Par Zobo Korotoum, opérateur économique.
La Côte d’Ivoire, locomotive économique de l’Afrique de l’Ouest francophone, traverse une période charnière sur le plan fiscal.
Alors que l’État cherche à élargir son assiette fiscale pour financer ses ambitions de développement, les entreprises, elles, ressentent une pression de plus en plus lourde.
Une situation qui, à défaut d’être rapidement corrigée, risque de fragiliser le tissu économique national et d’éroder la confiance déjà vacillante entre le secteur privé et les pouvoirs publics.
1- Une pression fiscale et parafiscale devenue étouffante
Les signaux sont clairs : l’augmentation de l’impôt foncier, l’application de la TVA sur les prestations de formation (déjà financées par la taxe d’apprentissage), les frais d’agrément imposés dans les secteurs pétrolier, de la formation ou encore des services… Toutes ces mesures s’accumulent sur des entreprises déjà fragilisées par un environnement économique exigeant.
Ce qui devait être une politique d’élargissement équitable de l’assiette fiscale se transforme en une asphyxie progressive du secteur formel, principal pourvoyeur d’emplois et de recettes publiques.
Les PME, qui représentent pourtant le cœur de la création de richesse locale, sont les premières à plier sous ce poids croissant.
Une illusion statistique autour du taux de pression fiscale
L’État se targue d’avoir un taux de pression fiscale officiel inférieur au plafond de 20 % fixé par l’UEMOA. Mais ce chiffre, souvent brandi comme un signe de “marge de manœuvre fiscale”, ne reflète qu’une partie de la réalité.
Dans le calcul de ce taux, les taxes parafiscales et contributions obligatoires non budgétaires ne sont pas incluses :
les frais d’agrément, les redevances de régulation, les contributions à des fonds spéciaux, ou encore certaines cotisations quasi obligatoires.
Pourtant, ces prélèvements représentent une charge bien réelle pour les entreprises ivoiriennes.
Si l’on additionnait toutes ces contributions, la pression effective dépasserait largement le seuil de l’UEMOA, faisant de la Côte d’Ivoire l’un des pays où le coût de la conformité est le plus élevé.
Autrement dit, le taux “officiel” est bas, mais la pression réelle est forte.
Cette distorsion statistique alimente le sentiment d’injustice fiscale et fragilise la confiance du secteur privé.
2- Un problème de gouvernance avant tout
Le véritable nœud du problème n’est pas uniquement fiscal : il est gouvernemental.
Comment justifier de nouvelles taxes dans un contexte où les cas de détournement, de surfacturation et de gaspillage de ressources publiques sont régulièrement dénoncés ?
Le contrat social fiscal repose sur la confiance :
Je paie mes impôts parce que je vois leur utilité.
Or, cette confiance s’effrite.
Les entrepreneurs et citoyens perçoivent peu de corrélation entre l’effort consenti et l’amélioration des services publics.
3- Les risques d’une pression persistante
L’Annexe Fiscale 2026 se veut moderne et élargie, mais elle accentue une réalité déjà dénoncée : les acteurs formels et productifs (agriculteurs, éleveurs, PME, prestataires) sont davantage sollicités, alors que le secteur informel reste en grande partie hors de portée.
Cette orientation risque :
- d’affaiblir la compétitivité de filières stratégiques (agriculture, élevage, agro-industrie),
- d’accroître les coûts de production et les prix à la consommation,
- et de creuser le fossé entre fiscalité officielle et pression économique réelle, car la parafiscalité continue de croître sans coordination.
Si la tendance actuelle se poursuit, plusieurs risques majeurs se profilent :
- Fuite vers l’informel : les entreprises, incapables de supporter la charge, se réfugieront dans la clandestinité.
- Désinvestissement et fuite des capitaux : les investisseurs locaux et étrangers préféreront des destinations plus stables comme le Rwanda, le Maroc ou l’Île Maurice.
- Ralentissement économique : la croissance du PIB pourrait s’essouffler faute d’investissements productifs.
- Chômage et perte de compétitivité : les entreprises réduiront leurs effectifs, aggravant la précarité sociale.
- Diminution paradoxale des recettes fiscales : car au-delà d’un certain seuil, “trop d’impôt tue l’impôt”.
4- S’inspirer des bons élèves fiscaux
Des pays comme l’Estonie, la Nouvelle-Zélande ou Singapour ont prouvé qu’une fiscalité simple, numérique et transparente attire les investisseurs tout en assurant des recettes stables.
En Afrique, le Rwanda et l’Île Maurice se distinguent par :
- une numérisation intégrale des déclarations,
- des taux modérés,
- et une gestion rigoureuse et exemplaire des dépenses publiques.
Ces États ont compris une vérité simple :
la compétitivité fiscale n’est pas qu’une question de taux, c’est d’abord une question de gouvernance et de confiance.
RECOMMANDATIONS POUR UNE RÉFORME DURABLE
- Stabiliser le cadre fiscal : stopper les changements constants d’annexes fiscales et offrir de la visibilité aux entreprises.
- Rationaliser les taxes parafiscales : regrouper, simplifier et supprimer les frais d’agrément et contributions redondantes.
- Renforcer la transparence : publier régulièrement les rapports d’exécution budgétaire et les dépenses de l’État.
- Impliquer le secteur privé dans la conception des réformes fiscales, au lieu de lui imposer des décisions unilatérales.
Et si la vraie réforme commençait par l’État lui-même ?
Avant de demander toujours plus aux entreprises et aux ménages, l’État doit montrer l’exemple.
La réduction du train de vie de l’État, la rationalisation du nombre de postes politiques et institutionnels, souvent redondants ou symboliques, sont des signaux forts que la population attend.
Comment justifier l’ajout de nouvelles taxes quand le pays entretient :
- des structures aux missions similaires,
- des frais de mission et de représentation dispendieux ?
Réformer la fiscalité sans réformer la gouvernance budgétaire serait une erreur.
C’est en donnant l’exemple par le haut que l’État pourra rétablir la confiance et réconcilier les acteurs économiques avec le devoir fiscal.
CONCLUSION : RÉCONCILIER FISCALITÉ ET CONFIANCE
La Côte d’Ivoire a tout pour devenir un modèle économique africain : une population jeune, un secteur privé dynamique et une position géographique stratégique.
Mais cette ambition ne se réalisera que si la fiscalité redevient un instrument de développement et non une source d’étouffement.
Le pays n’a pas besoin de plus de taxes.
Il a besoin de plus de justice, de transparence et de rigueur dans la dépense publique.
C’est à ce prix que la confiance renaîtra, que les recettes fiscales augmenteront durablement — et que la croissance deviendra inclusive et équitable.

