Par Shalom Ndiku, Directrice des affaires publiques, Food4Education
D’ici 2030, l’Afrique abritera la plus grande population jeune active au monde, une génération dont le potentiel pourrait façonner le prochain siècle de croissance mondiale. Pourtant, sur tout le continent, des millions d’enfants continuent d’aller à l’école le ventre vide. La faim demeure l’un des obstacles les plus persistants à l’apprentissage, coûtant aux pays africains près de 16,5 % de leur PIB chaque année en pertes de productivité, selon l’Union africaine. La réalité est simple : l’Afrique ne pourra pas libérer son capital humain si ses enfants ne peuvent pas se concentrer en classe.
Les repas scolaires ne sont pas une œuvre de charité, mais un véritable investissement dans l’infrastructure publique. Un repas nutritif et régulier est aussi crucial pour la productivité nationale qu’une salle de classe, une route ou une connexion Internet. Ne pas investir dans l’alimentation scolaire, c’est compromettre le potentiel économique futur : chaque enfant qui étudie le ventre vide représente une perte de productivité et de capital humain pour le pays.
Chez Food4Education, nous avons constaté ce qu’il est possible d’accomplir lorsque les mécanismes de financement et les partenariats sont pensés pour la durabilité. Ce qui a commencé en 2012 avec 25 enfants servis chaque jour s’est transformé en un programme fournissant plus de 600 000 repas quotidiens et plus de 150 millions au total. Cette expansion n’a pas seulement reposé sur la croissance, mais sur la structuration du financement. Le gouvernement co-investit dans les infrastructures, les parents contribuent par de petits montants via des paiements numériques, et la philanthropie apporte des capitaux d’amorçage qui soutiennent et sécurisent l’innovation. Chaque acteur renforce ainsi la solidité de l’ensemble.
Cette approche collaborative permet aux programmes d’alimentation scolaire de survivre aux cycles électoraux, de rester accessibles aux familles et de résister à la lassitude des bailleurs de fonds. Elle incarne un modèle de propriété partagée et de responsabilité collective qui transforme un programme social en véritable moteur économique. Selon l’UNESCO, chaque dollar investi dans un repas scolaire génère jusqu’à vingt dollars de retombées en matière de santé, d’éducation et de productivité, rares sont les investissements publics capables d’offrir de tels rendements.
Pourtant, le financement reste le principal goulot d’étranglement. Au Kenya, les allocations nationales pour l’alimentation scolaire sont passées d’environ 5 milliards de shillings kenyans (37 millions de dollars) en 2023/2024 à 3 milliards (23 millions de dollars) sur l’exercice en cours, au moment même où la dynamique d’expansion s’accélère. Cette volatilité budgétaire mine la confiance et fragilise tout l’écosystème, des petits exploitants agricoles aux prestataires technologiques, en passant par les équipes de cuisine.
Si l’Afrique souhaite véritablement investir dans sa jeunesse, l’alimentation scolaire doit être institutionnalisée comme une ligne budgétaire protégée et non comme une dépense discrétionnaire. Les bailleurs de fonds doivent soutenir l’effort public en mobilisant des financements mixtes, innovants et orientés vers la performance, afin d’assurer la pérennité et l’efficacité des programmes. Le secteur privé, quant à lui, peut transformer l’alimentation scolaire en une véritable opportunité économique, génératrice de valeur ajoutée, d’emplois locaux et de dynamisme pour les filières industrielles et agricoles.
L’avenir du financement du développement en Afrique ne peut plus se limiter à combler les déficits d’aide. Il doit reposer sur la construction de systèmes où capitaux publics et privés œuvrent de concert pour offrir des biens publics durables. L’alimentation scolaire représente l’un des leviers les plus concrets et les plus éprouvés pour y parvenir. Nourrir les enfants n’est pas un acte d’assistance, mais un investissement stratégique dans le capital humain et la résilience économique du continent. Grâce à un financement mixte et à des partenariats public-privé efficaces, l’alimentation scolaire peut devenir une véritable plateforme de prospérité pour l’Afrique, car l’avenir ne peut se construire le ventre vide.