« L’engouement des financiers africains pour la finance verte n’a jamais été aussi grand ! »
Lors des « Proparco Days Leaders for Climate Finance », qui se tenait à Paris le 2 octobre, Françoise Lombard a confié à Financial Afrik sa satisfaction que la finance verte ait autant le vent en poupe parmi les banquiers et les fonds d’investissement opérant en Afrique. Alors que, paradoxalement, les annonces de désengagement des grandes coalitions financières climatiques se sont multipliées depuis le début de l’année dans d’autres parties du monde.
Propos recueillis par Christine Holzbauer
Près de 200 représentants d’institutions financières et bancaires du monde entier sont venus à Paris pour participer à la première édition des «Proparco Days» consacrée à la finance climat. Comment expliquez-vous un tel engouement ?
Nous sommes très fiers d’avoir fait salle comble. Nous avions décidé de convier dans un même endroit les dirigeants de plus de 70 institutions financières, clientes et partenaires de Proparco, pour discuter de ce sujet crucial qu’est la finance climat et faire un partage d’expérience. La réponse a été au-delà de nos espérances. La taille de bilans et d’actifs sous gestion cumulés des banques et des fonds d’investissement qui ont fait le déplacement à Paris, avoisine les… 800 milliards d’euros ! Autant dire que nous avons réuni un groupe puissant. Nous sommes d’autant plus satisfaits qu’une cinquantaine d’institutions financières africaines de premier plan comme Equity Bank ou Ecobank ont répondu présent. Preuve que les banquiers et les financiers africains s’intéressent à la finance verte. Cela s’explique aisément compte tenu de l’impact des changements climatiques pour le continent où nous réalisons, par ailleurs, environ la moitié de notre activité.
Parmi vos priorités stratégiques, laquelle s’applique plus particulièrement au secteur privé africain pour lui permettre de s’impliquer davantage dans la finance climat?
La question du climat a toujours été une priorité forte dans nos interventions depuis de nombreuses années. Avec notre maison mère, l’Agence française de développement (AFD), nous avons été la première institution financière de développement à nous aligner à 100 % sur l’accord de Paris (NDLR : signé en 2015) pour tous nos financements. Chaque année, nous engageons par ailleurs une enveloppe d’environ 1 milliard d’euros pour financer de nouveaux projets à co-bénéfice climat (adaptation/atténuation.). C’est dire notre engagement en faveur de la finance verte qui reste fortement ancrée dans notre stratégie quinquennale actuelle (2023-2027). Celle-ci repose sur trois piliers, à commencer par la protection de la planète avec toujours une forte composante sur le climat et, plus récemment, sur les solutions basées sur la nature.
Le deuxième pilier, c’est la réduction des inégalités et le troisième, notre soutien à une croissance durable et résiliente. En ce qui concerne l’Afrique, nous continuons d’adresser ces trois piliers stratégiques. Ce qui n’est pas le cas dans d’autres géographies de pays émergents où seuls des projets relevant de la protection de la planète ou de la réduction des inégalités sont financés. Le mandat de Proparco à l’égard de l’Afrique est donc plus large. Compte tenu des masses financières en jeu, nous mobilisons d’autres acteurs pour financer des projets d’envergure dans le solaire, l’éolien ou les centrales hydroélectriques comme par exemple le barrage de Nachtigal au Cameroun. Mais notre rôle, c’est aussi de travailler avec les acteurs financiers locaux pour qu’ils puissent eux-mêmes jouer le rôle de financeurs de la transition verte du continent.
Comment se concrétisent vos engagements vis-à-vis de ces acteurs locaux?
Cela peut prendre des formes variées. Nous accordons par exemple des lignes de financement vertes à des taux de marché ou des taux concessionnels, en apportant de la maturité par le biais de financements à long terme, que les banques locales ont souvent plus de mal à trouver! C’est la composante de subsidiarité qui peut également se traduire par des financements en devises ou de l’assistance technique. Proparco flèche alors ales fonds, que ce soit pour des projets d’énergie renouvelable, d’efficacité énergétique ou du logement vert. Nous pouvons également accordés des financements non fléchés sur des projets en particulier mais adossés à des objectifs stratégiques en matière de finance climat pour la banque, comme nous l’avons fait pour Ecobank.
Dans ce cas précis, nous avons fédéré 200 millions de dollars avec d’autres acteurs financiers pour un prêt adossé à des indicateurs climat, permettant à Ecobank d’ancrer le climat non pas comme un simple objet de financement, mais comme un objet stratégique dont les objectifs irriguent l’ensemble de son activité. Évidemment, nous continuons de financer l’activité des PME africaines par le biais de programmes comme Choose Africa, en partenariat avec l’AFD. Je saisis l’occasion pour préciser que nous ne sommes pas sur une logique d’arbitrage entre des enjeux de protection de la planète et ceux d’une croissance durable et résiliente ! L’accès à une énergie propre et bon marché concerne le secteur privé africain au premier chef. Et, si on parle de financer des projets d’énergies renouvelables, il est évident qu’en Afrique, aujourd’hui, c’est la clé pour accéder à de l’énergie qui soit à la fois abondante, abordable et adaptée aux besoins locaux.
Vous avez soutenu des fonds climatetech (Equator Africa) et des fonds d’agri-résilience (Araf), pourquoi ces véhicules sont-ils cruciaux?
Le rôle de soutien de Proparco aux acteurs financiers locaux en Afrique s’applique aussi au private equity et au capital-risque. Proparco investit entre 30 et 40 millions d’euros chaque année en Afrique dans le capital-risque africain. Ce qui est assez conséquent compte tenu de la taille de ce marché. Nous accompagnons étroitement ces fonds et leurs équipes, car nous sommes convaincus que c’est ainsi que le marché des capitaux peut grossir et se développer sur le continent.
Aujourd’hui, le capital risque est concentré à 90 % sur quatre pays africains (Égypte, Nigeria, Kenya, Afrique du Sud). On a donc intérêt à diversifier en soutenant des fonds comme ARAF, qui investit dans des startups proposant des solutions innovantes pour améliorer les conditions et la résilience climatique des petits exploitants agricoles en Afrique de l’Est et de l’Ouest. Nous avons soutenu ce fonds à deux reprises, car l’Afrique devrait être en mesure de se nourrir par elle-même. C’est une manière d’œuvrer en faveur de l’autoproduction et de la souveraineté alimentaire, en investissant pour que les entreprises agricoles deviennent plus résilientes au changement climatique. Pour cela, il faut qu’elles puissent atteindre une certaine taille critique. Pour nous, la finance climat doit irriguer tous les secteurs. Nous nous y employons en choisissant les fonds qui nous semblent les plus porteurs de solutions comme, par exemple, sur l’agriculture.
En parallèle, nous soutenons également les institutions de microfinance qui peuvent inclure une dimension de micro assurance très importante pour accompagner les petits producteurs agricoles.
Sur TFSC/Investec, quel impact concret observez-vous sur la capacité des banques à prêter aux projets climat?
Avec Investec Bank, nous avons lancé en 2023 le programme Transforming Financial Systems for Climate (TFSC) en Afrique du Sud. L’initiative est composée d’une facilité de crédit de 80 millions de dollars et d’un programme d’assistance technique. Nous sommes là, clairement, dans un financement fléché sur des projets verts. La composante d’assistance technique permet à Proparco d’appuyer la banque pour une meilleure évaluation des sources d’émissions de son portefeuille et de l’accompagner afin qu’elle intègre le climat dans ses décisions stratégiques et de crédit. Dans le processus d’octroi de crédit, nous faisons les due diligences qui s’imposent, mais nous ne demandons pas ex ante un droit de non-objection sur chaque projet vert adossé à la ligne de crédit que nous avons financée. Un reporting ex post permet de vérifier la bonne utilisation des fonds. Progressivement, une relation de confiance s’établit au cours au cours de ce processus d’accompagnement avec les banques partenaires.
À ce propos, quand décidez-vous d’accorder une subvention d’adaptation plutôt qu’un prêt?
Proparco finance par un prêt ou une garantie ou investit dans des projets. Ce n’est pas de la subvention… L’assistance technique qui accompagne un nombre significatif de nos interventions, en revanche, peut être assimilée à de la subvention (parfois avec un cofinancement par notre partenaire). Ces montants ne sont pas comparables à nos instruments financiers. On parle là de 20 000 à 200 000 euros dans certains cas.
Comment mesurez-vous les retombées pour les PME locales et les petits exploitants? Quels indicateurs exigez-vous ?
Nous mesurons les impacts locaux de nos financements à la fois ex-ante sur des macro-indicateurs existants et grâce à des évaluations ex-post. En matière de climat, nous mesurons par exemple l’impact de nos investissements par les tonnes de CO2 évitées. Et, dans le cas des banques et des fonds, où il s’agit pour nous d’intermédiation financière, nous nous assurons auprès de nos partenaires qu’ils sont en mesure de conduire ces évaluations et de nous remonter les résultats.