Par Raphael NKOLWOUDOU AFANE, Docteur en droit & Legal Ops Officer.
Et si notre rêve panafricain de marché numérique unifié s’évaporait à chaque coupure de courant ? Alors que les experts du numérique se réunissent à Conakry pour le sommet Transform Africa 2025, une réalité obstinée persiste : on ne peut harmoniser des règles continentales sur un réseau électrique qui, lui, ne connaît que le désordre. La latence des services numériques, ce fléau qui fait ressembler une simple transaction en ligne à un parcours du combattant, n’est que le symptôme visible d’un mal plus profond – la précarité énergétique. Pourtant, dans un continent baigné de soleil 300 jours par an, il est inconcevable que le photovoltaïque par exemple ne constitue pas l’axe prioritaire de nos projets énergétiques, surtout avec les capacités technologiques et financières que la Chine propose.
La 15ᵉ session du Conseil Africain des Régulateurs(CAR-15), organisée en marge du Transform Africa Summit 2025, marque une étape décisive dans la quête d’un marché numérique africain intégré. Les régulateurs du continent s’y réunissent pour harmoniser les cadres réglementaires, favoriser l’interopérabilité et stimuler l’innovation. L’harmonisation réglementaire n’est plus une option mais une nécessité pour construire l’Afrique numérique de demain. Elle nécessite une volonté politique forte et une coordination étroite entre tous les acteurs – pouvoirs publics, régulateurs et secteur privé. C’est l’un des leviers importants pour promouvoir un marché digital continental compétitif et innovant.
Mais une question cruciale reste en suspens : comment bâtir un marché digital sans énergie ?
Un déficit énergétique qui freine la croissance numérique
L’Afrique subsaharienne concentre plus de 80 % du déficit mondial d’accès à l’électricité. Selon la Banque mondiale, près de 600 millions d’Africains vivent sans courant (Chiffres de 2020), et ceux qui y ont accès doivent composer avec des infrastructures vieillissantes, des coupures fréquentes et des coûts élevés. Ce déficit énergétique entraîne des conséquences directes sur les services numériques :
• Latence élevée et instabilité des connexions, notamment dans les zones rurales.
• Pannes de serveurs et interruptions de services, affectant les plateformes de paiement mobile, les services publics en ligne et les applications de santé.
• Coûts d’exploitation accrus pour les sociétés de services numériques, contraintes d’investir dans des générateurs ou des solutions hybrides.
Les délais interminables de chargement, les transactions interrompues, les visioconférences saccadées – ces états de latence ne sont pas une fatalité technique, mais le reflet criard de nos déficiences énergétiques. Comment parler d’harmonisation réglementaire à l’échelle continentale lorsque nos data centers peinent à rester alimentés, lorsque les zones industrielles digitales fonctionnent au ralenti, et lorsque les start-ups doivent prévoir des groupes électrogènes dans leur business plan ?
Cameroun : un cas révélateur
Au Cameroun, les délestages électriques sont monnaie courante. Les PME du secteur numérique doivent s’équiper de groupes électrogènes pour maintenir leurs activités. Les plateformes de e-commerce et de fintech subissent des interruptions qui nuisent à la confiance des utilisateurs. Dans les zones rurales, l’absence d’électricité empêche tout accès aux services numériques, creusant davantage la fracture digitale.D’ailleurs, lors de mon dernier séjour à Abidjan, nous avons noté que de nombreux start-uppeurs camerounais se relocalisent en Côte-d’Ivoire où l’alimentation électrique est moins instable.
Pour une stratégie intégrée : énergie + numérique
Ce déficit énergétique est d’autant plus paradoxal que l’Afrique dispose d’un atout solaire exceptionnel. Alors que certaines régions du monde peinent à trouver des surfaces d’ensoleillement optimales, notre continent regorge de cette ressource gratuite et abondante. Le photovoltaïque devrait être au cœur de notre stratégie énergétique, d’autant plus que la Chine, leader mondial du secteur, manifeste un intérêt croissant pour collaborer avec l’Afrique dans ce domaine.
La solution est à portée de main : nous pensons que l’Alliance Smart Africa, pourrait bien dans son engagement audacieux pour accompagner l’Afrique vers l’économie du savoir, à travers l’accès abordable à l’internet haut débit et l’utilisation des services numériques, devrait promouvoir une alliance stratégique entre les pouvoirs publics, le secteur privé africain et les experts chinois en énergie solaire. Cette collaboration pourrait prendre la forme :
• De parcs solaires transfrontaliers alimentant les corridors numériques
• De programmes de formation technique avec transfert de compétences
• De financements concessionnels pour des micro-réseaux solaires
• De politiques fiscales incitatives pour l’auto-consommation photovoltaïque
L’intégration numérique ne peut réussir sans une stratégie énergétique ambitieuse. Il est impératif que les États africains :
• Coordonnent les politiques numériques et énergétiques, en associant les régulateurs des deux secteurs.
• Investissent dans les énergies renouvelables, notamment solaires et hydrauliques, pour alimenter les hubs technologiques.
• Créent des incitations croisées pour les investisseurs dans les infrastructures numériques et énergétiques.
L’intelligence artificielle, catalyseur ou mirage ?
L’Afrique veut tirer parti de l’IA pour transformer ses économies. Mais l’IA exige une puissance de calcul élevée, des data centers performants et une alimentation électrique continue. Sans énergie, l’IA restera inaccessible à la majorité du continent.
Conclusion : une double urgence
L’Afrique ne peut pas se contenter d’harmoniser ses règles numériques. Elle doit synchroniser ses ambitions digitales avec une révolution énergétique. Le CAR-15 est une avancée, mais elle doit être suivie d’un pacte continental pour l’électrification numérique. Car sans énergie, le numérique africain ne sera qu’un mirage économique. En effet, l’harmonisation des règles numériques en Afrique ne sera effective que lorsque nous aurons résolu l’équation énergétique. Alors que le soleil brille pour tous sans discrimination, il est temps d’en faire le carburant unique de notre révolution numérique. Avec la Chine comme partenaire technologique et nos décideurs réunis à Conakry, l’occasion est historique de faire du photovoltaïque le socle de notre indépendance énergétique et numérique.
Appel à l’action :
Aux participants de Transform Africa Summit 2025 : faisons de 2026 l’année de l’énergie solaire pour le numérique africain. La lumière naturelle de notre continent doit enfin alimenter notre lumière numérique.

