Par Denis CHEMILLIER-GENDREAU et Géraldine MERMOUX, Groupe FINACTU
Alors que la Côte d’Ivoire s’approche d’une nouvelle grande échéance politique, avec l’élection présidentielle du 25 octobre prochain, nombreux sont les commentateurs qui saluent les réalisations du Président OUATTARA et de ses différents gouvernements sur le front des infrastructures (près de 2.000 km de routes réhabilités depuis 2011, près de 40.000 km de pistes rurales remises en service, 2.000 km de routes neuves et 442 ponts et échangeurs), du dynamisme économique (environ 7% de croissance par an en moyenne sur la période 2011-2025) et de la maitrise des grands agrégats de l’économie (inflation, déficit budgétaire et déficit commercial sous contrôle).
On n’en attendait pas moins d’un ancien Directeur Général Adjoint du FMI…
Globalement, depuis 2011, le PIB par habitant de la Côte d’Ivoire a été multiplié par deux, ce qui permet au pays des éléphants d’être aujourd’hui le pays le plus riche d’Afrique de l’ouest.
Cependant, dans ce concert de louanges, certaines voix dissonantes viennent parfois atténuer l’harmonie des compliments en mettant en avant la nécessité du partage de la croissance. Ainsi, par exemple, un économiste regrettait récemment « La Côte d’Ivoire doit transformer sa croissance en prospérité partagée », tandis qu’une chaine de télévision africaine titrait « Côte d’Ivoire : sous la présidence Ouattara, un boom économique et des inégalités persistantes ». Ce que certains Ivoiriens résument, avec l’humour qui les caractérisent, par un « on ne mange pas goudron ».
Nous avons le privilège de conseiller la Côte d’Ivoire depuis près de 20 ans dans tous les aspects de sa protection sociale, aussi bien à la CGRAE (la caisse de retraite des fonctionnaires) qu’à la CNPS (la caisse du secteur privé) ou la CNAM (la caisse en charge de l’assurance maladie). Forts de cette expérience, nous voulons témoigner, en examinant les commentaires sur le bilan du Président OUATTARA à l’aune des projets entrepris dans ce domaine, et des résultats obtenus depuis 2011. Il ne s’agit pas ici de prendre parti de façon partisane, mais simplement d’apporter le témoignage d’une expérience vécue, et d’éclairer, de manière rigoureuse et indépendante, le débat sur le développement économique et social de la Côte d’Ivoire depuis la crise postélectorale de 2010.
Commençons par les projets entrepris, tout d’abord. La politique est ingrate, mais il n’est pas inutile de rappeler ici dans quel état désastreux le Président OUATTARA, nouvellement élu en 2011, avait trouvé la protection sociale ivoirienne :
-La caisse dédiée au secteur privé – la CNPS – était moribonde, accumulant les déficits sans solution, se limitant à une une infime minorité de travailleurs et laissant de côté les travailleurs non-salariés et ceux de l’informel.
– Les fonctionnaires n’avaient pas vraiment d’institution pour gérer leur protection sociale (la CGRAE n’ayant alors pas de réelle autonomie), elle-même en déficit structurel.
-L’assurance maladie n’existait pas encore, privant les Ivoiriens d’une protection sociale que des pays comme le Mali, le Sénégal ou le Gabon avaient déjà depuis plusieurs années.
– L’immense majorité des Ivoiriens (les non-salariés, les artisans, les commerçants, les professions libérales, etc.) n’avait donc aucune protection sociale. Face à ce mur de problèmes, le Président OUATTARA a enchainé les réformes avec ordre et méthode, mais aussi constance :
– Réformer l’existant pour améliorer le futur. Dès 2011, il a adopté – par Ordonnance et en profitant habilement du brouhaha de la sortie de crise – la grande réforme des retraites portant à la fois sur le secteur privé (CNPS) et le secteur public (CGRAE). À l’heure où tant de pays, partout dans le monde, se heurtent à la difficulté de cette impossible réforme des retraites, comment ne pas saluer la clairvoyance d’un Président qui, à peine élu, a pris tout de même la responsabilité d’une telle réforme ? Il avait bien entendu mesuré l’urgence de la situation, que commandait l’ampleur de la crise. Mais il avait aussi mesuré les marges de manœuvre que cette réforme allait donner à la Côte d’Ivoire. Car depuis la réforme de 2011, les deux caisses concernées – CNPS et CGRAE – enchainent les excédents, qui ont fait d’elles, en quelques années, les premiers investisseurs institutionnels d’Afrique de l’ouest. Et les bonnes nouvelles s’enchainent : les excédents ont permis, sur le front social, d’importantes revalorisations des prestations sociales et, sur le front financier, des investissements importants. Le plus emblématique de ces investissements est sans aucun doute le rachat, par les deux caisses CNPS et CGRAE, de la filiale de BNP Paribas lorsque la banque française a décidé de quitter l’Afrique de l’ouest en 2022 : ce grand geste de nationalisme économique, qui remet en des mains ivoiriennes un géant du secteur bancaire national, n’aurait jamais été possible sans la réforme de 2011.
–Créer l’assurance maladie pour tous. La création de la Couverture Médicale Universelle (CMU) faisait partie des promesses de campagne du candidat OUATTARA en 2010. Dès 2014, la naissance de la Caisse Nationale d’Assurance Maladie vient transformer cette promesse en une réalité tangible, en offrant aux populations un panier de soins adaptés, couvrant les principaux besoins épidémiologiques du pays. Ainsi est posé le principe d’une couverture sociale universelle, couvrant littéralement toutes les populations.
–Élargir la sécurité sociale à tous les Ivoiriens. Au-delà de la CMU, une autre victoire sociale du Président OUATTARA est à voir dans l’extension de la prévoyance sociale aux travailleurs de l’économie informelle, à travers la création du Régime Social des Travailleurs Indépendants (RSTI), mis en œuvre dès 2019.
En adoptant cette audacieuse réforme, la Côte d’Ivoire se pose en pionnier de l’extension en Afrique de l’ouest, devançant de peu le Maroc, qui a fait de même en 2022. Ce faisant, la Côte d’Ivoire a pris acte de l’incapacité du système hérité de la période coloniale à servir l’immense force de travail nationale : si ces travailleurs ne viennent pas spontanément à la sécurité sociale, c’est à cette dernière d’aller vers ses travailleurs, en leur proposant un régime nouveau, adapté à leurs besoins, à leurs habitudes, à leurs contraintes. C’est le RSTI !
–Ouvrir le système de retraite à la Capitalisation. En 2020, le Président OUATTARA a fait de la Côte d’Ivoire le premier pays francophone d’Afrique de l’ouest à mettre en place un régime complémentaire de retraite par Capitalisation pour ses fonctionnaires, confirmant ainsi toute l’attention qu’il porte à ceux qui mettent leur énergie au service de l’État.
–Préparer l’avenir. Alors qu’il est candidat à un nouveau mandat, le Président OUATTARA a aujourd’hui en réserve de nouveaux projets spectaculaires que lui préparent le Ministre en charge de la prévoyance sociale, Maitre Adama KAMARA, et les Directeurs Généraux des caisses :
– à la CNPS, deux nouveaux régimes (d’assurance chômage et d’épargne retraite logement) en préparation pourraient venir conforter le rôle de « pionnier social » de la Côte d’Ivoire ;
– à la CGRAE, les équipes préparent diverses extensions de la prévoyance sociale au profit de populations encore non couvertes (élus locaux notamment), et la sanctuarisation de la protection sociale des fonctionnaires à travers un Code de prévoyance sociale qui leur sera dédié et qui rassemblera toutes les dispositions protectrices les concernant.
Au chapitre des résultats obtenus, la Côte d’Ivoire peut mettre en avant les succès éclatants qui découlent de ce train de réforme sans équivalent en Afrique, et qui viennent nous rappeler qu’un pays bien géré peut à la fois construire des routes ou des ponts et s’occuper des populations modestes :
– À la CNPS, on saluera une politique de revalorisation généreuse : depuis 2011, les prestations sociales ont été augmentées plus de 6 fois (+35,5% au total), la pension minimale vient d’être doublée, et le Président a instauré un « treizième mois » de façon permanente pour les retraités. On ne manquera pas de souligner aussi le succès du RSTI, qui se mesure à son rythme d’enrôlement : en quelques années, ce sont ainsi plus d’un million d’Ivoiriens en plus qui vont pouvoir bénéficier d’une retraite en bonne et due forme. Les travailleurs salariés du continent, qui forment l’immense majorité des actifs et qui restent, partout ailleurs, sans protection sociales, envient les Ivoiriens…
-A la CGRAE, on saluera la revalorisation des allocations familiales (une première depuis … 1960 !), rendue possible par la bonne santé de l’institution. On ne manquera pas de souligner les progrès tout fait exceptionnels de la gestion de la qualité, consacrés par des certifications exigeantes. On se félicitera du rythme de déploiement des agences de l’institution, dans toutes les régions du pays, afin d’être au plus près des populations. Et on rappellera que la CGRAE a su enrôler plus de 124.000 fonctionnaires dans la « retraite complémentaire ».
– Pour la CNAM, enfin, on soulignera le rythme incroyable des enrôlements dans le régime d’assurance maladie : grâce à cette réforme du Président OUATTARA, le nombre d’Ivoiriens couverts par un régime de prévoyance sociale est passé de moins d’un million en 2011 à près de 21 millions en 2025.
Sans surprise, ces réformes audacieuses ont permis une forte réduction du taux de pauvreté, qui a diminué de 51 % en 2011 à environ 35% aujourd’hui.
On le voit, la Côte d’Ivoire peut s’enorgueillir d’une protection sociale tout à fait exceptionnelle, à la fois dans le systématisme de sa conception, dans une mise en oeuvre exemplaire, et dans les résultats tangibles obtenus. Il serait bien injuste, vis-à-vis de tous les acteurs de ces réussites flamboyantes, au premier rang desquels le Président OUATTARA, que la campagne électorale en cours ne soit pas l’occasion de faire valoir ce que toute l’Afrique appelle « le miracle de la protection sociale ivoirienne » !