaire général élu qui nomme un administrateur qui va l’aider à accomplir le mandat qu’il aura reçu de la part des chefs d’État et de gouvernement.
Vous demandez : quand est-ce que Michaëlle Jean daignera-t-elle rendre visite aux africains?
Comme gouverneure générale du Canada, elle a effectué 10 visites d’État en Afrique. Depuis 2010, elle a fait beaucoup des voyages, soit comme Chancelière de l’Université d’Ottawa, soit comme Envoyée spéciale de l’UNESCO pour Haïti. Depuis qu’elle s’est lancée dans la campagne pour la succession à l’OIF, elle a visité plusieurs pays africains. La semaine dernière, elle venait de boucler une tournée qui l’a amenée en Tunisie et au Tchad.
Nous souhaitons tous bonne chance à tous les candidats. Que le meilleur gagne.
Monsieur Kwandja,
Merci pour vos remarques pertinentes. En effet que le meilleur gagne.
La rédaction