Par Boileau Loko, ancien représentant du FMI à Dakar
La dette africaine suscite à la fois inquiétude et incompréhension. Pourtant, elle traduit d’abord une réalité incontournable : les pays doivent financer leur développement — infrastructures, éducation, santé, énergie. La question n’est donc pas tant de savoir si la dette existe, mais si elle est soutenable et utilisée efficacement. La situation est-elle réellement alarmante ? Et comment mobiliser davantage de ressources pour sortir durablement de la pauvreté sans basculer dans une spirale de surendettement ?
Une dette trop élevée… ou simplement mal perçue ?
Après les annulations massives du début des années 2000 (Initiative PPTE), les niveaux d’endettement ont progressivement augmenté, sans toutefois retrouver les sommets d’avant allègement.
Quelques chiffres clés :
- Dette extérieure totale : 807 milliards USD en 2024 (+50 % en neuf ans)
- Dette extérieure/PIB : 31,5 % (2016) → 44,2 % (2024)
- Dette publique/PIB : 38 % (2016) → 59 % (2024)
(Sources : WEO, FMI)
Le véritable problème ne réside donc pas exclusivement dans le niveau de la dette — qui reste inférieur à celui de nombreuses économies émergentes — mais dans le coût du service, alourdi par plusieurs facteurs :
- baisse de l’aide publique au développement,
- recours accru à des financements intérieurs et privés à des taux élevés,
- hausse des remboursements de principal sur la dette extérieure : 66 milliards USD (2016) → 100 milliards USD (2024).
Une alerte bien réelle
- Plus d’un tiers des recettes publiques servent aujourd’hui au remboursement de la dette.
Autant de ressources en moins pour l’éducation, la santé, l’électricité ou les routes. - En Afrique subsaharienne, une vingtaine de pays sont en situation de détresse ou présentent un risque élevé de surendettement (FMI & Banque mondiale).
Comment financer le développement sans surendettement ?
Quatre leviers majeurs se dessinent :
- Croissance durable : stabilité macroéconomique, réformes structurelles, bonne gouvernance, efficacité de la dépense publique et gestion stricte du programme d’investissements.
- Mobilisation accrue des recettes internes : modernisation des administrations fiscales, digitalisation, élargissement de la base d’imposition, meilleure gestion des dépenses fiscales.
- Gestion transparente et rigoureuse de la dette : suivi des risques, choix de projets véritablement rentables.
- Soutien international : mécanismes de restructuration renforcés, coopération accrue, augmentation de l’aide publique au développement.
Le vrai combat : réduire la pauvreté
Ce n’est pas la dette en soi qui menace l’avenir du continent, mais l’insuffisance d’investissements, la fragilité de la gouvernance économique et la lenteur des réformes structurelles. Près d’un Africain sur deux vit avec moins de 3 dollars par jour (Banque mondiale).
Mal gérée, la dette peut étouffer la croissance. Bien utilisée, elle constitue au contraire un levier puissant pour financer l’avenir et réduire durablement la pauvreté — comme le montrent Boileau Loko et al. dans IMF WP03/61.
À propos de Boileau Loko
Boileau Loko est macroéconomiste, avec 25 ans d’expérience au FMI dont 15 à des postes de direction. Il a été membre de l’équipe dirigeante du département des examens stratégiques et de politique générale. Il a travaillé sur les politiques de viabilité de la dette, de gouvernance et d’inclusion, y compris dans les États fragiles.
Au FMI, il a été chef de division, chef de mission, conseiller et représentant résident. Monsieur Loko est titulaire d’un doctorat en macroéconomie et d’un DESS en analyse de projets du CERDI.

