Par M. Morel SYLLA
Diplomate cuturel, Directeur du Cabinet Conseil PMC, Président de l’Association Maraguiri, Partenaire technique du Festival KANIA SOLY
Au moment où se redessine la carte mondiale des influences, la culture redevient un instrument de souveraineté et un actif stratégique rivalisant désormais avec les technologies, les données et la finance. La question centrale n’est plus “qui produit le contenu ?”, mais “qui impose le récit ?”. Le cas guinéen montre qu’un pays doté d’un capital symbolique intact peut transformer son héritage immatériel en levier de négociation, d’attractivité et de compétitivité internationale.
Le récit comme nouveau théâtre géopolitique
La compétition mondiale s’est déplacée vers les imaginaires. Les puissances qui parviennent à articuler leur capital culturel en récit cohérent deviennent des pôles de référence. La K-Pop sud-coréenne et le manga japonais ont restructuré des économies créatives entières alors que la Francophonie mobilise les langues comme instruments d’influence, et que les Nations nordiques ont converti leur identité design en industrie scalable.
La Guinée dispose, quant à elle, d’un patrimoine identitaire unique à travers sa percussion structurée, son oralité codifiée, son esthétique rituelle et ses gestes chorégraphiques. Elle demeure l’une des rares nations africaines dont la matrice culturelle n’a pas été plateformisée par d’autres. L’enjeu n’est toutefois pas de célébrer cette singularité, l’heure étant surtout à l’organisation stratégique et à la mise en capacité de projection de l’écosystème cuturel national.
Le pays est alors appelé à transformer son héritage en ressource politique, économique et diplomatique pour peser dans le nouvel arbitrage mondial de l’attention, de la confiance et du sens.
Passer du patrimoine à la puissance
Le principal défi national n’est pas l’absence d’identité artistique, mais l’absence de mécanismes organisés permettant sa conversion en puissance car la Guinée dispose d’un capital symbolique extraordinairement rare, encore intact, encore brut, encore organique. Ce capital ne demande ni invention, ni reconstruction; loin s’en faut ; il requiert simplement architecture, ingénierie, standardisation et vision de long terme, pour la simple raison que le passage stratégique ne se joue donc pas dans l’inspiration mais dans la structuration. Il s’agit moins de célébrer nos arts que de créer les conditions de leur exploitabilité à échelle nationale et internationale.
Le déficit de chaîne de valeur détermine que les artistes maquent d’environnements techniques, juridiques, commerciaux et diplomatiques, ce qui ampute à l’idée d’un écosystèm idéal et donc axé sur la production continue. La création reste donc portée par des individus, creusant le sillon d’un patrimoine quasi immuablel là où les enjeux de puissance sus évoqués, appellent à construire des systèmes reproductibles, transmissibles, capitalisables. Les nations qui ont transformé leur culture en secteur industriel sont légion. Des exemples comme la Corée, le Japon, le Québec, ou, plus proche, le Nigéria et le Ghana, l’ont fait par la mise en place de plateformes, de normes, de méthodologies, d’écoles dédiées et de cadres politiques capables de financer, réguler, scaler et exporter.
C’est là que se situe l’enjeu véritable pour la culture guinéenne qui reste globalement appréhendée comme « expression », et dont le défi est d’entrer plus que jamais dans la catégorie « industrie ». Tant que nos rythmes resteront des performances, ils ne deviendront jamais des actifs stratégiques. Tant que nos histoires resteront narrées, elles ne deviendront jamais des produits d’influence. Le défi consiste à passer de la puissance intuitive à la puissance structurée à l’effet que la reconnaissance symbolique se mue en valorisation stratégique, en surfant sur la scalabilité.
La Guinée est, de fait, appelée à faire entrer sa culture dans le domaine du mesurable, du calculable, du reproductible; là où la création ne sert plus à émerveiller mais à peser économiquement, diplomatiquement et politiquement. C’est cette translation du sensible vers l’industriel qui déterminera si notre héritage deviendra un patrimoine immobile ou une infrastructure de puissance.
Pour une doctrine guinéenne de la diplomatie culturelle compétitive
Face à tout ce qui précède, des approches de solutions sont envisageables à travers la construction d’une doctrine de diplomatie culturelle qui repose sur l’intelligence de notre mémoire, la structuration de nos chaînes de valeur créatives et la mobilisation stratégique de notre jeunesse comme interface d’influence. Le pays est appelé à refonder son patrimoine par une approche éducative et transmissive visant successivement à restaurer, archiver, certifier, muséaliser, numériser et transformer nos sites, nos récits et nos corpus de praticiens en infrastructures cognitives capables de produire du savoir, des métiers et de l’expertise exportable.
Simultanément, il est nécessaire d’organiser nos arts vivants, nos rythmes, nos troupes, nos festivals, nos résidences et nos coopérations territoriales en véritable économie créative, où la percussion, la danse et la scène ne sont plus des expressions symboliques isolées mais les maillons d’une chaîne industrielle structurée et dotée de normes, de marchés, de droits, de réseaux et de leviers de valorisation. Enfin, l’activation de la mobilité, du service civique culturel de réciprocité et des formations croisées doit devenir le bras diplomatique silencieux de la Guinée, faisant de la jeunesse une force active de circulation, de traduction et de projection internationale.
C’est dans l’articulation de ces trois dynamiques que se trouve la viabilité d’une diplomatie culturelle capable de financer son propre déploiement, de renforcer la souveraineté, et de donner à la Guinée une influence stable, durable et mesurable dans le concert des nations.

