Éviter absolument le défaut ou transformer la crise en opportunité
Par Doudou Ka, ancien ministre de l’Économie du Sénégal
Un moment de vérité nationale
Le Sénégal traverse une crise sans précédent : tensions de trésorerie, effondrement des eurobonds, incertitudes institutionnelles, absence d’accord de financement avec le FMI…
Le risque de défaut n’est plus théorique, il est réel !
Mais une crise n’est pas une condamnation. Elle peut devenir un tournant historique si elle est affrontée avec courage, lucidité et unité.
En 1998, la Malaisie, frappée de plein fouet par la crise asiatique, a évité le défaut grâce à une stratégie souveraine, cohérente et courageuse. Ce choix de leadership a restauré sa crédibilité, son économie et son unité nationale. C’est cette leçon qu’il nous faut méditer aujourd’hui.
1. Le défaut : un échec moral autant que financier
Un défaut de paiement n’est pas qu’une question de chiffres. Il frappe dans la vie quotidienne les ménages, les débrouillards — ou goorgoorlus en wolof —, les entreprises, la monnaie, l’emploi.
Ce qui est en jeu, c’est notre souveraineté économique.
Éviter le défaut, c’est refuser les postures : chercher des solutions plutôt que des coupables, agir plutôt que communiquer.
Une nation ne se redresse pas dans le bruit, mais dans la discipline, la vérité et la cohésion.
La Malaisie a montré la voie :
• assumer la situation réelle ;
• écarter les querelles d’ego ;
• décider pour l’intérêt général.
C’est dans cette lucidité collective que naît la force d’un peuple.
2. Transformer la crise en opportunité
En 1998, Mahathir Mohamad, l’ancien Premier ministre, a choisi une voie souveraine et pragmatique :
• contrôle temporaire des capitaux,
• restructuration des banques et de la dette,
• soutien aux secteurs productifs,
• refus de l’austérité brutale imposée de l’extérieur.
Cette approche a permis de restaurer la confiance sans renoncer à la souveraineté nationale. Le Sénégal peut, lui aussi, s’inspirer de cette stratégie : repenser son modèle économique, sa gouvernance publique, la taille et le périmètre de son administration, son rapport à la dette, et définir la place du secteur privé national.
3. Trois leviers pour un sursaut sénégalais
- Dire la vérité sur le calcul des chiffres :
La transparence totale sur la dette, les passifs, les méthodes de calcul et les engagements de l’État est la première condition pour regagner la confiance interne comme externe.
- Forger un pacte économique national :
Un front républicain pour la stabilité économique, au-dessus des clivages politiques, fondé sur la continuité de l’État et la mobilisation des compétences.
Aucune réforme durable ne peut naître de la division.
- Lancer un plan de relance économique réaliste :
Protéger la dette domestique, stabiliser la liquidité, reprofiler la dette externe, relancer l’investissement dans les secteurs productifs prioritaires ciblés, réduire le train de vie de l’État avec l’objectif clair de retrouver un solde primaire positif, réformer la taille de l’administration et la gouvernance des entreprises publiques stratégiques, booster l’investissement privé et promouvoir les IDE.
C’est sur ces trois piliers que peut se bâtir la confiance retrouvée.
4. Le test moral d’une génération
Le danger véritable n’est pas économique, mais moral : la division, la vengeance, la paralysie économique, le chaos social.
Le patriotisme ne se proclame pas, il se prouve — en disant la vérité, en protégeant le peuple, en privilégiant l’intérêt général, en refusant l’effondrement.
Car c’est dans la tempête que se mesure la grandeur d’une nation, et la stature des hommes d’État.
Conclusion : choisir entre réaction et transformation
Chaque crise ouvre deux chemins :
• la réaction politicienne, qui mène au défaut ;
• la transformation stratégique, qui construit l’avenir.
La Malaisie a choisi la seconde voie. Le Sénégal peut et doit s’en inspirer, lui aussi, pour faire de cette épreuve une opportunité de renaissance. À condition de faire de ses nombreux partenaires — le FMI inclus — des alliés d’une stratégie audacieuse et rigoureuse, et non pas des adversaires.
Le choix est entre nos mains : subir la crise, ou devenir plus grands qu’elle. L’histoire jugera notre courage, pas nos excuses.

![[Tribune] Le pire n’est jamais sûr](https://www.financialafrik.com/wp-content/uploads/2025/11/IMG_2482-600x488.jpeg)