Par Dr Yahya-Abou Ly, PHD.
La Mauritanie évolue dans un contexte macroéconomique porteur, avec une croissance projetée entre 4,3% et 7,5% pour la période 2025-2030, une inflation maîtrisée autour de 3 %
et une dette publique stabilisée à 46% du PIB. Plusieurs secteurs clés du pays, tels que les mines (fer, or, gaz, cuivre, hydrogène vert, etc.), la pêche, l’agriculture, les infrastructures en partenariat public-privé (PPP) et les services numériques, offrent un potentiel de développement significatif.
Les données récentes du rapport FMI 2024 montrent que l’épargne nationale brute est restée stable autour de 31,8% du PIB entre 2020 et 2024, alors que l’investissement brut a fluctué autour de 41,2 % du PIB. Ce décalage génère un déficit structurel compris entre -6,8 % et – 7,7% du PIB, révélant un besoin crucial de ressources internes pour financer les investissements nécessaires au développement. La mise en place d’un marché boursier offrirait plusieurs avantages majeurs : une capacité renforcée à capter une plus grande part de l’épargne nationale et privée, un accès structuré au financement à long terme pour les entreprises, notamment dans les secteurs porteurs, un renforcement de la gouvernance d’entreprise grâce à la transparence et à l’ouverture au marché, ainsi qu’une diversification des classes d’actifs accessibles aux investisseurs institutionnels et particuliers. La Banque Centrale de Mauritanie (BCM) place ce projet au cœur de ses priorités stratégiques. L’objectif est de mobiliser l’épargne publique et privée vers des investissements productifs, faciliter l’accès au financement à long terme, démocratiser l’actionnariat, moderniser le tissu entrepreneurial, diversifier l’offre d’actifs pour les investisseurs et renforcer l’intégration financière internationale. Pour concrétiser ce marché, le cadre législatif prévoit la mise en place de quatre institutions clés : l’Autorité de régulation des marchés financiers, la Bourse de Nouakchott, le Dépositaire central des titres et le Fonds de garantie des dépôts et de résolution. La BCM a d’ores et déjà établi un partenariat stratégique avec le London Stock Exchange Group (LSEG), qui fournira la plateforme de négociation et de surveillance ainsi que la formation des acteurs du marché.
La Bourse des valeurs mobilières à Nouakchott, une étape stratégique pour l’économie mauritanienne
La création d’une Bourse des valeurs mobilières à Nouakchott constitue une étape stratégique pour la Mauritanie dans sa quête de diversification économique et de modernisation financière. L’initiative s’appuie sur un contexte porteur, marqué par l’essor des industries extractives, le développement attendu du gaz et la volonté de l’État d’accélérer la transformation structurelle de l’économie. La Bourse offrirait un canal inédit de financement des entreprises en mobilisant l’épargne nationale et en attirant les capitaux étrangers, réduisant ainsi la dépendance aux financements bancaires traditionnels, souvent limités et coûteux. Elle contribuerait également à renforcer la transparence, la gouvernance et la discipline de marché, tout en favorisant l’émergence d’une culture d’investissement à long terme.
L’introduction en Bourse de sociétés stratégiques comme le géant minier SNIM (12 millions de tonnes de minerais de fer exportées par an), la SOMELEC (électricité) ou encore les opérateurs télécoms constituerait un levier majeur pour stimuler la capitalisation boursière. Par exemple, la SNIM, en raison de son poids économique, verrait son entrée en Bourse attirer des investisseurs institutionnels nationaux et étrangers, tout en incitant les ménages à placer leur épargne dans des actifs productifs. À terme, la Bourse pourrait devenir une plateforme centrale de financement des grands projets nationaux, notamment dans les secteurs minier, énergétique et des infrastructures.
Le choix de la Bourse de Casablanca comme partenaire stratégique et de Londres comme partenaire technique témoigne d’une approche pragmatique. La Bourse de Casablanca apporte une expérience régionale réussie en matière d’intégration progressive des marchés africains, tandis que la Bourse de Londres offre une expertise mondiale en régulation, technologie et gouvernance. Ce double partenariat vise à assurer à la Bourse de Nouakchott une crédibilité internationale, des standards élevés et une intégration progressive dans les flux financiers mondiaux. Il constitue également une garantie pour les investisseurs que les règles de transparence et de protection seront alignées sur les meilleures pratiques internationales.
Cependant, la réussite du projet repose sur le degré de préparation de l’écosystème financier national. Le rôle des intermédiaires agréés (sociétés de bourse, courtiers), des dépositaires centraux et des régulateurs sera déterminant pour assurer la liquidité, la sécurité et la confiance dans le marché. Des efforts devront être déployés pour former des ressources humaines qualifiées, moderniser les infrastructures technologiques et sensibiliser les acteurs économiques aux opportunités offertes par le marché des capitaux. Le développement d’une base d’investisseurs locaux, incluant fonds de pension, compagnies d’assurance et institutions financières, constituera également un facteur clé de succès.
L’expérience des Bourses régionales africaines apporte des enseignements utiles. La BRVM d’Abidjan, qui regroupe les huit pays de l’UEMOA, montre l’importance de la mutualisation et de la coopération régionale, mais souligne aussi les défis liés à la liquidité et à la faible diversification sectorielle. D’autres marchés, comme Lagos ou Nairobi, rappellent que la confiance des investisseurs repose sur la régulation, la transparence et la stabilité macroéconomique. Ces leçons invitent la Mauritanie à adopter une approche progressive, en commençant par un nombre limité de sociétés de référence, avant d’élargir progressivement la cote à d’autres secteurs.
La Bourse de Nouakchott comporte donc à la fois des opportunités et des risques. Son succès dépendra de la capacité des autorités à instaurer un cadre réglementaire robuste, à garantir l’indépendance de l’organe de supervision et à assurer une communication claire pour éviter les dérives spéculatives. Si ces conditions sont réunies, le marché boursier pourra devenir un instrument puissant de mobilisation de l’épargne, d’attraction des capitaux étrangers et de financement de la croissance durable. En définitive, il s’agit d’un chantier ambitieux qui, au-delà du financement, contribuera à inscrire la Mauritanie dans une dynamique d’intégration économique régionale et internationale.