Par Pr Amath Ndiaye, Économiste, Université Cheikh Anta Diop de Dakar.
La déclaration de la Directrice générale du FMI, Kristalina Georgieva, affirmant la disposition du Fonds à conclure un nouveau programme avec le Sénégal, ouvre une nouvelle phase dans la relation entre Dakar et l’institution de Bretton Woods. Mais cette ouverture ne saurait occulter un impératif : stabiliser les finances publiques sans ébranler la cohésion sociale et politique du pays.
Un levier indispensable mais à manier avec prudence
Le FMI n’est pas une stratégie de sortie de crise, mais un levier de stabilisation. Son intervention vise à restaurer la confiance, rééquilibrer les comptes publics et redonner de la crédibilité financière au pays.
Le Sénégal, dont la situation budgétaire s’est dégradée, a aujourd’hui besoin du Fonds pour éviter une crise de financement et contenir le déficit public.
À court terme, toute alternative serait trop coûteuse et potentiellement vouée à l’échec. Les marges de financement internes sont faibles et les ressources extérieures disponibles en dehors du cadre FMI — eurobonds, prêts commerciaux ou bilatéraux — sont onéreuses et insoutenables.
Le recours au FMI n’est donc pas un choix de confort, mais une nécessité stratégique pour restaurer la stabilité budgétaire et la crédibilité macroéconomique.
Un ajustement budgétaire à visage humain
Ce partenariat doit cependant être négocié avec intelligence et humanité. Le FMI doit tirer les leçons des Programmes d’Ajustement Structurel (PAS) des années 1980-1990, dont les effets sociaux ont profondément marqué le continent africain.
L’heure n’est plus aux politiques d’austérité aveugle, mais à un ajustement budgétaire à visage humain, conciliant rigueur financière, croissance inclusive et protection des populations vulnérables.
Le contexte géopolitique sahélien, marqué par la menace jihadiste et les tensions sociales, impose une approche contextualisée et prudente. Appliquer mécaniquement des recettes uniformes à un pays exposé à ces fragilités serait dangereux.
Le temps d’ajustement doit être suffisamment long et progressif pour éviter des coûts sociaux excessifs et préserver la stabilité nationale.
Le piège de la suppression des subventions sur l’énergie
Parmi les conditionnalités souvent évoquées figure la réduction des subventions à l’énergie. Or, une telle mesure constituerait aujourd’hui une erreur stratégique majeure.
Supprimer brutalement les subventions sur les carburants et l’électricité provoquerait une hausse en chaîne des prix, un effondrement du pouvoir d’achat et une tension sociale aux conséquences incalculables.
Ce risque, le Président Macky Sall ne l’a jamais voulu. Conscient de son potentiel déstabilisateur, il a toujours refusé de sacrifier la paix sociale sur l’autel des équilibres budgétaires.
Dans un pays où le coût de la vie pèse déjà lourdement sur les ménages, une telle décision aurait pu fragiliser la stabilité politique et ruiner des années d’efforts de cohésion nationale.
Le défi n’est donc pas de supprimer les subventions, mais de mieux les cibler : protéger les couches défavorisées, rationaliser les transferts et limiter les abus, sans infliger un choc brutal à la société.
C’est ce réalisme économique et social qui doit guider les discussions actuelles avec le FMI.
L’exemplarité de l’État : condition de crédibilité
Un ajustement à visage humain doit aussi être un ajustement exemplaire. Le gouvernement du Sénégal doit donner le bon exemple en réduisant drastiquement son train de vie :
- baisse des hauts salaires et des avantages excessifs ;
- rationalisation du parc automobile et des dépenses de prestige ;
- surseoir à l’achat de véhicules pour les députés ;
- réduction du train de vie des institutions publiques ;
- et suppression progressive des fonds politiques non justifiés.
En résumé, il s’agit de réduire vigoureusement les dépenses de fonctionnement de l’État pour préserver les investissements structurants, ceux qui soutiennent la croissance, la création d’emplois et la transformation productive du pays.
Une telle démarche renforcerait la crédibilité du gouvernement dans ses négociations avec le FMI et démontrerait que l’effort budgétaire est équitablement partagé.
Conclusion : la main qui tient le levier
Le Sénégal doit faire preuve de rigueur financière, mais aussi de courage politique et de clairvoyance sociale. C’est à ce prix que le pays pourra transformer cette contrainte en opportunité de refondation économique, tout en préservant la paix sociale et la stabilité politique.
Enfin, il faut rappeler qu’un accord avec le FMI est aujourd’hui indispensable pour renforcer la crédibilité du Sénégal sur les marchés financiers internationaux et mobiliser les bailleurs de fonds ainsi que les investisseurs étrangers.
Mais, en contrepartie, le FMI doit tenir compte de la dimension sociale, politique et géopolitique — notamment la menace jihadiste au Sahel — afin d’éviter de fragiliser un pays stable au cœur d’une région sous tension.
C’est à cette condition que l’ajustement budgétaire pourra être réellement efficace, soutenable et humainement acceptable.