Par Jacques Leroueil, Kigali
Lancé fin janvier 2011, le Rwanda Stock Exchange est la dernière-née des places boursières est-africaines. Un court laps de temps qui aura vu la petite bourse de Kigali passer du statut de marché de capitaux en devenir à celui de jeune place financière “tendance”. Un saisissant raccourci du parcours accompli par le RSE depuis ses modestes débuts, mais qui ne saurait cependant faire oublier les difficultés et défis que doit encore relever celui-ci pour pérenniser ses premiers succès. 3 ans et demi après avoir été portée sur les fonds baptsimaux, l’heure d’un premier bilan est venu pour la bourse de Kigali.
L’auteur de ces lignes se souvient d’une visite à la bourse de Kigali en novembre 2010, peu de temps avant son démarrage officiel. On parlait alors du Rwanda Over the Counter Market, une structure rudimentaire d’échanges de gré à gré, portant principalement sur quelques transactions obligataires. A l’époque, il s’agissait de démarrer de zéro et de faire humblement ses classes. La quiétude des lieux et le tableau central des cotations, ponctué de très rares annotations, témoignaient mieux qu’un long discours du niveau dérisoire de l’activité de marché. Mais tout est affaire de perspective et s’intéresser au marché financier rwandais d’alors revenait à simplement l’observer dans sa phase de gestation.
Depuis, 3 ans et demi se sont écoulés et la jeune structure aux débuts incertains a finalement accouché du Rwanda Stock Exchange (RSE), désormais place boursière à part entière. Après avoir supervisé avec succès en 2011 les premières introductions sur le marché d’entreprises nationales- la Bralirwa (1er brasseur du pays) en janvier et la banque de Kigali (1ère banque rwandaise) en septembre- le RSE comptabilise aujourdhui 5 entreprises cotées (les rwandaises Bralirwa et banque de Kigali ainsi que les kényanes KCB, NMG et Uchumi) pour une capitalisation boursière domestique totale de plus de 870 millions de $. Elle était de 120 millions de $ fin janvier 2011. Quant à l’indice RSI des valeurs rwandaises, il est en forme olympique (+160 % sur la période).
En bref, une place financière qui monte, mais qui a aussi les défauts de sa jeunesse. Le Directeur général de la bourse de Kigali, Pierre Célestin Rwabukumba, en convient lui-même, “les défis à relever ne manquent pas” : un nombre restreint de valeurs cotées (5), une offre limitée de produits financiers, un volume moyen d’activité faible (300.000 $ par jour contre 5 millions de $ à Nairobi) et une culture actionnariale encore embryonnaire. Lancé au second semestre 2013, le nouveau marché alternatif destiné à accueillir les PME attend quant à lui toujours ses premiers participants. Pour ces petites et moyennes entreprises, encore dépendantes de schémas de financement traditionnel (autofinancement et emprunt bancaire), c’est l’attentisme qui prévaut le plus souvent.
Dans leur grande majorité pourtant, les acteurs du secteur interrogés (investisseurs privés et institutionnels, courtiers et analystes) le disent : l’expansion à venir de la place financière rwandaise ne fait pas débat. Ils en sont convaincus, le meilleur est encore à venir. Le RSE disposera sous peu d’un système de cotation intégralement automatisé et de nouvelles sociétés pourraient prochainement ouvrir leur capital à la bourse de Kigali. La société de télécoms MTN Rwanda, l’assureur Sonarwa, tout autant que les kényanes KenolKobil, Equity Bank et Centum Investment sont ainsi régulièrement citées dans le bal des prétendantes. Des entreprises d’envergure qui ont choisi le Rwanda pour venir y lever des capitaux, autant attirées par l’efficacité de la régulation financière (conforme aux meilleurs standards internationaux) que par les perspectives économiques du pays. La récente interconnexion des bourses est-africaines- qui permet d’acheter ou vendre des titres cotés sur d’autres bourses de la région (Nairobi, Dar Es Salam et Kampala) via son broker local-devrait pour sa part contribuer à renforcer encore un peu plus l’attractivité de la place rwandaise et faire progresser l’activité de marché. Les résultats sont déjà visibles : en 2013, le volume de titres échangés a ainsi dépassé pour la première fois le seuil psychologique des 50 milliards de RWF (74 millions de $), à comparer aux 18,2 milliards de RWF (26 millions de $) réalisés en 2012. Certes, on est encore très loin des poids lourds continentaux (Johannesburg, Lagos, Casablanca, Nairobi) mais comme le rappelle Pierre Célestin Rwabukumba, “…ce qui importe le plus, c’est la tendance”. A l’aune de ce critère, nul doute que le très bref historique du Rwanda Stock Exchange milite en sa faveur.
Au final, selon le prisme (la fameuse logique du verre « à moitié vide ou à moitié plein ») à travers lequel on envisagera le nouveau marché boursier rwandais, on conclura en disant de lui qu’il est encore étriqué (un fait que nul ne contestera) mais qu’il a d’ores et déjà procuré de solides performances à ses investisseurs et qu’il progresse rapidement (une orientation que tout un chacun pourra constater). Le RSE dispose en tous les cas dans son jeu de trois cartes maîtresses, qui lui seront assurèment utiles : Un niveau global de valorisation considéré comme raisonnable, de bons fondamentaux économiques à l’échelle du pays et une stabilité politique susceptible de rassurer les investisseurs sur le long terme.
2 commentaires
Ne serait-il pas plus pertinent pour les sociétés rwandaises de se faire cotées dans une bourse sous-régionale d’Afrique de l’Est (avec Nairobi comme place forte) ? Cela favoriserait la liquidité des actions échangées, qui semble être le principal handicap de cette place boursière.
Faire coter les entreprises rwandaises sur des places financières de la région plus matures ( telle la bourse de Nairobi) pourrait en effet s’avérer une possibilité non dénuée d’avantages. Au premier rang desquels l’accès à un pool d’activité et d’opérateurs plus étoffé. J’y vois cependant deux bémols :
1) Les sociétés cherchant à lever des fonds sur des marchés autres que leur marché domestique ont historiquement plus de difficultés que leurs consoeurs locales à faire le plein de capitaux auprès des souscripteurs et à générer après coup des volumes significatifs de transactions sur leurs titre. Une difficulté qui n’est pas insurmontable- il y a bien sur des exceptions-mais qui doit néanmoins être prise en compte
2) Enfin, la question sensible de la « souveraineté » financière nationale, certains petits états préférant pour des motifs divers disposer de leur propre plateforme boursière (Sierra Leone, Swaziland et même les Seychelles…) sans que la pertinence de celle-ci ne saute effectivement toujours aux yeux. Dans le cas en l’espèce du Rwanda, le pays a cependant de meilleurs arguments à faire valoir (population et économie plus importantes, environnement d’ensemble favorable, positionnement revendiqué de hub à la lisière des zones francophones et anglophones…).
En bref, pourquoi pas, mais il n’y a pas de panacée. C’est in fine une question de choix national et de juste évaluation des différentes options.