Par Mamadou Ismaïla KONATÉ
Avocat à la Cour – Barreaux du Mali et de Paris
Ancien Garde des Sceaux, ministre de la Justice
Ce texte complète et actualise l’analyse précédente consacrée à la décision de CMA-CGM. Il prend en compte la position annoncée le 6 novembre 2025 par MSC Mediterranean Shipping Company, qui a suspendu ses services de transport vers et depuis le Mali. Cette évolution confirme la gravité des défis logistiques et économiques du pays et souligne l’urgence d’une réponse coordonnée entre acteurs publics et privés pour garantir la continuité du commerce.
I. Une double alerte pour un pays enclavé
Le 4 novembre 2025, CMA-CGM annonçait la suspension temporaire de ses services intermodaux vers le Mali, invoquant des risques sécuritaires et une pénurie de carburant. Deux jours plus tard, le 6 novembre, MSC Mediterranean Shipping Company, basée à Genève, lui emboîtait le pas en suspendant à son tour toute desserte vers et depuis le Mali. Ces deux annonces successives, touchant les corridors d’Abidjan, Dakar, Tema, Lomé et Conakry, ont provoqué un choc logistique majeur. Pour un pays dont plus de 90 % du commerce extérieur dépend de ces axes, la situation révèle une vulnérabilité structurelle profonde, accentuée par l’insécurité régionale et la dépendance aux opérateurs étrangers.
II. CMA-CGM choisit la voie du dialogue
Alertées par la gravité de la situation, les autorités maliennes, par l’intermédiaire du ministère des Transports et des Infrastructures, ont organisé dès le 6 novembre une concertation avec CMA-CGM. À l’issue de cette rencontre, le groupe français a décidé de maintenir ses activités vers le Mali, y compris le transport terrestre, malgré les conditions difficiles et l’augmentation des coûts. Cette décision traduit une volonté de coopération et de responsabilité économique. Plutôt que d’invoquer la force majeure, CMA-CGM a préféré assumer un risque maîtrisé pour préserver la continuité logistique et soutenir le commerce malien.
III. MSC confirme la suspension de ses services
Le 6 novembre 2025, MSC a publié depuis Genève un communiqué officiel annonçant la suspension temporaire de toutes ses opérations à destination et en provenance du Mali, et ce jusqu’à nouvel ordre. Le groupe évoque des « major operational challenges » liés à la sécurité des convois et à la rareté du carburant, rendant le transport terrestre non viable à court terme. Les clients se voient offrir trois alternatives contractuelles : la livraison au port de déchargement, le stockage temporaire à terre ou à bord, ou la conservation du fret jusqu’à reprise des opérations. Contrairement à CMA-CGM, MSC a choisi la prudence stricte, conférant à la crise une dimension internationale et structurelle.
IV. Les incidences économiques : un choc en chaîne
Les conséquences économiques sont immédiates et lourdes : plusieurs centaines de conteneurs sont immobilisés dans les terminaux de Dakar, Abidjan et Conakry ; les délais d’acheminement vers Bamako sont passés de 7 à 15 jours ; les coûts de transport ont augmenté de 25 à 40 %. Les prix des produits importés — carburants, denrées alimentaires, matériaux de construction et médicaments — enregistrent une hausse notable. Les entreprises de transport subissent des ruptures contractuelles, les transitaires accumulent des pertes financières, et les recettes douanières et portuaires diminuent sensiblement. Ce choc logistique provoque un effet domino : raréfaction des biens, inflation généralisée et contraction du pouvoir d’achat. À court terme, il s’agit d’un risque économique majeur pour la stabilité du pays.
V. Lecture juridique : la force majeure en action
Sur le plan juridique, les deux armateurs ont invoqué la clause de force majeure contenue dans leurs Bills of Lading, leur permettant de suspendre temporairement leurs obligations. CMA-CGM a levé cette clause après dialogue avec les autorités maliennes, tandis que MSC la maintient, estimant que les conditions de sécurité et d’approvisionnement ne permettent pas une exécution sûre des contrats. Cette divergence reflète deux lectures du droit : l’une coopérative et pragmatique, l’autre prudente et conservatoire. Dans les deux cas, la crise souligne la dépendance logistique et juridique des États enclavés à des décisions contractuelles prises à l’extérieur de leurs frontières.
VI. Un signal d’urgence pour la souveraineté logistique
Ces épisodes révèlent une urgence stratégique. Le Mali doit sécuriser durablement ses corridors routiers et ferroviaires, réhabiliter ses infrastructures et diversifier ses accès à la mer. Les projets ferroviaires Abidjan-Bamako et Dakar-Bamako doivent redevenir des priorités nationales et régionales. L’État doit instaurer une concertation permanente avec les compagnies maritimes et les opérateurs de logistique intégrée pour anticiper les crises et éviter les ruptures d’approvisionnement. La constitution de réserves stratégiques de carburant et de produits essentiels devient un instrument vital de souveraineté économique et de résilience nationale.
VII. Conclusion : un double avertissement
Les décisions successives de CMA-CGM et de MSC constituent un avertissement majeur. Elles rappellent que la stabilité économique du Mali dépend d’un équilibre entre sécurité, énergie et coopération internationale. L’épisode de novembre 2025 doit servir de leçon stratégique : la résilience d’un État enclavé repose sur la préparation, la coordination régionale et la confiance entre acteurs publics et privés. Garantir la continuité du commerce, c’est assurer la stabilité de l’État.

